http://www.epo.org/law-practice/case-law-appeals/recent/g020002fp1.html
Content reproduced from the Website of the European Patent Office as permitted by their terms of use.
European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2004:G000202.20040426 | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Date de la décision : | 26 Avril 2004 | ||||||||
Numéro de l’affaire : | G 0002/02 | ||||||||
Décision de saisin : | J 0009/98 | ||||||||
Numéro de la demande : | 96906991.3 | ||||||||
Classe de la CIB : | C07K 14/35 C12N 15/81 |
||||||||
Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | A | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
|
||||||||
Titre de la demande : | – | ||||||||
Nom du demandeur : | AstraZeneca AB | ||||||||
Nom de l’opposant : | – | ||||||||
Chambre : | EBA | ||||||||
Sommaire : | L’Accord sur les ADPIC n’autorise pas le déposant d’une demande de brevet européen à revendiquer la priorité d’un premier dépôt effectué dans un Etat qui, aux dates pertinentes, n’était pas partie à la Convention de Paris, mais qui était membre de l’Accord sur les ADPIC/OMC. | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
|
||||||||
Mot-clé : | Demandes internationales – priorités de demandes indiennes Applicabilité de l’article 87(5) CBE Position au titre du PCT OEB non partie à l’Accord sur les ADPIC Interprétation de l’article 87 CBE – selon les principes du droit international public – à la lumière des obligations des Etats contractants au titre de l’Accord sur les ADPIC |
||||||||
Exergue : |
– |
||||||||
Décisions citées : |
|
||||||||
Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
|
Exposé des faits et conclusions
I. Dans la décision qu’elle a rendue dans les affaires jointes J 9/98 et J 10/98 (JO OEB 2003, 184 – Priorité d’une demande indienne/ASTRAZENECA), la Chambre de recours juridique a soumis la question de droit suivante à la Grande Chambre de recours :
Le demandeur d’une demande de brevet européen initialement déposée en tant que demande euro-PCT peut-il, compte tenu de l’Accord sur les ADPIC, revendiquer la priorité d’un premier dépôt antérieur effectué dans un Etat qui n’était pas partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ni à la date de dépôt de la demande antérieure, ni à la date de dépôt de la demande euro-PCT, mais qui était membre de l’Accord sur les ADPIC/OMC à la date du premier dépôt ?
II. Par décision en date du 3 février 2003, la Grande Chambre de recours a accepté d’examiner au cours d’une procédure jointe (portant les numéros G 2/02 et G 3/02), conformément à l’article 8 de son règlement de procédure, la question de droit que la Chambre de recours juridique lui avait soumise dans les affaires J 9/98 et J 10/98.
III. Dans la procédure qui a conduit à la saisine, la Chambre de recours juridique devait examiner deux recours du même demandeur et requérant, qui étaient dirigés contre les décisions de rejet, par la section de dépôt, des requêtes du requérant visant à rétablir, lors de l’entrée des demandes internationales dans la phase régionale devant l’OEB, les priorités initialement revendiquées de demandes déposées en Inde. Les deux affaires portent sur la question de savoir si une demande de brevet européen déposée en tant que demande internationale au titre du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) pouvait valablement revendiquer la priorité d’une demande indienne à une époque où l’Inde était partie à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à son annexe 1C, à savoir l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), mais n’était pas encore partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (Convention de Paris).
Les affaires en question portent sur des demandes de brevet européen qui ont été déposées le 12 mars 1996 en tant que demandes internationales au titre du PCT auprès de l’Office suédois des brevets, et qui revendiquaient la priorité de demandes respectivement déposées en Inde les 13 et 23 mars 1995.
L’Inde a adhéré à l’OMC, y compris à l’Accord sur les ADPIC, avec effet au 1er janvier 1995. Le 3 janvier 1995, le gouvernement indien a publié, dans la “Gazette of India”, une notification selon laquelle chaque Etat membre de l’OMC était reconnu, avec effet immédiat, en tant que “pays conventionnel” pour toutes les dispositions de la Loi sur les brevets, 1970 (39 de 1970) (The Gazette of India ; Extraordinary, [Partie II – Section 3 (ii)]), de sorte que, conformément à l’article 135 de la Loi sur les brevets de 1970, l’Inde était notamment tenue de reconnaître les priorités de tous les Etats membres de l’Accord sur les ADPIC. La notification était accompagnée d’un tableau contenant une liste des pays considérés par conséquent comme “pays conventionnels”. Cette liste incluait tous les Etats alors parties à la CBE qui avaient adhéré à l’OMC et à l’Accord sur les ADPIC le 1er janvier 1995, à l’exception de l’Irlande et du Royaume-Uni, lesquels bénéficiaient déjà d’un traitement national en Inde sur la base d’accords bilatéraux. Le Liechtenstein, Monaco et la Suisse n’étaient pas cités, dans la mesure où ces trois pays n’étaient pas encore membres de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC. Le Liechtenstein et la Suisse y ont adhéré ultérieurement au cours de l’année 1995, mais après les dates de dépôt des demandes indiennes. Monaco n’est toujours pas membre de l’OMC, ni de l’Accord sur les ADPIC. Toutefois, la notification publiée dans la “Gazette of India” ne mentionnait pas l’Office européen des brevets (OEB).
Ni l’Organisation européenne des brevets (l’Organisation), ni son organe exécutif, l’Office européen des brevets (OEB), ne sont parties à l’Accord sur les ADPIC/OMC, et aucun de ces instruments ne contient de disposition leur permettant d’y adhérer. L’Union européenne, en revanche, est membre de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC.
L’Inde est devenue partie à la Convention de Paris avec effet au 7 décembre 1998. Depuis cette date, l’OEB reconnaît les priorités revendiquées de premiers dépôts effectués en Inde, conformément à l’article 87(1) CBE. Par la suite, le gouvernement indien a annoncé qu’il était désormais possible de revendiquer en Inde la priorité de premiers dépôts effectués dans tous les Etats parties à la Convention de Paris. Cependant, il n’était de nouveau fait nulle mention de l’OEB. Ce n’est que lorsqu’une notification en date du 20 mai 2003 a été publiée dans la “Gazette of India” que l’OEB a été ajouté à la liste de pays, y compris des groupes ou unions de pays et des organisations intergouvernementales, qui étaient reconnus comme pays parties à la Convention de Paris (JO OEB 2003, 529).
IV. Devant la Chambre de recours juridique, le requérant a présenté un certain nombre d’arguments, identiques dans les deux affaires, à l’appui d’une interprétation de l’article 87 CBE selon laquelle il y avait lieu, à la lumière de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Convention de Vienne de 1969), de tenir compte de l’Accord sur les ADPIC et de traiter les membres de cet Accord comme s’ils étaient parties à la Convention de Paris. Ces arguments sont résumés au point V de l’exposé des faits et conclusions de la décision de la Chambre de recours juridique.
La décision de saisine
V. Dans sa décision de saisine, la Chambre de recours juridique a exposé un certain nombre d’arguments à l’encontre de la reconnaissance, par l’OEB, des priorités des demandes indiennes (points 2 à 4 des motifs de la décision) et a également soulevé des questions de droit d’importance fondamentale au sens de l’article 112(1)a) CBE, sur lesquelles elle n’a pas jugé approprié de statuer elle-même (points 5, 6 et 7.1 des motifs), mais qu’elle a considérées comme décisives pour l’issue des affaires en question (cf. point 7.1 des motifs de la décision).
Dans ces questions, il s’agit de savoir si les dispositions de l’Accord sur les ADPIC sont applicables dans le cadre de la CBE, soit en raison des obligations contractées par les Etats parties à la CBE, soit directement. Selon la Chambre de recours juridique, ce n’est que s’il est répondu par l’affirmative à une de ces questions que le requérant peut revendiquer la priorité des dépôts effectués en Inde. La Chambre de recours juridique a toutefois précisé que si elle saisissait la Grande Chambre parce qu’elle considérait que les questions soulevées aux points 5 et 6 de sa décision représentaient des questions de droit d’importance fondamentale qui n’avaient pas encore été résolues, elle avait néanmoins décidé de définir la question soumise à la Grande Chambre en termes un peu plus larges. Son intention était de couvrir toutes les questions de droit soulevées par le requérant pendant la procédure et par la Chambre de recours juridique dans les motifs de sa décision, et de laisser à la Grande Chambre de recours la possibilité de traiter les aspects qu’elle souhaiterait (cf. points 8 et 9 des motifs de la décision).
La Chambre de recours juridique a également attiré l’attention sur le fait qu’il se pouvait que d’autres demandes en instance devant l’OEB soient susceptibles d’être concernées par la réponse que la Grande Chambre apportera à la question soumise, et ce pour des premiers dépôts effectués dans des pays autres que l’Inde. Un certain nombre d’Etats ont en effet adhéré à l’Accord sur les ADPIC/OMC avant que la Convention de Paris n’entre en vigueur à leur égard, et certains membres de l’Accord sur les ADPIC ne sont toujours pas parties à la Convention de Paris.
Moyens invoqués au cours de la procédure devant la Grande Chambre
Position de la partie à la procédure
VI. Par notification en date du 7 février 2003, la Grande Chambre de recours a invité le requérant à présenter ses observations sur la question dont elle était saisie. Par lettre du 3 juin 2003, le requérant a déclaré qu’il n’avait pas d’autres observations à formuler.
Position du Président de l’OEB
VII. Suite à une décision de la Grande Chambre de recours, le Président de l’OEB a également été invité, le 6 février 2003, à présenter ses observations par écrit sur les questions de droit soumises à cette même Chambre, conformément à l’article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours. Le 25 mars 2004, le Président a transmis à la Grande Chambre de recours des copies de la correspondance échangée avec les autorités indiennes, dont il est question ci-après aux points 3.2 à 3.5 des motifs de la décision, mais sans prendre position sur le fond des questions de droit soumises.
Observations de tiers
VIII. Les tiers n’ont produit aucune observation.
Motifs de la décision
Recevabilité de la saisine
1. La saisine est recevable. La décision finale de la Chambre de recours juridique dans les affaires jointes J 9/98 et J 10/98 dépend de la réponse que la Grande Chambre de recours apportera à la question de droit qui lui a été soumise, et qui constitue une question de droit d’importance fondamentale au sens de l’article 112(1) CBE.
Droit applicable
2. Pour répondre à la question soumise à la Grande Chambre, il convient d’examiner les points suivants : les dispositions de la CBE concernant la reconnaissance de priorité, la position au titre du Traité de coopération en matière de brevets, les conséquences juridiques découlant du fait que l’OEB ne soit pas partie à l’Accord sur les ADPIC et les éléments susceptibles de justifier, conformément aux principes du droit international public, que l’OEB est lié par l’Accord sur les ADPIC, même s’il n’est pas lui- même partie à cet accord.
Dispositions de la CBE concernant la reconnaissance de priorité
3.1 Comme la Grande Chambre de recours a eu l’occasion de le faire observer dans le passé, les articles 87 à 89 CBE constituent une réglementation complète et autonome du droit applicable lors de la revendication de priorités pour des demandes de brevet européen (G 3/93, JO OEB 1995, 18). La présente affaire concerne l’article 87 CBE, qui traite de la reconnaissance des droits de priorité pour les premiers dépôts effectués dans des Etats parties à la Convention de Paris. Cet article prévoit notamment ce qui suit :
1) Celui qui a régulièrement déposé, dans ou pour l’un des Etats parties à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, une demande de brevet d’invention [… ] ou son ayant cause, jouit, pour effectuer le dépôt d’une demande de brevet européen pour la même invention, d’un droit de priorité pendant un délai de douze mois après le dépôt de la première demande.
5) Si le premier dépôt a été effectué dans un Etat qui n’est pas partie à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, les dispositions des paragraphes 1 à 4 ne s’appliquent que dans la mesure où, suivant une communication publique du Conseil d’administration, cet Etat accorde, en vertu d’accords bilatéraux ou multilatéraux, sur la base d’un premier dépôt effectué auprès de l’Office européen des brevets, ainsi que sur la base d’un premier dépôt effectué dans ou pour tout Etat contractant, un droit de priorité soumis à des conditions et ayant des effets équivalents à ceux prévus par la Convention de Paris.
3.2 Le Conseil d’administration n’a jamais publié de communication au titre de l’article 87(5) CBE en ce qui concerne l’Inde. Le 26 juillet 1995, la Direction générale 5 de l’OEB (DG 5) a écrit au gouvernement indien, en lui expliquant que compte tenu de l’adhésion de l’Inde à l’Accord sur les ADPIC avec effet au mois de janvier 1995, l’OEB envisageait d’étendre le bénéfice de l’article 87(5) CBE à l’Inde sur une base réciproque. La DG 5 a demandé si, sur la base de l’article 2(1) de l’Accord sur les ADPIC qui prévoit que les Etats membres de cet Accord doivent se conformer aux conditions de fond de la Convention de Paris (articles 1er à 12 et 19), l’Inde accordait ou avait l’intention d’accorder un droit de priorité basé sur un premier dépôt effectué à l’OEB ou dans n’importe quel Etat partie à la CBE. De l’avis de la DG 5, l’article 2(1) de l’Accord sur les ADPIC, qui se réfère à la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, impose aux membres de l’OMC l’obligation générale de se conformer aux dispositions de fond de la Convention de Paris, et ce qu’ils soient ou non également parties à cette Convention. Par conséquent, un premier dépôt effectué en Inde fonderait un droit de priorité dans tout Etat partie à la CBE qui est également membre de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC, et vice-versa. Conformément à l’article 4 A(2) de la Convention de Paris et à l’article 66 CBE, cela s’appliquerait également aux premiers dépôts européens.
3.3 Il n’a pas été répondu à cette lettre. Une nouvelle demande en date du 3 mai 1996 est elle aussi restée sans réponse. Dans ces conditions, l’Inde n’ayant fait aucune déclaration selon laquelle elle reconnaîtrait les priorités fondées sur des premiers dépôts européens, l’OEB n’a entrepris aucune autre démarche au titre de l’article 87(5) CBE eu égard à ce pays, puisque la condition de réciprocité prévue dans cet article n’était pas remplie.
3.4 Suite à l’adhésion de l’Inde à la Convention de Paris le 7 décembre 1998, la DG 5 a repris contact en décembre 1998 avec les autorités indiennes en les informant qu’avec l’adhésion de l’Inde à la Convention de Paris, l’OEB reconnaîtrait, conformément aux articles 87 et 88 CBE, les droits de priorité revendiqués sur la base de premiers dépôts effectués en Inde. La DG 5 a une fois de plus attiré leur attention sur le problème des revendications de priorité fondées sur des demandes déposées avant l’adhésion de l’Inde à la Convention de Paris, et déclaré que l’OEB accepterait ces revendications de priorité si l’Inde agissait de même en ce qui concerne les premiers dépôts européens.
3.5 Dans sa réponse du 4 janvier 1999, le gouvernement indien a estimé que l’OEB ne pouvait être considéré comme “pays conventionnel” aux termes de la Loi indienne sur les brevets de 1970, puisqu’il “n’est pas lui-même un pays”. Le Président de l’OEB a fait observer, dans sa réponse en date du 11 février 1999, qu’il n’était pas nécessaire de reconnaître l’OEB en tant que des “pays conventionnel” pour reconnaître, conformément à la législation indienne sur les brevets, les droits de priorité basés sur des premiers dépôts effectués à l’OEB. Conformément à l’article 4 A(2) de la Convention de Paris, tout dépôt ayant la valeur d’un dépôt national régulier, en vertu de la législation nationale de chaque pays de l’Union ou de traités bilatéraux ou multilatéraux conclus entre des pays de l’Union, est reconnu comme donnant naissance au droit de priorité. La législation nationale de tous les Etats parties à la CBE reconnaît expressément les demandes de brevet européen comme ayant la valeur de dépôts nationaux réguliers, ce qui est confirmé par l’article 66 CBE, qui dispose qu’une demande de brevet européen a la valeur d’un dépôt national régulier dans les Etats contractants désignés. Tous les Etats parties à la CBE étant membres de la Convention de Paris, l’Inde doit reconnaître les droits de priorité fondés sur des demandes de brevet déposées dans tout Etat partie à la CBE, que ces demandes aient été déposées auprès des offices nationaux de brevets ou de l’OEB. L’OEB n’a pas reçu de réponse à cette lettre. En juillet 2003 toutefois, le gouvernement indien a fait savoir à la DG 5 que l’Inde reconnaissait l’OEB en tant que “pays conventionnel”, aux fins de pouvoir revendiquer en Inde la priorité de demandes de brevet déposées à l’OEB à partir du 20 mai 2003. Un communiqué en ce sens a dès lors été publié au JO OEB 2003, 529.
3.6 Entre-temps, l’article 87, paragraphes 1 et 5 CBE a été modifié en l’an 2000 de façon à permettre à l’OEB de reconnaître les premiers dépôts effectués dans un Etat membre de l’OMC comme donnant naissance à un droit de priorité (CBE 2000, La Convention sur le brevet européen révisée et son règlement d’exécution, JO OEB 2003, édition spéciale n° 1). Ce texte révisé n’est pas encore entré en vigueur. Il n’entrera en vigueur que deux ans après sa ratification par quinze Etats contractants, ou – si cette date est antérieure – le premier jour du troisième mois suivant sa ratification par l’Etat contractant qui procède le dernier de tous à cette formalité. Par conséquent, ce texte révisé n’est pas applicable en l’espèce.
3.7 Il ressort clairement de ce qui précède qu’en dépit de tous les efforts entrepris par l’OEB pour clarifier et régulariser la situation, le Conseil d’administration ne pouvait pas publier, avant que l’Inde n’adhère à la Convention de Paris en décembre 1998, une communication au titre de l’article 87(5) CBE en ce qui concerne ce pays. Les conditions de fond de cette disposition n’étaient pas réunies, dès lors que les autorités indiennes n’avaient pas confirmé qu’elles reconnaîtraient la priorité de premiers dépôts effectués à l’OEB sur une base réciproque. A défaut d’une telle communication, il faut donc se demander s’il existe d’autres raisons pour lesquelles l’OEB aurait pu ou dû appliquer à l’Inde l’article 2(1) de l’Accord sur les ADPIC, suite à l’adhésion de ce pays et d’une majorité d’Etats parties à la CBE à l’Accord sur les ADPIC le 1er janvier 1995.
Position au titre du Traité de coopération en matière de brevets
4. La question soumise à la Grande Chambre porte sur les demandes internationales déposées au titre du PCT. Conformément à l’article 150(2) CBE, troisième phrase, les dispositions du PCT prévalent en cas de divergence entre la CBE et le PCT. Il convient par conséquent d’examiner les dispositions du PCT relatives à la revendication de priorité, à savoir l’article 8 ensemble la règle 4.10 de ce traité. Conformément à l’article 8(1) PCT, une demande internationale peut comporter une déclaration revendiquant la priorité d’une ou de plusieurs demandes antérieures déposées dans ou pour tout pays partie à la Convention de Paris. La règle 4.10a) PCT a été modifiée avec effet au 1er janvier 2000 de façon à prévoir, en combinaison avec l’article 8(1) PCT non modifié, qu’il est également possible de revendiquer la priorité de demandes déposées dans ou pour tout membre de l’OMC qui n’est pas partie à la Convention de Paris. Cette nouvelle disposition n’est pas applicable en l’espèce. Il convient néanmoins de relever qu’en vertu de la règle 4.10d) PCT, si les alinéas a) et b) tels que modifiés de la règle 4.10 PCT ne sont pas compatibles, au 29 septembre 1999, avec la législation nationale appliquée par un office désigné, ces alinéas ne s’appliquent pas, et les alinéas en vigueur jusqu’au 31 décembre 1999 continuent de s’appliquer pour ce qui concerne cet office aussi longtemps que cette incompatibilité subsiste, à condition que l’office en question informe le Bureau international du PCT (OMPI) de cette incompatibilité. L’OEB, en tant qu’office désigné, a informé le Bureau international de cette incompatibilité, comme le prévoit la règle 4.10d) PCT (Guide du déposant du PCT, vol. I/A- Phase internationale, point 97).
L’OEB n’est pas membre de l’Accord sur les ADPIC
5.1 Comme mentionné au point III ci-dessus, ni l’Organisation européenne des brevets, ni l’OEB ne sont membres de l’Accord sur les ADPIC/OMC ; en outre, aucun de ces instruments ne contient de disposition leur permettant d’y adhérer. D’un point de vue formel, les traités multilatéraux généraux qui contiennent des règles du droit (conventionnel) général, tels que l’Accord sur les ADPIC, sont une source de droit international pour les seules parties contractantes, et pour personne d’autre.
5.2 Ce principe est reconnu par la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui a été conclue le 23 mai 1969 (Convention de Vienne de 1969, reproduite en partie au JO OEB 1984, 192). L’article 34 de cette convention prévoit qu'”un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement”. Selon la jurisprudence constante de la Grande Chambre de recours, il est possible de se référer aux règles relatives à l’interprétation des traités contenues dans la Convention de Vienne de 1969 lorsqu’il s’agit d’interpréter la CBE. Comme l’a expliqué la Grande Chambre de recours dans la décision G 5/83 (JO OEB 1985, 64), la Convention de Vienne n’est pas directement applicable à la CBE, mais ses principes peuvent servir de référence, dans la mesure où ils sont l’expression d’une pratique internationale reconnue, s’appliquant à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale (article 5 de la Convention de Vienne de 1969).
5.3 La Convention de Vienne du 21 mars 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales (Convention de Vienne de 1986) revêt elle aussi un intérêt pour la présente affaire. Cette convention s’applique notamment aussi à tout traité conclu entre un ou plusieurs Etats et une ou plusieurs organisations internationales qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale. Bien que cette convention ne soit pas encore entrée en vigueur, elle peut également servir de référence lorsqu’il s’agit d’interpréter la CBE, et ce pour les mêmes raisons que dans le cas de la Convention de Vienne de 1969.
5.4 Aucune de ces conventions n’évoque spécialement la situation où les Etats ont transféré des pouvoirs à une organisation internationale, comme dans le cas des Etats parties à la CBE et de l’OEB, conformément à la CBE. Toutefois, ainsi que cela a été exposé ci-avant, l’article 34 de la Convention de Vienne de 1969 prévoit qu'”un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement”, et cette règle générale s’applique également au cas d’une organisation internationale tierce partie à un traité entre Etats, puisque cette règle s’inscrit dans le cadre du droit international coutumier et qu’elle est, en tant que telle, applicable aux organisations internationales (cf. D. Sarooshi, “Some Preliminary Remarks on the Conferral by States of Powers on International Organisations”, The Jean Monnet Working Papers, n° 4/03, p. 10). Ce principe est confirmé par l’article 34 de la Convention de Vienne de 1986, qui étend aux organisations tierces la règle générale selon laquelle un traité ne doit créer ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement. Selon l’article 35 de la Convention de Vienne de 1986, une obligation naît pour un Etat tiers ou une organisation tierce si les parties entendent créer une telle obligation et si l’Etat tiers ou l’organisation tierce accepte expressément par écrit cette obligation. En outre, l’acceptation de cette obligation par l’organisation tierce est régie par les règles de cette organisation.
5.5 Référence peut également être faite à l’article 26 de la Convention de Vienne de 1969, qui dispose que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi (Pacta sunt servanda). Par définition, ce principe ne s’applique toutefois pas aux tiers, de sorte que l’on ne saurait en conclure que l’OEB est tenu d’appliquer l’Accord sur les ADPIC, même si cela est souhaitable dans l’intérêt de l’harmonisation internationale du droit matériel des brevets.
5.6 En conclusion, conformément aux principes généraux du droit international, un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers ou une organisation internationale tierce sans son consentement. Une telle obligation ne naît que si les parties entendent la créer et que l’Etat tiers ou l’organisation tierce accepte expressément par écrit cette obligation (article 34 des Conventions de Vienne de 1969 et de 1986). Par conséquent, l’Accord sur les ADPIC ne peut créer d’obligations pour l’OEB qu’avec son consentement écrit, conformément aux dispositions de la CBE.
Autres bases susceptibles de justifier l’application de l’Accord sur les ADPIC par l’OEB
a) Le droit coutumier
6.1 Pour justifier un éventuel effet extracontractuel d’un traité, il faut recourir à d’autres bases juridiques, telles que notamment la coutume (G.M. Danilenko, Law-Making in the International Community, Martinus Nijhoff Publishers, 1993, 53). Ce principe est reconnu par les Conventions de Vienne de 1969 et de 1986 en leur article 38, selon lequel les dispositions d’un traité peuvent devenir obligatoires pour des Etats tiers ou des organisations tierces en tant que règle coutumière de droit international reconnue comme telle. Il se pose dès lors la question de savoir si la reconnaissance des priorités de premiers dépôts effectués dans les Etats parties à la Convention de Paris et membres de l’Accord sur les ADPIC peut être considérée comme une règle coutumière du droit international.
6.2 Les conventions internationales exercent une influence sur l’évolution du droit coutumier. De nouvelles règles formulées dans un traité peuvent être considérées comme des normes générales de conduite même par des Etats qui ne sont pas parties à cette convention (Danilenko, op. cit., p. 156 s.) et traditionnellement, la pratique de la coutume dans ce contexte est considérée comme l’un des moyens d’étendre à des Etats tiers l’application de règles contenues dans une convention (cf. R.F. Roxburgh, International Conventions and Third States : a Monograph (1917), Londres et New York, Longmann, Green, p. 72 s.). L’article 38 de la Convention de Vienne de 1969 reflète cette approche. La Cour internationale de Justice (C.I.J.) a confirmé qu’une norme du droit des traités peut devenir une règle générale de droit international comprise dans le “corpus du droit international” et, partant, devenir obligatoire pour ceux qui ne sont pas parties à ce traité (Affaires du Plateau continental de la mer du Nord [1969] C.I.J. recueil 39). Dans cette même affaire, la C.I.J. a toutefois déclaré que pour qu’une règle conventionnelle devienne une règle générale de droit international coutumier, il fallait selon elle qu’il existe une pratique “fréquente et pratiquement uniforme” dans les Etats pendant un certain laps de temps et, ce qui est le plus important, “une reconnaissance générale” de cette norme conventionnelle par l’opinio juris des Etats ([1969] C.I.J. recueils 41-44). L’article 38 du statut de la C.I.J. se réfère à la coutume internationale “comme preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le droit” (cf. également I. Brownlie, Principles of Public International Law, 6e éd. Oxford University Press, 2003, p. 6 s.). Enfin, il est traditionnellement admis en droit international qu’une règle de droit international coutumier ne peut l’emporter sur une obligation particulière prévue dans un traité (A.B. Hormones, décision de l’Organe d’appel de l’OMC pour le règlement des différends, doc. WT/DS26/AB/R et WT/DS48/AB/R du 13 février 1998, p. 45 s.). Il ressort donc clairement de la jurisprudence et de la littérature que l’article 38 des Conventions de Vienne de 1969 et de 1986 ne peut servir de base en l’espèce. Les dispositions de la Convention de Paris et de l’Accord sur les ADPIC relatives à la priorité ne satisfont pas aux conditions requises pour qu’une règle contenue dans un traité devienne une règle générale de droit international coutumier, puisqu’elles ne constituent pas une pratique fréquente et pratiquement uniforme des Etats, ni une norme généralement reconnue par l’opinio juris des Etats, au sens de l’article 38 du statut de la C.I.J. Dès lors, le critère fixé par la C.I.J. dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord n’est pas rempli. En outre, le droit coutumier concerne généralement des questions telles que le droit de la mer, le droit d’asile, l’extradition, etc. Enfin, même si cela n’était pas le cas, il est traditionnellement admis en droit international qu’une règle du droit international coutumier ne peut l’emporter sur une obligation particulière prévue dans un traité comme, en l’occurrence, à l’article 87(5) CBE.
b) Jus cogens
7.1 Il ne faut pas confondre le droit coutumier avec certains principes fondamentaux érigés en normes impératives du droit international général, auxquelles les Etats ne sont pas autorisés à déroger et qui sont connues en tant que jus cogens. Ces normes ont trait à des questions telles que les droits de l’Homme, le génocide, le principe de la non-discrimination raciale, les crimes contre l’humanité et l’interdiction du commerce d’esclaves ainsi que de la piraterie (Brownlie, op. cit. p. 488 s. ; P. Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to International Law, 7e éd., Routledge, Londres et New York, 1997, p. 57 s.).
7.2 La Grande Chambre de recours relève qu’en vertu de l’article 27 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, “chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur”. Elle considère néanmoins que cet article garantit aux citoyens que les Etats doivent les doter de législations sur les brevets et le droit d’auteur afin de protéger leurs intérêts, et partage l’avis de la Chambre de recours juridique selon lequel on ne saurait considérer que l’obligation de reconnaître les droits de priorité prévue dans l’Accord sur les ADPIC affecte les droits fondamentaux de la personne concernée (point 5.2 des motifs de la décision de saisine).
L’OEB est-il lié par l’Accord sur les ADPIC du fait que les Etats parties à la CBE le sont ?
8.1 Comme cela a déjà été exposé, la majorité des Etats alors parties à la CBE sont devenus membres de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC le 1er janvier 1995, soit avant les dates de priorité des demandes indiennes. Le Liechtenstein et la Suisse ont adhéré à l’Accord sur les ADPIC plus tard dans la même année. A ce jour, Monaco n’est toujours pas membre de l’Accord sur les ADPIC.
8.2 Les Etats parties à la CBE qui ont adhéré à l’Accord sur les ADPIC le 1er janvier 1995 étaient liés par les obligations de l’Accord sur les ADPIC à compter de cette date. En ce qui concerne la présente affaire, les dispositions ci-après de l’Accord sur les ADPIC sont particulièrement importantes. L’article premier fixe la nature et la portée des obligations imposées par cet accord. Ainsi, les membres dudit accord doivent donner effet à ses dispositions. Ils sont toutefois libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en oeuvre les dispositions de cet accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques (article premier, paragraphe 1). Comme cela a déjà été exposé plus haut, l’article 2(1) prévoit que les Membres doivent se conformer aux articles premier à 12 et à l’article 19 de la Convention de Paris, y compris les dispositions de l’article 4 concernant le droit de priorité. Par conséquent, les obligations qui découlent de ces articles de la Convention de Paris sont devenues des obligations pour les membres de l’OMC (cf. Etats-Unis – Article 211 de la Loi générale de 1998 portant ouverture de crédits, décision de l’Organe d’appel de l’OMC pour le règlement des différends, doc. WT/DS176/ABR). Aux fins de la présente décision, il n’est pas nécessaire d’examiner d’autres obligations des membres de l’Accord sur les ADPIC. L’OEB estime (cf. point 3.2 ci- dessus) – et la Grande Chambre de recours partage ce point de vue – que l’article 2(1) de l’Accord sur les ADPIC impose aux membres de l’OMC, y compris ceux qui sont également des Etats parties à la CBE, l’obligation générale de se conformer aux dispositions de fond de la Convention de Paris, et ce qu’ils soient également ou non parties à cette convention. Sur cette base, l’OEB a fait savoir en 1995 au gouvernement indien qu’un premier dépôt effectué en Inde fonderait un droit de priorité dans tout Etat partie à la CBE qui est également membre de l’OMC, et vice-versa. Par conséquent, une grande majorité des Etats parties à la CBE étaient tenus par l’Accord sur les ADPIC de reconnaître, conformément à leur législation nationale, les priorités de premiers dépôts effectués en Inde, et vice-versa. Toutefois, il est également clair que les obligations qui découlent de l’Accord sur les ADPIC ne lient pas directement l’Organisation européenne des brevets ou l’OEB en tant que tels, mais uniquement les Etats parties à la CBE qui sont membres de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC. Il convient donc de se demander si l’OEB était indirectement tenu d’appliquer l’Accord sur les ADPIC à l’époque considérée, du fait qu’un si grand nombre d’Etats parties à la CBE étaient membres de l’Accord sur les ADPIC.
8.3 En tant qu’organisation de droit international public, l’Organisation européenne des brevets dispose de son propre système juridique interne (décision de la High Court of England and Wales (Patents Court) dans l’affaire Lenzing AG’s European Patent (UK) [1997] R.P.C. 245, 264). La CBE prévoit un système juridique autonome pour la délivrance de brevets européens. En termes juridiques, ni la législation des Etats contractants, ni les conventions internationales signées par ces Etats ne font partie de ce système juridique autonome. Dans le cadre du système institué par la CBE, le pouvoir législatif appartient aux seuls Etats contractants et il est exercé soit par une conférence intergouvernementale (article 172 CBE), soit par le Conseil d’administration (article 33 CBE). L’OEB n’est pas lui-même membre de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC. Par conséquent, les obligations découlant de l’Accord sur les ADPIC ne lient pas l’OEB directement, mais seulement les Etats parties à la CBE qui sont membres de l’OMC et de l’Accord sur les ADPIC. A cet égard, il importe peu de savoir si tous les Etats parties à la CBE ou certains d’entre eux seulement sont parties à l’Accord sur les ADPIC. Même s’ils avaient tous adhéré à l’Accord sur les ADPIC le 1er janvier 1995, de sorte qu’aucun problème de réciprocité au titre de la loi indienne sur les brevets ne se serait posé, il aurait encore fallu publier une communication en vertu de l’article 87(5) CBE.
Il convient également de mentionner l’article 66 CBE, selon lequel une demande de brevet européen à laquelle une date de dépôt a été accordée a, dans les Etats contractants désignés, la valeur d’un dépôt national régulier, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité respectif. On peut conclure de cette disposition, en combinaison avec l’article 4 A(2) de la Convention de Paris, que les Etats membres de la Convention de Paris et les membres de l’OMC sont tenus de reconnaître les demandes de brevet européen comme ayant la valeur de dépôts nationaux réguliers dans les Etats parties à la CBE. Toutefois, la disposition précitée ne prévoit pas de mécanisme qui obligerait l’OEB à reconnaître les priorités de dépôts effectués dans des Etats qui ne sont pas parties à la CBE ou à la Convention de Paris, à moins que les mesures formelles requises par l’article 87(5) CBE aient été prises et qu’une communication correspondante ait été publiée par le Conseil d’administration de l’Organisation.
8.4 Le Président de l’Office européen des brevets a néanmoins reconnu que même si l’OEB n’est pas partie à l’Accord sur les ADPIC et qu’il n’est pas lié par cet accord, les systèmes juridiques nationaux des Etats parties à la CBE sont susceptibles d’être affectés par l’Accord sur les ADPIC et qu’ils pourraient être tenus de veiller à ce que la CBE soit conforme à l’Accord sur les ADPIC (cf. lettre du Président de l’OEB en date du 27 novembre 1996 au Comptroller-General de l’Office des brevets du Royaume-Uni, point IV, 2, concernant l’affaire Lenzing AG’s European Patent (UK) (1997), citée supra). C’est dans cet esprit que l’OEB a contacté le gouvernement indien au début de l’année 1995, afin de mettre en oeuvre la procédure prévue à l’article 87(5) CBE. C’est également pour cette raison que les Etats membres de l’OEB ont révisé l’article 87 CBE, de façon à mettre les membres de l’Organisation mondiale du commerce sur le même pied que les parties à la Convention de Paris en ce qui concerne la reconnaissance des priorités dans le futur. Il est à espérer que la CBE 2000 révisée entrera en vigueur sous peu. Entre-temps, l’article 87(5) CBE prévoit un mécanisme qui permet à l’OEB de reconnaître les priorités afférentes à des premiers dépôts effectués dans des Etats membres de l’OMC qui ne sont pas encore parties à la Convention de Paris. Tout pays dont les ressortissants sont affectés par ce problème peut demander à l’OEB de mettre en oeuvre la procédure prévue à l’article 87(5) CBE.
8.5 Comme cela a été mentionné au point 8.3 ci-dessus, l’Organisation européenne des brevets, en tant qu’organisation internationale, dispose avec la CBE de son propre système juridique interne. Les chambres de recours de l’OEB ont pour mission d’assurer la conformité avec le système juridique autonome institué par la CBE et sont liées par les seules dispositions de la CBE (article 23(3) CBE). Ce faisant, toutefois, les chambres se réfèrent également à des sources juridiques autres que la CBE, telles que par exemple la Convention de Vienne de 1969, comme exposé plus haut, et l’Accord sur les ADPIC. Par conséquent, si les chambres de recours peuvent s’inspirer dans leurs décisions des dispositions prévues dans d’autres instruments internationaux, elles ne sont pas tenues de les appliquer directement.
8.6 Pour ces raisons, la question de l’application de l’Accord sur les ADPIC dans le cadre de la CBE a été examinée à un certain nombre d’occasions par les chambres de recours de l’OEB. Dans l’affaire G 1/97 (JO OEB 2000, 322), la Grande Chambre de recours a laissé en suspens la question de l’application de l’Accord sur les ADPIC dans le cadre de la CBE, étant donné que l’OEB n’est pas partie à cet accord, et n’a pas non plus tranché la question de l’effet direct de l’Accord sur les ADPIC, estimant qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur ces questions dans cette affaire. En revanche, elle a examiné la compatibilité de certaines dispositions de la CBE avec l’Accord sur les ADPIC et conclu qu’il n’y avait pas de conflit entre les dispositions en question.
Dans une autre affaire (T 1173/97, JO OEB 1999, 609), la chambre de recours a déclaré ce qui suit :
bien que l’Accord sur les ADPIC ne soit pas directement applicable à la CBE, la Chambre considère qu’il faut en tenir compte dans la mesure où il a pour objectif l’élaboration de normes et principes adéquats concernant l’existence, la portée et l’exercice des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, et, par voie de conséquence, des droits conférés par le brevet. L’Accord sur les ADPIC indique ainsi clairement quelles sont les tendances en la matière à l’heure actuelle.
En résumé, par conséquent, les dispositions de l’Accord sur les ADPIC sont, à l’instar des décisions des Cours européenne et internationale de justice et des décisions nationales, des éléments à prendre en considération par les chambres de recours, mais qui ne les lient pas. S’il est légitime que les chambres de recours fassent appel à l’Accord sur les ADPIC pour interpréter des dispositions de la CBE qui prêtent à différentes interprétations, des dispositions particulières de l’Accord sur les ADPIC ne sauraient justifier que l’on méconnaisse des dispositions expresses et non ambiguës de la CBE. Cette façon de procéder reviendrait en effet à usurper le rôle du législateur. Cela est confirmé par le fait que le législateur de la CBE 2000 a jugé nécessaire de réviser l’article 87 CBE afin de transposer l’Accord sur les ADPIC.
8.7 Dans ce contexte, il est à noter qu’en 1998 et 1999, le Conseil d’administration et le comité “Droit des brevets” de l’Organisation se sont penchés sur une proposition de la délégation néerlandaise visant à ajouter, à l’article 23(3) CBE, une disposition précisant que les membres des chambres de recours sont liés par l’Accord sur les ADPIC et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette proposition est toutefois restée sans suite (cf. documents du Conseil d’administration et du comité “Droit des brevets”, CA/16/98 (Eléments à considérer lors d’une révision de la CBE) ; CA/PL 5/99 (Révision de la CBE – article 23(3) CBE) ; CA/PL 13/99 (Procès-verbal de la 9e réunion du comité “Droit des brevets”).
8.8 La Grande Chambre de recours reconnaît que, conformément à l’objectif poursuivi par la CBE, tel qu’exposé dans son préambule, à savoir renforcer la coopération entre les Etats européens dans le domaine de la protection des inventions, l’intention a toujours été d’harmoniser le droit matériel des brevets à appliquer dans les Etats contractants et à l’OEB. Par conséquent, il est très regrettable que l’OEB ne reconnaisse pas les priorités qui sont reconnues dans les Etats contractants. Cela est d’autant plus vrai que le fait que les dispositions transposant l’Accord sur les ADPIC ne soient pas encore entrées en vigueur pour le système du brevet européen peut être considéré comme contraire aux objectifs de l’Accord sur les ADPIC, tels que formulés dans son préambule, à savoir “réduire les distorsions et les entraves en ce qui concerne le commerce international, et [tenir] compte de la nécessité de promouvoir une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle”. Dans les circonstances de la présente espèce toutefois, si la Grande Chambre de recours appliquait directement l’Accord sur les ADPIC et reconnaissait les priorités revendiquées, elle se substituerait au législateur, et ce n’est pas le rôle de l’OEB ou de la Grande Chambre de recours de remédier aux omissions législatives des Etats parties à la CBE. Comme l’a déclaré la Grande Chambre dans sa décision G 1/97, JO OEB 2000, 322 (point 3b) des motifs) :
Dans un système de codification, tel que celui de la CBE, le juge ne peut se substituer, au fur et à mesure des besoins, au législateur qui demeure la première source du droit. Certes, il peut être amené à combler des lacunes, en particulier quand il s’avère que le législateur a omis de régler certaines situations. Il peut même contribuer à l’évolution du droit au-delà des lacunes. Toutefois, en principe, la loi doit lui donner, ne serait- ce que de façon incomplète, des repères.
8.9 Pour toutes ces raisons, la Grande Chambre de recours conclut qu’il n’existe aucune base juridique pour que l’OEB applique l’Accord sur les ADPIC. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question de l’effet direct de cet accord. En l’espèce, le droit à appliquer par les chambres de recours est régi par les seules dispositions de la CBE, si bien que la Grande Chambre doit répondre par la négative à la question qui lui a été soumise.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
L’Accord sur les ADPIC n’autorise pas le déposant d’une demande de brevet européen à revendiquer la priorité d’un premier dépôt effectué dans un Etat qui, aux dates pertinentes, n’était pas partie à la Convention de Paris, mais qui était membre de l’Accord sur les ADPIC/OMC.