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European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2007:T008305.20070522 | ||||||||
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Date de la décision : | 22 Mai 2007 | ||||||||
Numéro de l’affaire : | T 0083/05 | ||||||||
Décision de la Grande Chambre des recours | G 0002/07, G 0002/13 | ||||||||
Numéro de la demande : | 99915886.8 | ||||||||
Classe de la CIB : | A01H 5/10 | ||||||||
Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | A | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | – | ||||||||
Nom du demandeur : | Plant Bioscience Limited | ||||||||
Nom de l’opposant : | Syngenta Participations AG Groupe Limagrain Holding |
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Chambre : | 3.3.04 | ||||||||
Sommaire : | Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision : 1. Un procédé non microbiologique d’obtention de végétaux qui comporte les étapes consistant à croiser et à sélectionner des végétaux échappe-t-il à l’exclusion visée à l’article 53b) CBE au seul motif qu’il contient une caractéristique additionnelle de nature technique, soit en tant qu’étape supplémentaire, soit en tant que partie d’une des étapes de croisement et de sélection ? 2. S’il est répondu par la négative à la question 1, quels sont les critères applicables pour distinguer les procédés non microbiologiques d’obtention de végétaux qui sont exclus de la protection par brevet en vertu de l’article 53b) CBE des procédés non exclus ? En particulier, importe-t-il de savoir en quoi réside l’essence de l’invention revendiquée et/ou si la caractéristique additionnelle de nature technique apporte une contribution non insignifiante à l’invention revendiquée ? |
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Dispositions juridiques pertinentes : | |||||||||
Mot-clé : | Eléments ajoutés (non) Suffisance de l’exposé (oui) Droit de revendiquer la priorité (oui) Nouveauté (oui) Activité inventive (oui) Exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux – question de droit d’importance fondamentale – saisine de la Grande Chambre de recours |
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Exergue : |
– |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. L’opposant I (requérant I) et l’opposant II (requérant II) ont formé des recours contre la décision intermédiaire de la division d’opposition selon laquelle le brevet européen Nº 1 069 819 (demande Nº 99 915 886.8 publiée sous le numéro WO-A-99/52345 et revendiquant la priorité de la demande US 60/081,169 du 9 avril 1998) pouvait être maintenu sous une forme modifiée sur la base des revendications 1 à 11 selon la requête principale présentée par le titulaire du brevet (intimé) lors de la procédure d’opposition.
II. La Chambre a cité les parties à une procédure orale qui s’est tenue les 4 et 5 mai 2006.
III. Lors de la procédure orale, l’intimé a produit une nouvelle requête principale et une requête subsidiaire, comprenant chacune 9 revendications. Les revendications de cette nouvelle requête principale s’énoncent comme suit :
“1. Procédé pour la production de Brassica oleracea ayant des teneurs élevées en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle, ou en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle, ou les deux, qui comprend :
a) le croisement de l’espèce sauvage Brassica oleracea, choisie dans le groupe comprenant Brassica villosa et Brassica drepanensis, avec des lignées haploïdes doublées de brocoli ;
b) la sélection d’hybrides ayant des teneurs en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle ou en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle, ou les deux, qui sont plus élevées que celles initialement trouvées dans les lignées haploïdes doublées de brocoli ;
c) le rétrocroisement et la sélection de plantes ayant la combinaison génétique codant l’expression de teneurs élevées en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle ou en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle, ou les deux ; et
d) la sélection d’une lignée de brocoli ayant des teneurs élevées en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle ou en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle, ou les deux, capable de provoquer une forte induction d’enzymes en phase II,
des marqueurs moléculaires étant utilisés aux étapes b) et c) pour sélectionner des hybrides ayant la combinaison génétique codant l’expression de teneurs élevées en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle ou en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle, ou les deux, capables de provoquer une forte induction d’enzymes en phase II.”
“2. Procédé selon la revendication 1, dans lequel les lignées de Brassica oleracea sont des lignées haploïdes doublées de brocoli contenant des allèles SI spécifiques dont la présence engendre une auto-incompatibilité chez Brassica oleracea, le procédé comprenant, d’une part, le croisement de l’espèce sauvage Brassica oleracea avec des lignées haploïdes doublées de brocoli contenant les allèles SI spécifiques pour produire des plantes et, d’autres part, la sélection desdites plantes par criblage des allèles SI spécifiques avec des sondes moléculaires.”
“3. Procédé selon la revendication 1 ou 2, dans lequel seule la teneur en glucosinolate de 4-méthylsulfinylbutyle est élevée par rapport à celle initialement trouvée dans les lignées de Brassica oleracea.”
“4. Procédé selon la revendication 1 ou 2, dans lequel seule la teneur en glucosinolate de 3-méthylsulfinylpropyle est élevée par rapport à celle initialement trouvée dans les lignées de Brassica oleracea.”
“5. Plante du genre Brassica comestible produite selon le procédé de l’une quelconque des revendications 1 à 4”.
“6. Portion comestible d’une plante brocoli produite selon le procédé de l’une quelconque des revendications 1 à 4”.
“7. Semence d’une plante brocoli produite selon le procédé de l’une quelconque des revendications 1 à 4”.
“8. Plante brocoli ayant des teneurs élevées en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle ou en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle, ou les deux, la plante brocoli étant une plante hybride après croisement de lignées haploïdes doublées de brocoli avec des espèces sauvages Brassica oleracea sélectionnées dans le groupe comprenant Brassica villosa et Brassica drepanensis, et les teneurs en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle ou en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle, ou les deux, étant comprises entre 10 et 100 µmoles par gramme de poids sec de cette plante.”
“9. Inflorescence de brocoli ayant des teneurs élevées en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle ou en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle, ou les deux, l’inflorescence de brocoli étant obtenue à partir d’une plante hybride après croisement de lignées haploïdes doublées de brocoli avec des espèces sauvages Brassica oleracea sélectionnées dans le groupe comprenant Brassica villosa et Brassica drepanensis, et les teneurs en glucosinolates de 3-méthylsulfinylpropyle ou en glucosinolates de 4-méthylsulfinylbutyle, ou les deux, étant comprises entre 10 et 100 µmoles par gramme de poids sec de cette inflorescence.”
La revendication 1 selon la requête subsidiaire diffère de la revendication 1 selon la requête principale en ce qu’elle comprend en tant qu’étape supplémentaire a) du procédé revendiqué “l’obtention de lignées haploïdes doublées de brocoli.”
IV. Les documents suivants sont cités dans la présente décision :
(…)
D7 Principles of Cultivar Development, Vol. 1, Chapitre 28 : Backcross Method, pages 360-376 (1987) ;
(…)
D17 Catalogue “A Germ Plasm Collection of Crucifers”, Instituto Nacional de Investigaciones Agrarias, Madrid, pages 14, 52 et 53 (1990) ;
(…)
D22 Palmer C.E. et al. dans “In Vitro Haploid Production in Higher Plants”, Kluwer Academic Publishers, Vol. 2, pages 143 – 172 (1996) ;
(…)
V. Les moyens invoqués par écrit et au cours de la procédure orale par le requérant I et/ou le requérant II se résument comme suit :
(…)
Suffisance de l’exposé (article 100b) CBE)
– Le procédé selon la revendication 1 n’est pas reproductible étant donné que le brevet ne contient pas suffisamment d’informations concernant (i) le matériel de départ, c’est-à-dire des plantes Brassica villosa et Brassica drepanensis sauvages qui soient appropriées, ainsi que les lignées haploïdes doublées de brocoli qui soient appropriées, (ii) l’étape de rétrocroisement et (iii) les marqueurs moléculaires à utiliser.
– L’homme du métier ne parviendrait pas à mettre au point l’objet de la revendication 1, même en y consacrant beaucoup de temps et d’énergie. Même si cet argument n’était pas suivi, il y aurait néanmoins insuffisance de l’exposé car l’homme du métier ne pourrait pas parvenir à l’objet de la revendication 1 sans déployer d’efforts excessifs.
– Les marqueurs spécifiques mentionnés dans le brevet au paragraphe [0043] ne sont pas exposés de façon à être reproductibles, car il ne suffit pas qu’ils puissent être obtenus sur demande auprès du Dr Osborn. Le matériel doit être accessible pendant toute la durée du brevet (voir décisions T 576/91 et T 815/90). Un homme du métier ne serait pas en mesure de fabriquer d’autres marqueurs, étant donné que le brevet ne décrit pas la nature de la modification génétique souhaitée.
– En outre, l’expression “teneurs élevées” est indéterminée et le brevet n’expose pas de façon suffisamment claire et complète comment ces teneurs peuvent être obtenues sur toute la plage de la revendication.
(…)
Exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux (article 53b) CBE)
– L’objet des revendications 1 à 4 selon la requête principale est un procédé essentiellement biologique d’obtention de végétaux. Il ne saurait échapper à l’exclusion prévue à l’article 53b) CBE du seul fait que des marqueurs moléculaires sont utilisés au cours de l’étape de sélection.
– La règle 23ter(5) CBE ne contient pas de définition exhaustive des procédés qui sont exclus de la protection par brevet au titre de l’article 53b) CBE. En vertu de l’article 164(2) CBE, cette dernière disposition prime sur le plan juridique. Or, elle exclut les procédés essentiellement biologiques, et pas seulement les procédés entièrement biologiques. Conformément à la jurisprudence des chambres de recours, l’applicabilité de l’exclusion doit être appréciée en se fondant sur ce qui constitue l’essence de l’invention, en tenant compte de toutes les interventions humaines et des effets qu’elles exercent sur le résultat obtenu (T 320/87). Il serait contraire à l’esprit de la Convention de délivrer des brevets pour des procédés biologiques qui comportent uniquement une étape technique ordinaire introduite dans l’intention de contourner l’article 53b) CBE.
– L’objet revendiqué est également exclu aux termes de la règle 23ter(5) CBE, car l’utilisation de marqueurs moléculaires fait partie de l’étape de sélection qui, conformément à la définition explicite énoncée dans la règle, doit être considérée comme un phénomène naturel. De plus, les termes “marqueurs moléculaires” ont une portée tellement vaste qu’ils englobent également des phénomènes entièrement naturels, tels que les marqueurs phénotypiques ou morphologiques.
VI. Dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, les moyens invoqués par écrit et au cours de la procédure orale par l’intimé se résument comme suit :
(…)
Suffisance de l’exposé (article 100b) CBE)
– Il est possible de se procurer auprès du Dr Osborn, sur demande, les marqueurs décrits dans le brevet aux paragraphes [0040] et [0043] (voir documents D18 et D19). Indépendamment de ces marqueurs spécifiques, un homme du métier aurait été en mesure de fabriquer des marqueurs moléculaires appropriés, étant donné que toutes les étapes techniques requises relèvent des connaissances générales de l’homme du métier.
(…)
Exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux (article 53b) CBE)
– L’article 53b) CBE représente une exception au principe général de brevetabilité énoncé à l’article 52(1) CBE et doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.
– La règle 23ter(5) CBE, qui est applicable en espèce, fournit une définition permettant de déterminer si un procédé est essentiellement biologique ou non. La présence d’une étape non naturelle dans un procédé revendiqué suffit à soustraire celui-ci de l’exclusion. Etant donné que les procédés revendiqués ne consistent pas entièrement en des phénomènes naturels, ils ne tombent pas sous le coup de l’article 53b) CBE.
– Même si l’on interprète l’exclusion conformément à la jurisprudence qui a précédé l’introduction de la règle 23ter(5) CBE, les procédés revendiqués sont brevetables étant donné que a) le recours à des marqueurs moléculaires est une étape technique exigeant le prélèvement et l’analyse in vitro des tissus végétaux, b) l’invention requiert l’emploi d’un matériel de départ non naturel, à savoir une souche haploïde doublée, et c) les souches de Brassica sauvage utilisées dans le procédé revendiqué doivent être spécifiquement mises en contact avec les lignées de brocoli via une intervention humaine.
VII. Les requérants I et II ont demandé que la décision attaquée soit annulée et le brevet révoqué. Ils ont également demandé que les questions de droit formulées à la page 10 du mémoire du requérant II en date du 4 avril 2006 soient soumises à la Grande Chambre de recours, au cas où la Chambre considérerait que les revendications 1 à 4 des présentes requêtes de l’intimé ne sont pas contraires aux dispositions de l’article 53b) CBE.
L’intimé a demandé que la décision contestée soit annulée et que le brevet soit maintenu sous une forme modifiée, sur la base des revendications 1 à 9 selon la requête principale ou sur la base des revendications 1 à 9 selon la requête subsidiaire, ces deux requêtes ayant été produites lors de la procédure orale du 5 mai 2006.
VIII. A l’issue de la procédure orale, la Présidente a prononcé la clôture des débats et annoncé que la Grande Chambre de recours serait saisie de questions de droit.
Motifs de la décision
S’agissant du motif d’opposition visé à l’article 100a) ensemble l’article 53b) CBE, la Chambre considère qu’une question de droit d’importance fondamentale se pose. Etant donné qu’aux termes de l’article 112(1)a) CBE, la Grande Chambre de recours ne doit être saisie que lorsqu’une décision est nécessaire, la Chambre a examiné si les autres motifs d’opposition s’opposent au maintien demandé du brevet litigieux sous une forme modifiée.
Requête principale
Extension de l’objet (article 123(2) CBE)
(…)
Suffisance de l’exposé (article 100b) CBE)
5. A la date de priorité du brevet en cause, des semences des espèces B. villosa et B. drepanensis étaient accessibles au public (voir document D17), tout comme les techniques d’obtention de lignées haploïdes doublées de brocoli (voir document D22). En l’absence de preuve du contraire, la Chambre ne voit pas de raison de penser que le procédé selon la revendication 1 ne pouvait pas être mis en oeuvre à l’aide du matériel et des techniques qui se trouvaient à la disposition du public. En outre, les procédés de rétrocroisement étaient généralement connus dans l’état de la technique (voir document D7) et, à la lecture de la description du brevet, l’homme du métier comprendrait que le rétrocroisement prévu à l’étape c de la revendication 1 devait être effectué avec la lignée de brocoli. Par ailleurs, l’étape de sélection d’hybrides présentant des teneurs en glucosinolates plus élevées que celles initialement trouvées dans les lignées haploïdes doublées de brocoli ne poserait, de l’avis de la Chambre, aucun problème à un homme du métier, étant donné que le paragraphe [0051] du brevet en litige se réfère à la littérature scientifique qui traite d’un procédé de mesure des teneurs en glucosinolates.
6. En ce qui concerne les marqueurs moléculaires qu’il convient d’utiliser aux étapes b et c du procédé selon la revendication 1, les documents D3 et D9 à D11 montrent qu’avant la date de priorité du brevet en cause, les procédés d’obtention de marqueurs moléculaires liés à un caractère souhaité étaient généralement connus dans l’état de la technique et avaient été utilisés dans le contexte des espèces Brassica. Même s’il faut déployer un certain nombre d’efforts pour mettre au point les marqueurs spécifiques requis, il s’agit néanmoins d’un procédé standard qui n’exige pas d’efforts excessifs. A la lumière de l’exposé du brevet en cause, et en particulier des lignes 1 à 4 du paragraphe [0043], l’homme du métier aurait ainsi été en mesure de produire des marqueurs appropriés.
7. La Chambre conclut dès lors que l’objet revendiqué remplit les conditions énoncées à l’article 83 CBE.
Droit de revendiquer la priorité (articles 87 et 88 CBE)
(…)
Nouveauté (article 54 CBE)
(…)
Activité inventive (article 56 CBE)
(…)
Exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux (article 53b) CBE)
Généralités
36. Le requérant II a invoqué le motif d’opposition visé à l’article 100a) ensemble l’article 53b) CBE. Il fait valoir que l’objet de la revendication 1 selon la requête principale de l’intimé est un procédé essentiellement biologique d’obtention de végétaux et, partant, qu’il est exclu de la brevetabilité au titre de l’article 53b) CBE.
37. Comme exposé en détail ci-dessous (points 62 à 66), l’issue de la présente affaire dépend de la manière dont il convient d’interpréter l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE. Etant donné que la Chambre estime que cette interprétation soulève une question de droit d’importance fondamentale, eu égard en particulier à la règle 23ter(5) CBE introduite en 1999 par le Conseil d’administration, elle a décidé de soumettre deux questions à la Grande Chambre de recours. Dans ces circonstances, il semble opportun d’effectuer une analyse complète des questions en cause. Par conséquent, la Chambre procédera ci-après à un examen détaillé de la genèse de l’article 53b) CBE (points 38 à 42) et de la jurisprudence pertinente des chambres de recours (points 43 à 47). Elle analysera ensuite l’éventuelle incidence de la règle 23ter(5) CBE sur l’interprétation de l’article 53b) CBE en présentant le contexte dans lequel cette règle a été introduite (points 48 à 50), sa genèse (points 51 à 52), sa signification possible (points 53 à 55) et certains doutes quant à son applicabilité (points 56 à 59).
Genèse de l’article 53b) CBE
38. Le texte de l’article 53b) CBE est pratiquement identique à celui de l’article 2b) de la Convention de Strasbourg sur l’unification de certains éléments du droit des brevets d’invention, qui fut signée en 1963. La seule différence réside dans le fait que cette dernière disposition ne fait pas obligation aux Etats signataires d’exclure de la brevetabilité l’objet mentionné, mais leur permet seulement d’inscrire une telle exclusion dans leur législation nationale. Comme le montre le contexte historique, ces deux dispositions ont été élaborées au début des années 60, les groupes de travail respectifs de la Communauté économique européenne et du Conseil de l’Europe s’influençant mutuellement. Les principales étapes de cette évolution sont exposées ci-après.
39. L’article 12 du premier avant-projet de convention du groupe de travail de la Communauté européenne, en date du 14 mars 1961 (voir Doc. IV/2071/61-E) s’énonçait ainsi :
“Il n’est pas délivré de brevets européens pour :
[1. …]
2. les inventions ayant pour objet l’obtention ou un procédé d’obtention d’une nouveauté végétale ou d’une nouvelle espèce animale.
Cette disposition ne s’applique pas aux procédés ayant un caractère technique.
[3. …].”
La proposition de texte a été expliquée comme suit (cf. Doc. IV/2071/61-E Commentaires, page 6) :
“Même si l’on exclut du droit européen des brevets la protection des nouveautés végétales et des procédés d’obtention de nouvelles plantes, il faut cependant maintenir la délivrance de brevets européens portant sur des procédés qui, tout en s’appliquant à des plantes, sont de nature technique, par exemple, un procédé pour la culture de nouvelles plantes par irradiation des plantes elles-mêmes ou des semences au moyen d’isotopes.”
40. L’article 2 de l’avant-projet de convention du Conseil de l’Europe (cf. Doc. EXP/Brev (61) 2 rév., page 26) s’énonçait comme suit :
“Les mots ‘susceptibles d’application industrielle’ doivent être pris dans leur acception la plus large.
Toutefois, les Etats contractants ne sont pas tenus de prévoir l’octroi de brevets pour les nouvelles espèces végétales ou animales ainsi que pour tout procédé purement biologique, horticole ou agricole (agronomique).”
Après des discussions approfondies lors d’une réunion du comité qui s’est déroulée du 7 au 10 novembre 1961, cette disposition a été sensiblement remaniée. Ainsi, les termes “horticole ou agricole (agronomique)” ont été supprimés et l’expression restante (“procédé purement biologique”) a été remplacée par l’actuelle formulation “procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux et d’animaux”. Une note du secrétariat du comité (cf. Doc. EXP/Brev 61(8), pages 4-5) contient les explications suivantes :
“Les procédés ‘d’obtention de végétaux ou d’animaux’ auxquels se réfère la nouvelle disposition sont ceux qui peuvent conduire à l’obtention de variétés ou de races connues, aussi bien que de variétés ou de races nouvelles, étant entendu que seules ces dernières variétés ou races sont éventuellement protégeables en soi. On peut citer comme exemples de tels procédés (dans le domaine végétal) une sélection ou une hybridation de variétés préexistantes. Le nouveau texte précise que les procédés qui peuvent être exclus de la brevetabilité sont les procédés essentiellement (et non plus purement) biologiques. Il allait de soi, en effet, que l’exclusion devait s’étendre à des procédés qui, fondamentalement, ont un tel caractère, même si, accessoirement, ils mettent en oeuvre des dispositifs ‘techniques’ (intervention d’un instrument de type particulier dans un procédé de greffe, ou d’une serre spéciale dans la production d’une plante), étant entendu que ces dispositifs techniques accessoires sont parfaitement brevetables, mais non le processus biologique dans lequel ils interviennent.”
Ces explications ont été reprises pratiquement mot pour mot dans le rapport du comité d’experts auprès du Comité des ministres sur la réunion qui s’est tenue à Strasbourg du 10 au 13 juillet 1962 (cf. Doc CM (62) 160, page 4, point 7).
41. Le texte sur lequel les experts du comité du Conseil de l’Europe se sont mis d’accord en novembre 1961 a été intégré dans l’article 2b) de la Convention de Strasbourg et ultérieurement dans l’article 53b) CBE. La seule autre modification acceptée a été d’ajouter la restriction selon laquelle la/les disposition(s) ne doit/doivent pas s’appliquer aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés. D’autres propositions visant à préciser l’exclusion (cf. Doc. EXP/Brev (62)(6), page 2) ou à la supprimer purement et simplement (cf. Doc. BR/135/71, page 52) ont été soumises, mais elles n’ont pas recueilli la majorité requise.
42. L’analyse ci-dessus des Travaux préparatoires montre que les rédacteurs de la disposition ont considéré que le terme “biologique” s’opposait au mot “technique”, qu’ils ont délibérément choisi l’adverbe “essentiellement” pour remplacer le terme plus restreint de “purement” et que les procédés d’obtention de végétaux fondés sur la sélection et l’hybridation tombaient selon eux sous le coup de l’exclusion, même si les aspects secondaires des procédés étaient caractérisés par l’utilisation de dispositifs techniques.
Jurisprudence pertinente
43. La disposition d’exclusion en cause a été examinée à plusieurs reprises par les chambres de recours. Dans la décision T 320/87 (JO OEB 1990, 71, points 6 et 9 des motifs), qui a été rendue par une chambre siégeant dans une formation de cinq membres et qui concernait l’obtention de plantes hybrides, il a été considéré que l’applicabilité de l’exclusion devait être appréciée sur la base de ce qui constitue l’essence de l’invention, en tenant compte de toutes les interventions humaines et des effets qu’elles exercent sur le résultat obtenu. Bien que la chambre ait considéré que l’exclusion devait faire l’objet d’une interprétation restrictive, la nécessité de l’intervention humaine, à elle seule, ne constituait pas selon elle un argument suffisant pour prouver qu’un procédé n’est pas “essentiellement biologique”. L’existence d’une intervention humaine permet seulement de conclure que le procédé n’est pas “purement biologique”, la contribution apportée par cette intervention pouvant demeurer insignifiante. La modification fondamentale que l’on entend apporter à un procédé connu d’obtention de végétaux peut porter soit sur les caractéristiques du procédé, c’est-à-dire sur ses éléments constitutifs, soit sur la séquence particulière des étapes du procédé si la revendication porte sur un procédé en plusieurs étapes. Cette affaire a été tranchée en faveur du demandeur/requérant car il a été considéré que les procédés d’obtention de plantes hybrides qui étaient revendiqués apportaient une modification essentielle à des procédés traditionnels d’obtention et à des procédés biologiques connus. Ainsi, l’efficacité et le rendement élevé obtenus avec le produit en question témoignaient de l’importance du caractère technique de l’invention.
44. Dans la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476), qui a été rendue par une chambre siégeant dans une formation de cinq membres, il a été considéré que l’exclusion correspondante des procédés essentiellement biologiques d’obtention d’animaux ne s’appliquait pas aux revendications de procédé visant à obtenir des mammifères transgéniques autres que l’être humain par incorporation au niveau des chromosomes d’une séquence oncogène activée dans le génome du mammifère. Etant donné que l’oncogène était inséré par un moyen technique dans un vecteur qui était ensuite micro-injecté à un stade embryonnaire précoce, il a été jugé que les procédés revendiqués n’étaient pas des “procédés essentiellement biologiques”.
45. La décision T 356/93 (JO OEB 1995, 545) concernait, entre autres, une revendication de procédé en vue de produire une plante ou le matériel de reproduction de cette plante. Le procédé comprenait la transformation des cellules ou du tissu desdites plantes avec un ADN recombinant comportant un certain ADN hétérologue, la régénération des plantes ou du matériel de reproduction à partir des cellules et du tissu transformés desdites plantes et, à titre optionnel, la réplication biologique des plantes en question ou du matériel de reproduction. La chambre a estimé que l’étape de “génie génétique” consistant à transformer les cellules ou le tissu des plantes avec un ADN recombinant constituait une étape technique essentielle qui avait un impact décisif sur le résultat final escompté et dont la mise en oeuvre était impossible sans intervention humaine. Elle a donc conclu que, considéré dans son ensemble, le procédé d’obtention de végétaux qui était revendiqué n’était pas essentiellement biologique.
46. Dans sa décision T 1054/96 du 13 octobre 1997 (JO OEB 1998, 511), la présente Chambre, siégeant dans une composition différente, a saisi la Grande Chambre de recours de plusieurs questions de droit relatives à l’interprétation de l’article 53b) CBE. L’une de ces questions était formulée en termes généraux et englobait l’interprétation de l’expression “procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux”. Dans ce contexte, la chambre a mis en évidence trois approches différentes susceptibles d’être appliquées pour parvenir au “jugement de valeur” requis (cf. points 25 à 29 des motifs). La première de ces approches est analogue à celle qui est mise en oeuvre dans le cadre de l’article 52(4) CBE pour les méthodes de traitement thérapeutique et chirurgical et conduit à la conlusion qu’il ne serait pas admis d’inclure dans un procédé revendiqué une étape de nature essentiellement biologique. La seconde approche est celle adoptée dans la décision T 320/87 (cf. point 43 ci-dessus). Selon la troisième approche, le procédé devrait, pour échapper à l’interdiction énoncée à l’article 53b) CBE, inclure au moins une étape de procédé “non biologique” qui soit clairement identifiée, mais pourrait comporter un nombre quelconque d’étapes supplémentaires “essentiellement biologiques” qui seraient admissibles grâce à l’étape de procédé “non biologique”. Il était précisé que cette approche, qui était adoptée à l’article 2(2) de la directive “Biotechnologie” de l’UE (à l’état de projet, à l’époque), serait la plus favorable pour les demandeurs, mais n’était pas celle qui avait jusqu’à présent été adoptée par les chambres de recours.
47. Dans sa décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111), la Grande Chambre de recours a répondu aux questions de droit qui lui avaient été soumises dans l’affaire T 1054/96. Cependant, elle s’est abstenue d’aborder sur le fond l’interprétation de l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE. Dans la mesure où le demandeur/requérant avait fait savoir à la Grande Chambre qu’il était disposé à apporter les modifications nécessaires pour limiter les revendications de procédé aux étapes du procédé qui pouvaient être identifiées, de manière à exclure les procédés essentiellement biologiques, il a été considéré qu’il restait encore à déterminer s’il y avait lieu de répondre à la question posée. La Grande Chambre a estimé qu’en l’absence de faits concrets, il ne convenait pas d’émettre de recommandations à cet égard.
Introduction de la règle 23ter(5) CBE
48. La décision du Conseil d’administration de l’OEB en date du 16 juin 1999, qui est entrée en vigueur le 1er septembre 1999, a transposé la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (ci-après dénommée directive “Biotechnologie”). Un nouveau chapitre VI a été introduit dans le règlement d’exécution de la CBE. Il comprend, entre autres, la nouvelle règle 23ter(5) qui s’énonce comme suit :
” Un procédé d’obtention de végétaux ou d’animaux est essentiellement biologique s’il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection.”
49. La décision du Conseil d’administration visait, d’une manière générale, à harmoniser le droit européen des brevets avec la directive “Biotechnologie” qui, selon la règle 23ter(1), deuxième phrase CBE, constitue un moyen complémentaire d’interprétation. Le texte de la règle 23ter(5) CBE est identique à celui de l’article 2(2) de la directive “Biotechnologie”.
50. Dans le Communiqué de l’OEB, en date du 1er juillet 1999, relatif à la modification du règlement d’exécution de la CBE (JO OEB 1999, 573, point 19), l’introduction de la nouvelle règle a été expliquée ainsi :
“La règle 23ter(5) définit plus précisément, conformément à l´article 2(2) de la directive, quand un procédé d´obtention de végétaux ou d´animaux est “essentiellement biologique”. Ainsi, elle précise en particulier l´article 53b) CBE et établit clairement que seuls les procédés d´obtention qui reposent intégralement sur des phénomènes naturels sont exclus de la brevetabilité. Même si les chambres de recours de l´OEB ne se sont à ce jour pas explicitement prononcées en ce sens (cf. T 320/87, T 19/90, T 356/93), l´interprétation qu´elles en ont donnée s´inscrit dans le cadre de la définition proposée.”
Genèse de la règle 23ter(5) CBE et de l’article 2(2) de la directive “Biotechnologie”
51. La genèse de la directive “Biotechnologie” montre que la formulation de la disposition qui devint par la suite l’article 2(2) a été modifiée à plusieurs reprises. Les trois projets suivants sont cités à titre d’illustration :
– Article 7 de la proposition d’origine (COM(88) 496 final / SYN 159 du 20 octobre 1988, JO CE Nº C 10/3 du 13 janvier 1989) :
“Les procédés dans lesquels l’intervention humaine ne se limite pas à sélectionner une matière biologique existante et à lui laisser accomplir une fonction biologique intrinsèque dans des conditions naturelles, mais va au-delà de ces actes, constituent un objet brevetable.”
– Article 6 de la position commune (CE) Nº 4/94 arrêtée par le Conseil le 7 février 1994 (JO CE Nº C 101/65 du 9 avril 1994) :
“Les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux ne sont pas brevetables. Pour la détermination de cette exclusion, l’intervention humaine et les effets d’une telle intervention sur le résultat obtenu sont pris en compte. Un procédé qui, pris comme un tout, n’existe pas dans la nature et est plus qu’un procédé traditionnel d’obtention est brevetable.”
– Article 2(2) de la proposition modifiée du 29 août 1997 (Doc. COM(97) 446 final, JO CE C 311/12 du 11 octobre 1997) :
“Un procédé d’obtention de végétaux ou d’animaux est essentiellement biologique s’il est fondé sur le croisement et la sélection.”
52. La formulation définitive de l’article 2(2) de la directive “Biotechnologie” n’a été arrêtée qu’à un stade tardif du processus législatif, à savoir lorsque le Conseil de l’Union européenne a adopté sa position commune (CE) nº 19/98 le 26 février 1998 (JO CE C 110/17 du 8 avril 1998). L’explication suivante a été donnée (cf. Exposé des motifs du Conseil, points 12 et 13, JO CE C 110/27 du 8 avril 1998) :
“Le Conseil a perfectionné la définition de la notion de procédé essentiellement biologique dans cette disposition, en se basant non seulement sur cet amendement 48, mais aussi sur l´amendement 22 proposé par le Parlement européen relatif au considérant 18 de la proposition initiale.
Compte tenu de l´inclusion d´une définition complète à l´article 2, paragraphe 2, le Conseil a donné une tournure déclaratoire au considérant correspondant (considérant 33 de la position commune).”
Interprétation de la règle 23ter(5) CBE
53. De l’avis de la Chambre, le libellé de l’article 2(2) de la directive “Biotechnologie” et de la règle 23ter(5) CBE est quelque peu difficile à comprendre. D’une part, seuls les procédés qui consistent intégralement en des phénomènes naturels sont considérés comme des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux. D’autre part, le croisement et la sélection sont cités comme exemples de phénomènes naturels. Or, cela semble dans une certaine mesure contradictoire en soi, car le croisement et la sélection systématiques, tels qu’on les pratique dans la sélection végétale traditionnelle, ne se produiraient pas dans la nature sans l’intervention de l’homme.
54. Malgré ces ambiguïtés, la Chambre considère que, eu égard notamment à l’emploi de l’adverbe “intégralement”, le texte de la règle 23ter(5) CBE vise une interprétation très restrictive de l’exclusion des procédés qui est formulée à l’article 53b) CBE. Elle interprète la règle 23ter(5) CBE comme signifiant qu’un procédé qui, outre des “phénomènes naturels” (lesquels semblent couvrir le croisement et la sélection par le biais d’une fiction juridique), contient une caractéristique supplémentaire de nature technique ne tomberait pas sous le coup de l’exclusion des procédés. Comme il a déjà été relevé dans la décision T 1054/96 (point 46 ci-dessus), cette approche n’est pas celle qui a été adoptée par les chambres de recours avant l’introduction de la règle 23ter(5) CBE. Aussi la Chambre peut-elle difficilement adhérer à ce qui est énoncé dans le Communiqué de l’OEB cité ci-dessus (point 50), lorsqu’il est dit que l´interprétation donnée par les chambres s´inscrit dans le cadre de la définition figurant dans la nouvelle règle.
55. Le requérant II a fait valoir que la règle 23ter(5) CBE ayant été formulée par le législateur en des termes différents des définitions énoncées aux paragraphes 3, 4 et 6, elle ne constitue pas une définition exhaustive. Aussi un procédé qui ne consiste pas intégralement en des phénomènes naturels doit-il être apprécié au regard de l’article 53b) CBE. Tout en admettant que la formulation de la règle 23ter(5) diffère de celle de la règle 23ter(3), (4) et (6), la Chambre n’adhère pas à la conclusion du requérant II. Compte tenu i) du contexte du paragraphe 5 au sein de la règle 23ter CBE, ii) du libellé du considérant 33 de la directive “Biotechnologie” (“Considérant qu’il est nécessaire de définir aux fins de la présente directive quand un procédé d’obtention de végétaux ou d’animaux est essentiellement biologique” (c’est la Chambre qui souligne)) et iii) de la genèse (point 52 ci-dessus), la Chambre estime que la règle 23ter(5) CBE était censée être une définition complète.
Il n’est donc pas possible de concilier les deux approches adoptées dans la jurisprudence des chambres de recours et à la règle 23ter(5) CBE de la façon proposée par le requérant II.
Doutes quant à l’applicabilité de la règle 23ter(5) CBE
56. De l’avis de la Chambre, l’introduction de la règle 23ter(5) CBE n’apporte pas de réponse définitive à la question de savoir quelle est l’approche qu’il convient d’adopter pour interpréter l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE. Trois argumentations peuvent être développées pour remettre en question ou limiter l’applicabilité de cette règle.
57. Une première argumentation (considérée comme la plus importante par la Chambre) se fonde sur l’article 164(2) CBE qui dispose qu’en cas de divergence entre le texte de la Convention et le texte du règlement d’exécution, le premier de ces textes fait foi. Si l’approche adoptée par les chambres de recours avant l’introduction de la règle 23ter(5) CBE reflète la signification véritable de l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE, on conçoit difficilement comment cette signification pourrait être changée par une modification du règlement d’exécution. Il est fait référence à la décision T 39/93 (JO OEB 1997, 134, point 3.2 des motifs) qui énonce qu’eu égard à l’article 164(2) CBE, l’interprétation correcte qui a été donnée d’un article de la CBE dans une décision de la Grande Chambre de recours ne saurait être remise en question par une nouvelle règle du règlement d’exécution dont l’application n’est pas compatible avec cette interprétation. Tout en reconnaissant que les décisions de la Grande Chambre de recours ont une autorité différente des décisions des chambres de recours (y compris celles qui sont rendues par cinq membres, comme ce fut le cas pour la décision T 320/87), la chambre relève cependant qu’à moins que la jurisprudence antérieure ait donné une interprétation erronée de l’article 53b) CBE, l’approche adoptée par la règle 23ter(5) CBE est contraire au sens véritable de l’article 53b) CBE et ne saurait être suivie eu égard à l’article 164(2) CBE.
58. Deuxièmement, on peut faire valoir que la compétence du Conseil d’administration pour modifier les dispositions du règlement d’exécution, conformément à l’article 33(1)b) CBE, n’englobe pas les questions fondamentales du droit matériel des brevets et que l’introduction de dispositions déterminant les limites de ce qui est brevetable outrepasse ses pouvoirs. Il est vrai que cet argument trouve quelque fondement dans la jurisprudence des chambres de recours. Ainsi, la décision rendue par la chambre de recours juridique dans les affaires jointes J 11/91 et J 16/91 (JO OEB 1994, 28 point 2.3.4 des motifs) va jusqu’à affirmer que le règlement d’exécution ne peut régir que les questions de procédure et non les questions de fond. Toutefois, cet argument a été explicitement rejeté dans la décision T 315/03 (JO OEB 2006, 15, point 5.8 des motifs), selon laquelle le choix entre les articles et le règlement d’exécution incombe exclusivement au législateur. En outre, dans sa décision G 2/93 (JO OEB 1995, 275), la Grande Chambre de recours a admis qu’en ce qui concerne les inventions microbiologiques, une disposition contenue dans le règlement d’exécution, en l’occurrence la règle 28 CBE, appliquait le principe général posé à l’article 83 CBE et était, au moins en partie, une disposition de fond.
59. Un troisième problème sur lequel il convient de se pencher dans la présente espèce concerne l’application dans le temps de la règle 23ter(5) CBE. Le brevet auquel il est fait opposition a été délivré sur la base d’une demande dont la date de dépôt (8 avril 1999) précède la date à laquelle les nouvelles règles 23ter à 23sexies CBE sont entrées en vigueur, à savoir le 1er septembre 1999 (voir point 48 ci-dessus). Etant donné que la décision du Conseil d’administration transposant la directive “Biotechnologie” ne contient aucune disposition transitoire, il convient en principe d’appliquer les nouvelles règles lorsqu’une décision doit être rendue dans une procédure en instance, quelle que soit la date de dépôt de la demande de brevet concernée (voir décisions T 272/95 du 23 octobre 2002, point 4 des motifs, et T 315/03, points 5.1 et 5.12 des motifs). Toutefois, dans la décision T 1374/04 du 7 avril 2006 (à publier au JO OEB ), la Grande Chambre de recours a été récemment saisie d’une question de droit similaire, à savoir si la nouvelle règle 23quinquies c) CBE s’applique à une demande déposée avant l’entrée en vigueur de cette règle. De l’avis de la présente Chambre, il ne serait donc pas opportun d’exprimer un avis définitif sur l’application dans le temps de la règle 23ter CBE. Cependant, si l’introduction de la règle 23ter(5) CBE a modifié le droit en ce sens qu’il a restreint la portée de l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE et, partant, élargi le domaine de ce qui est brevetable, il serait peut-être nécessaire de se demander s’il ne conviendrait pas de protéger les tiers qui s’attendent à ce qu’une activité représentant un procédé essentiellement biologique en vertu de la législation antérieure ne puisse pas être brevetée si la demande correspondante a été déposée avant l’entrée en vigueur de la règle 23ter(5) CBE.
Comment interpréter l’article 53b) CBE : une approche à déterminer
60. A ce jour, les chambres de recours n’ont encore jamais statué sur une affaire dont l’issue dépendait de la question de savoir quelle est celle des deux approches exposées ci-dessus qui est applicable. Lorsque la présente Chambre, siégeant dans une composition différente, a rendu sa décision finale dans l’affaire T 1054/96 le 6 décembre 2000, c’est-à-dire après l’introduction de la règle 23ter(5) CBE, elle a notamment examiné si les revendications de procédé, qui portaient sur l’obtention de plantes transgéniques et qui avaient été modifiées par le demandeur après que la Grande Chambre eut rendu sa décision dans l’affaire G 1/98, satisfaisaient aux exigences de l’article 53b) CBE. Les conclusions de la chambre sont énoncées au point 3 des motifs :
“Conformément aux revendications 23 et 24, la plante transgénique doit être obtenue par transformation et régénération. L’étape de transformation de la plante hôte exige que de l’ADN y soit introduit, c’est-à-dire qu’un certain nombre de manipulations purement techniques soient réalisées, comme l’isolation de l’ADN transformant (pages 21 à 32 de la demande), le fait de rendre l’hôte perméable à cet ADN (page 32) et le criblage des transformants (pages 38 et 42). La mise en oeuvre d’étapes de génie génétique constitue donc l’essence du procédé selon les revendications 23 et 24 dans leur présente version, de sorte que la revendication ne porte pas sur un procédé essentiellement biologique d’obtention de végétaux qui serait exclu de la brevetabilité au titre de l’article 53b) CBE. On aboutirait à la même conclusion si l’on appliquait la règle 23ter(5) CBE, en vigueur depuis le 1er septembre 1999 […], si bien qu’il n’y a pas de divergence entre les dispositions de la Convention sur le brevet européen et celles du règlement d’exécution eu égard à l’article 164(2) CBE.” (c’est la Chambre qui souligne)
Le passage en gras ci-dessus montre que dans cette affaire, la chambre était parfaitement consciente du fait qu’il existait un risque de conflit dans ce contexte, mais elle n’a pas eu besoin d’examiner ni de trancher cette question.
61. Dans la décision T 315/03, la chambre, siégeant dans une formation de cinq membres, a examiné l’objection selon laquelle le procédé revendiqué pour produire des souris transgéniques était un procédé essentiellement biologique d’obtention d’animaux (point 13.3.5 des motifs). Elle a cité la nouvelle règle 23ter(5) CBE et conclu qu’il allait de soi qu’un procédé comprenant une manipulation génétique ne consistait pas intégralement en des phénomènes naturels et qu’il n’était donc pas exclu au titre de l’article 53b) CBE. Bien que la chambre se soit appuyée sur la règle 23ter(5) CBE pour justifier la non-applicabilité de l’article 53b) CBE, il y a tout lieu de supposer, à la lumière de la décision T 19/90 qui a été rendue dans une procédure de recours ex parte (point 44 ci-dessus) dans la même affaire et où des revendications de procédé correspondantes étaient en cause, que le procédé revendiqué ne serait pas non plus tombé sous le coup de l’exclusion si l’on avait suivi l’approche “traditionnelle”.
Déterminer l’approche adéquate : quel intérêt pour la présente espèce ?
62. Comme exposé ci-dessous, l’issue de la présente espèce dépend de la question de savoir quelle est l’approche qu’il convient d’adopter pour interpréter l’article 53b) CBE. En effet, contrairement à la situation rencontrée dans les décisions T 1054/96 et T 315/03, les deux approches aboutiraient à des résultats différents.
63. La revendication 1 selon la requête principale de l’intimé porte sur un procédé d’obtention de Brassica oleracea ayant des teneurs élevées en certains glucosinolates. Le procédé comprend plusieurs étapes de croisement et de sélection. Le croisement initial (“étape a”) est opéré entre certaines espèces sauvages de Brassica oleracea et des lignées haploïdes doublées de brocoli. Parmi les hybrides obtenus, on sélectionne ceux qui présentent une teneur élevée en au moins l’un des glucosinolates spécifiques (“étape b”). Puis intervient une étape de rétrocroisement et de sélection (“étape c”). Cela signifie que les hybrides sélectionnés sont croisés avec des lignées haploïdes doublées de brocoli et qu’à nouveau on sélectionne les plantes qui présentent des teneurs élevées en au moins l’un des glucosinolates. Enfin, dans la dernière étape, on sélectionne une lignée de brocoli présentant la caractéristique souhaitée (“étape d”). La revendication précise en outre que des marqueurs moléculaires sont utilisés aux étapes b et c pour sélectionner des hybrides ayant la combinaison génétique souhaitée codant l’expression de teneurs élevées en glucosinolates.
La revendication 1 de la requête subsidiaire de l’intimé correspond à la revendication 1 selon la requête principale mais comprend en outre, comme première étape du procédé revendiqué, la caractéristique consistant à obtenir des lignées haploïdes doublées de brocoli.
64. L’intimé a fait valoir qu’il existe au moins trois niveaux d’intervention humaine qui font échapper l’invention revendiquée à l’exclusion de la brevetabilité visée à l’article 53b) CBE.
– Premièrement, le recours à des marqueurs moléculaires aux étapes b et c du procédé revendiqué est une étape technique exigeant le prélèvement et l’analyse in vitro de tissus végétaux.
– Deuxièmement, l’invention revendiquée exige l’emploi d’un matériel de départ non naturel, soit en l’occurrence une lignée haploïde doublée. Les lignées haploïdes sont obtenues en extrayant des microspores à partir d’anthères en cours de développement, à savoir des cellules qui ont subi une méiose (et sont donc haploïdes) et qui deviendraient du pollen. Les microspores sont placées dans un milieu dans une boîte de Petri contenant des hormones végétales sous l’action desquelles elles deviennent des plantes haploïdes. Celles-ci sont ensuite traitées à la colchicine, ce qui empêche la division cellulaire et “double” ainsi le nombre de chromosomes, de sorte que l’on obtient des plantes “haploïdes doublées”.
– Troisièmement, les lignées de Brassica sauvage mentionnées à l’étape a du procédé revendiqué poussent dans des zones géographiques isolées et il est peu probable qu’elles s’hybrident avec des lignées de brocoli, à moins qu’elles ne soient spécifiquement mises en contact via une intervention humaine.
65. Il résulterait de l’approche adoptée à la règle 23ter(5) CBE (point 54 ci-dessus) qu’au moins la première caractéristique invoquée par l’intimé suffirait pour que le procédé revendiqué ne tombe pas sous le coup de l’article 53b) CBE. Bien que la question de l’étendue sémantique du terme “marqueurs moléculaires” ait fait l’objet d’une controverse entre les parties, la Chambre est d’avis que le recours à de tels marqueurs implique une analyse en laboratoire du matériel végétal. Autrement dit, une étape technique nécessitant une intervention humaine est mise en oeuvre avant ou pendant la sélection.
66. Cependant, si l’approche adoptée par la présente Chambre dans ses précédentes décisions T 320/87 et T 356/93 est encore valable, aucune des caractéristiques invoquées par l’intimé ne ferait échapper le procédé revendiqué à l’exclusion des procédés prévue à l’article 53b) CBE.
– Le recours à des marqueurs moléculaires, tels que les marqueurs d’ADN, représente d’une manière générale une étape connue dans la sélection de plantes présentant les caractéristiques souhaitées. Les procédés permettant de découvrir et de produire des marqueurs moléculaires liés à un caractère souhaité sont généralement connus dans l’état de la technique et avaient déjà été utilisés dans le contexte des espèces Brassica (point 6 ci-dessus), ce que l’intimé a reconnu (section VI ci-dessus). Par conséquent, la Chambre ne considère pas que cette caractéristique est susceptible d’apporter une contribution non insignifiante à l’invention revendiquée.
– En ce qui concerne l’utilisation de lignées haploïdes doublées, il est à noter que la description du brevet ne contient aucun détail sur la façon dont de telles lignées peuvent en général être obtenues chez le brocoli, et se contente de faire référence à un document de l’état de la technique concernant une lignée spécifique (voir page 8, lignes 15 à 16 du brevet). De l’avis de la Chambre, cette absence d’information technique n’est pas critique au regard de l’article 83 CBE, étant donné que les lignées haploïdes doublées sont bien connues en soi dans le domaine de la sélection végétale et que les techniques permettant leur obtention chez le brocoli étaient accessibles au public (voir document D22 et point 5 ci-dessus). On ne saurait donc considérer que l’obtention de telles lignées constitue l’essence de l’invention revendiquée ou qu’elle apporte une contribution non insignifiante à celle-ci. En outre, la revendication 1 de la requête principale, contrairement à la revendication 1 de la requête subsidiaire, ne comprend pas la production d’une lignée haploïde doublée, mais uniquement son utilisation dans deux étapes du procédé revendiqué.
– De l’avis de la Chambre, que l’approche adoptée à la règle 23ter(5) CBE soit suivie ou non, l’argument de l’intimité selon lequel il est peu probable que les lignées de Brassica sauvage s’hybrident avec des lignées de brocoli dans la nature est inopérant dans le contexte de l’article 53b) CBE. Il est en effet improbable que même les formes les plus traditionnelles de sélection végétale, qui reposent entièrement sur le croisement et la sélection, interviennent en tant que telles dans la nature, celles-ci étant au contraire caractérisées par une forme quelconque d’intervention humaine (point 53 ci-dessus).
CONCLUSION
67. Etant donné ce qui précède, la Chambre conclut qu’il convient de soumettre à la Grande Chambre de recours, conformément à l’article 112(1)a) CBE, les deux questions de droit énoncées dans le dispositif ci-dessous. Lorsqu’elle a formulé ces questions, la Chambre a dûment pris en compte les suggestions du requérant II (voir page 10 de son mémoire du 4 avril 2006). Les questions ont toutefois été libellées en termes plus larges afin de laisser toute latitude à la Grande Chambre pour déterminer quelle est l’interprétation correcte de l’exclusion de procédés visée à l’article 53b) CBE.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. Un procédé non microbiologique d’obtention de végétaux qui comporte les étapes consistant à croiser et à sélectionner des végétaux échappe-t-il à l’exclusion visée à l’article 53b) CBE au seul motif qu’il contient une caractéristique additionnelle de nature technique, soit en tant qu’étape supplémentaire, soit en tant que partie d’une des étapes de croisement et de sélection ?
2. S’il est répondu par la négative à la question 1, quels sont les critères applicables pour distinguer les procédés non microbiologiques d’obtention de végétaux qui sont exclus de la protection par brevet en vertu de l’article 53b) CBE des procédés non exclus ? En particulier, importe-t-il de savoir en quoi réside l’essence de l’invention revendiquée et/ou si la caractéristique additionnelle de nature technique apporte une contribution non insignifiante à l’invention revendiquée ?