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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2015:T055713.20150717
Date de la décision : 17 Juillet 2015
Numéro de l’affaire : T 0557/13
Décision de la Grande Chambre des recours G 0001/15
Numéro de la demande : 98203458.9
Classe de la CIB : C10L 10/04
C10L 1/22
C10L 1/18
C10L 1/14
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Versions : OJ
Titre de la demande :
Nom du demandeur : Infineum USA L.P.
Nom de l’opposant : Clariant Produkte (Deutschland) GmbH
Chambre : 3.3.06
Sommaire :
Dispositions juridiques pertinentes :
Paris Convention Art 4g, 4f
European Patent Convention 1973 Art 52(1)
European Patent Convention 1973 Art 54(3)
European Patent Convention 1973 Art 100(a)
European Patent Convention 1973 Art 100(c)
European Patent Convention 1973 Art 89
European Patent Convention 1973 Art 112(1)(a)
European Patent Convention Art 76(1)
European Patent Convention Art 87
European Patent Convention Art 88
European Patent Convention Art 123(2)
Mot-clé : Priorité – Priorité partielle
Nouveauté – Demande initiale/demandes divisionnaires
Nouveauté – État de la technique au sens de l’article 54(3) CBE
Saisine de la Grande Chambre de recours – Questions de droit d’importance fondamentale
Saisine de la Grande Chambre de recours – Jurisprudence divergente
Exergue :

1. Lorsqu’une revendication d’une demande de brevet européen ou d’un brevet européen englobe des objets alternatifs du fait d’une ou de plusieurs expressions génériques ou d’une autre manière (revendication générique du type “OU”), le droit à une priorité partielle peut-il être refusé au titre de la CBE pour cette revendication dans la mesure où elle concerne un objet alternatif divulgué (de manière suffisante) pour la première fois, directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité ?

2. Si la réponse est oui, sous réserve de certaines conditions, la condition énoncée au point 6.7 de l’avis G 2/98, à savoir “à condition qu’elle conduise à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”, doit-elle être considérée comme le test juridique pour l’appréciation du droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type “OU” ?

3. Si la réponse à la question 2 est oui, de quelle manière les critères “nombre limité” et “objets alternatifs clairement définis” doivent-ils être interprétés et appliqués ?

4. Si la réponse à la question 2 est non, de quelle manière le droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type “OU” doit-il être apprécié ?

5. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, un objet divulgué dans une demande initiale, ou divisionnaire, d’une demande de brevet européen peut-il être cité comme état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE à l’encontre d’un objet divulgué dans le document de priorité et englobé en tant qu’alternative dans une revendication générique du type “OU” de ladite demande de brevet européen ou du brevet délivré sur la base de cette demande ?

Décisions citées :
G 0003/93
G 0002/98
G 0002/02
G 0003/02
G 0001/03
G 0001/05
G 0002/10
J 0015/80
T 0081/87
T 0085/87
T 0073/88
T 0441/92
T 0441/93
T 0395/95
T 0077/97
T 0352/97
T 0665/00
T 1127/00
T 1177/00
T 0015/01
T 0135/01
T 1443/05
T 0184/06
T 1877/08
T 0476/09
T 2311/09
T 0571/10
T 2406/10
T 1222/11
T 1496/11
T 2473/12
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
T 0239/13
T 0379/13
T 0557/13

Exposé des faits et conclusions

I. Le présent recours est dirigé contre la décision de la division d’opposition de révoquer le brevet européen n° 0 921 183.

II. Ce brevet avait été délivré sur la base de la demande de brevet européen n° 98203458.9, qui était une demande divisionnaire relative à la demande de brevet européen n° 95923299.2, ci-après dénommée la “demande initiale”. Celle-ci avait été déposée le 8 juin 1995 en tant que demande internationale (PCT/EP95/02251) et publiée le 14 décembre 1995 sous le numéro WO 95/33805 A1 (ci-après dénommée le “document D1”). Le brevet et la demande initiale revendiquaient la priorité de la demande nationale GB 9411614.2 (ci-après dénommée le “document D16”), déposée le 9 juin 1994.

III. Les revendications 1 et 7 du brevet s’énonçaient comme suit :

“1. Utilisation d’un agent améliorant l’écoulement à basse température, ledit agent améliorant l’écoulement à basse température étant un composé azoté polaire, soluble dans l’huile, portant deux ou plus de deux substituants de formule -NR**(13) R**(14), dans laquelle R**(13) et R**(14) représentent chacun un groupe hydrocarbyle contenant 8 à 40 atomes de carbone, sous réserve que R13 et R14 puissent être identiques ou différents, un ou plusieurs de ces substituants pouvant être sous forme d’un cation qui en est dérivé, pour augmenter le pouvoir lubrifiant d’une composition de fuel-oil ayant une teneur en soufre d’au plus 0,05 % en poids, dans laquelle 0,001 à 1 % en poids de l’agent améliorant l’écoulement à basse température, sur la base du poids du combustible, est présent.”

“7. Utilisation suivant l’une quelconque des revendications 1 à 4, dans laquelle le composé azoté polaire est le sel de N,N-dialkylammonium, d’un 2-N’,N’-dialkylaminobenzoate consistant en le produit de réaction d’une mole d’anhydride phtalique et de deux moles de di(suif hydrogéné)amine.”

IV. Il a été fait opposition au brevet pour les motifs visés à l’article 100a) CBE (absence de nouveauté et d’activité inventive) et à l’article 100c) CBE (non-respect des exigences prévues aux articles 123(2) et 76(1) CBE).

V. Dans la décision frappée de recours, la division d’opposition est parvenue aux conclusions suivantes :

– Les revendications du brevet ne peuvent appeler d’objections au titre de l’article 123(2) ou de l’article 76(1) CBE.

– L’objet de la revendication 1, qui résulte de la généralisation d’une divulgation plus spécifique contenue dans le document D16, relative à la nature du composé à utiliser en tant qu’agent améliorant l’écoulement à basse température, ne constitue pas la même invention que celle exposée dans le document D16. La priorité revendiquée n’est donc pas valable pour toute la portée de la revendication 1. De plus, se référant à l’avis G 2/98 (JO OEB 2001, 427, points 4, 6.6 et 6.7 des motifs), la division d’opposition a conclu que la “généralisation intermédiaire, dans la revendication 1 du brevet, des éléments divulgués dans le document de priorité D16 ne conduit pas à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” et que, par conséquent, “l’objet de la revendication 1 ne peut bénéficier que de la date de dépôt du 8 juin 1995”. La division d’opposition a ajouté que cette conclusion est conforme aux décisions T 665/00 du 13 avril 2005, T 1877/08 du 23 février 2010 et T 1496/11 du 12 septembre 2012.

– Bien que le brevet remplisse les conditions de l’article 76(1) CBE, il ne bénéficie pas de la date de priorité de la demande initiale D1, qui est donc comprise dans l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE. La division d’opposition a fait référence à cet égard à la décision T 1496/11 (points 2.1 et 3 des motifs).

– Il en découle que l’objet de la revendication 1 du brevet n’est pas nouveau en vertu de l’article 54(3) CBE, étant donné que l’utilisation de l’agent améliorant l’écoulement à basse température selon l’exemple 1 a été divulguée d’une manière identique dans les documents D16 et D1. Le mode de réalisation décrit dans D1 peut donc “se prévaloir de la date de priorité revendiquée du 9 juin 1994”, tandis que la revendication 1 du brevet ne peut “bénéficier que de la date de dépôt du 8 juin 1995”.

VI. Dans le mémoire exposant les motifs de son recours, le requérant (titulaire du brevet) a affirmé que l’objet de la revendication 1 du brevet était nouveau par rapport à D1. Il a essentiellement fait valoir qu’en vertu de l’article 76(1) CBE, une demande divisionnaire ne peut avoir une date de priorité différente de celle de la demande initiale dont elle est issue, et qu’elle ne saurait donc être considérée comme dépourvue de nouveauté par rapport à ladite demande initiale en vertu de l’article 54(3) CBE. Le requérant a cependant déposé un jeu de revendications modifiées à titre de requête subsidiaire AR1, dans lequel il a limité la portée de la revendication 1 modifiée afin de lever l’objection pour absence de nouveauté. À l’appui de ses arguments, il a produit les documents suivants :

D20 : Tobias Bremi, “Self-collision with your own priority application under Article 54(3)? – T 1443/05 and its possible consequences on filing strategies”, Mitt., Heft 5/2009, pages 206 – 210 ;

D21 : Expertise juridique du Professor U. Vollrath, datée du 12 avril 2005, soumise pendant la procédure de recours T 705/04 (18 pages, plus liste de publications), et, en annexe,

D21a : U. Joos, “Identität der Erfindung, Mehrfach- und Teilpriorität im europäischen Patentrecht”, in Straus, Joseph (Hrsg.), “Aktuelle Herausforderungen des geistigen Eigentums” – Festgabe für F.-K. Beier, Heymanns, Cologne, 1996, pages V et 73 – 85 ;

D22 : Article d’un blog, intitulé “Tufty the Cat: Article 54(3) and EP Divisionals”, et daté du 5 février 2011, ainsi que commentaires ; deux pages imprimées à partir du site http://tuftythecat.blogspot.co.uk/2011/02/article-543-and-ep-divisionals.html ; et,

D23 : M. Lawrence et M. Wilkinson, “Poisonous Divisions – thoughts and feedback since original publication of the ‘Poisonous Divisionals’ concept”, IP Europe Quarterly, février 2012, pages 1 – 6.

VII. Dans sa réponse, l’intimé (opposant) a réfuté les arguments du requérant, maintenu son objection pour absence de nouveauté sur la base du document D1 et soulevé des objections concernant la recevabilité et l’admissibilité de la requête subsidiaire AR1 du requérant. Il s’est référé au document :

D24 : Benkard, Patentgesetz, 10e édition, 2006, page 923, § 39, note 38.

VIII. Dans une autre lettre, le requérant s’est référé à la décision T 1222/11 du 4 décembre 2012 et au mémorandum C du document M/48/I, soumis lors de la conférence diplomatique de 1973 par la FICPI (“Fédération Internationale des Conseils en Propriété Industrielle”), ci-après dénommé le “mémorandum”.

Il a fait valoir qu’une priorité partielle devait être admise pour la revendication 1, et que l’objection pour absence de nouveauté fondée sur le document D1 devenait dès lors inopérante. À l’appui de ses moyens, il a joint les documents supplémentaires suivants :

D25 : R. Teschemacher, “Poisonous Divisionals – ein Gespenst verschwindet-“, Mitt., Heft 1/2014, pages 16 – 18 ;

D26 : R. Teschemacher, “Poisonous divisional applications – is the bogey going to disappear –”, Lexology, impression de 4 pages, 19 novembre 2013 ;

D27 : L. Walder-Hartmann, “Giftige Teilanmeldungen – Altlast oder Lärm um nichts –”, GRUR Int., 2014, pages 17 – 27.

IX. L’intimé a présenté d’autres observations écrites, réfutant les arguments du requérant, et a produit le document :

D28: Singer-Stauder “Europäisches Patentübereinkommen – Kommentar”, 6e édition, 2012, Article 123 CBE, note 43.

Il a également demandé, à titre de requête subsidiaire, que les questions A, B et/ou C suivantes soient soumises à la Grande Chambre de recours :

A) “L’expression “nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” signifie-t-elle, eu égard à la revendication du droit de priorité, qu’une revendication de brevet doit exposer des modes de réalisation dénombrables, qui soient indépendants les uns des autres, ou doit-elle être interprétée de telle sorte que le fait de pouvoir identifier uniquement sur un plan conceptuel des modes de réalisation enseignés dans le document de priorité, suffit pour considérer qu’ils représentent un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis, même s’ils ne sont pas individualisés dans la revendication ?”

(Traduction en anglais : “For claiming priority, does the expression ‘limited number of clearly defined alternative subject-matters’ mean that a claim must identify countable, mutually independent subject-matters, or is it to be interpreted such that the merely conceptual categorisation of embodiments taught in the priority document is already in itself to be regarded as a limited number of clearly defined alternative subject-matters, even if these subject-matters are not individualised as such in the claim?”)

B) “L’article 76(1) CBE signifie-t-il que la revendication de priorité dont une demande divisionnaire peut se prévaloir en vertu de la demande initiale à laquelle elle se rapporte, reste acquise pour le brevet délivré sur la base de la demande divisionnaire même si les revendications de ce brevet ne concernent plus la même invention, au sens de l’article 87(1) CBE, que celle divulguée dans le document de priorité ?”

(Traduction en anglais : “Does Article 76(1) EPC mean that the priority claim derivable by a divisional application from its parent application is preserved for the patent granted on the divisional application even if its claims as granted no longer relate to the same invention within the meaning of Article 87(1) EPC as that disclosed in the priority document?”)

C) “Une divulgation contenue dans une demande initiale qui bénéficie du droit de priorité revendiqué pour cette demande peut-elle être opposée, en tant qu’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE, à un brevet qui a été délivré sur la base d’une demande divisionnaire issue de cette demande initiale, dans la mesure où le droit de priorité revendiqué pour la demande initiale n’est pas valable pour ce brevet ?”

(Traduction en anglais : “Can a parent application’s disclosure which enjoys the priority right claimed for that application be cited as state of the art under Article 54(3) EPC against a patent granted on a divisional application of that parent application, if for this patent the priority right claimed in respect of the parent application is not valid?”)

X. Dans une notification émise en vue de préparer la procédure orale, la Chambre a indiqué qu’elle ne remettait pas en question la conclusion de la division d’opposition selon laquelle les revendications du brevet ne pouvaient appeler d’objections au titre de l’article 100c) CBE.

La Chambre a constaté des différences potentielles entre des éléments pertinents divulgués dans les documents D1 et D16. Elle a toutefois fait observer qu’une utilisation du produit selon l’exemple 1, telle que définie dans la revendication 1, semblait être divulguée dans D1 et D16, ainsi que dans le brevet. Le fait que cette utilisation semblait couverte par le libellé de la revendication 1 ressortait encore plus clairement à la lumière de la revendication dépendante 7.

La Chambre a également indiqué que la question de la nouveauté dépendait, le cas échéant, de celle de savoir si le brevet pouvait valablement revendiquer un droit de priorité pour cette utilisation, telle qu’englobée par la définition formulée en des termes plus génériques dans la revendication 1. Elle a ajouté que des questions seraient éventuellement soumises à la Grande Chambre de recours. S’agissant de la notion de “priorité partielle”, elle a renvoyé au document suivant :

D29 : Schricker, Fragen der Unionspriorität im Patentrecht, GRUR Int 1967, Heft 3, pages 85 – 93.

XI. Dans une autre notification écrite, la Chambre a attiré l’attention des parties sur la décision T 571/10 du 3 juin 2014.

XII. Dans sa lettre du 15 décembre 2014, le requérant a présenté un tableau mettant en regard les décisions des chambres de recours dans lesquelles une priorité partielle avait été soit acceptée soit refusée, ainsi que plusieurs “questions possibles en vue d’une saisine”, qui s’énoncent de la façon suivante :

“Lorsqu’une revendication d’un brevet européen ou d’une demande de brevet européen englobe un objet plus spécifique divulgué dans une demande antérieure dont la priorité est revendiquée, par exemple en raison du fait que la revendication en question contient un (des) terme(s) générique(s) ou une (des) formule(s) générique(s) qui englobe(nt) à la fois l’objet divulgué dans la demande fondant la priorité et une (des) variante(s) de cet objet :

1. L’expression “à condition qu’elle conduise à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” utilisée au point 6.7 de l’avis G 2/98 de la Grande Chambre de recours doit-elle s’appliquer en tant que test juridique permettant de déterminer le droit à une priorité partielle en vertu de l’article 88(2) et (3) CBE ?

2. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, comment le test formulé au point 6.7 doit-il s’appliquer dans la situation ci-dessus et, en particulier, dans quelles conditions une revendication contenant un (des) terme(s) générique(s) ou une (des) formule(s) générique(s) doit-elle être interprétée comme se rapportant à un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis ?

3. S’il est répondu par la négative à la question 1, quel est le test juridique en matière de priorité partielle d’une revendication contenant un (des) terme(s) générique(s) ou une (des) formule(s) générique(s) et comment doit-il s’appliquer à une telle revendication ?

Dans la situation définie ci-dessus, où :

i) le brevet européen était – ou la demande de brevet européen est – une demande divisionnaire, et où la revendication en question ne satisfait pas au test juridique en matière de priorité partielle tel que déterminé ci-dessus ;

ii) le brevet européen délivré sur la base de la demande initiale – ou la demande de brevet européen initiale – revendique la même priorité que la demande divisionnaire et divulgue, selon le texte publié, un objet spécifique qui était également divulgué dans la demande fondant la priorité et qui est compris dans la revendication de la demande divisionnaire ; et où

iii) le brevet européen délivré sur la base de la demande initiale – ou la demande de brevet européen initiale – et la demande divisionnaire désignent les mêmes États parties à la CBE,

4. l’article 76(1) CBE empêche-t-il cependant que des dates effectives différentes soient attribuées à la revendication de la demande divisionnaire et à l’objet spécifique, bénéficiant de la priorité, contenu dans le brevet européen délivré sur la base de la demande initiale ou dans la demande de brevet européen initiale ?

5. S’il est répondu par la négative à la question 4, le terme “demandes de brevet européen” utilisé à l’article 54(3) CBE doit-il être interprété en ce sens qu’il couvre également la demande initiale, si bien que la demande divisionnaire est antériorisée par la demande initiale dont elle est issue ?”

Dans une note de bas de page relative à ces questions, le requérant a indiqué que “si le test juridique en matière de priorité partielle permet dans tous les cas d’éviter la situation décrite aux points i) à iii), il ne sera pas nécessaire de répondre aux questions 4 et 5. Cependant, si l’éventualité d’une “priorité toxique” n’était pas écartée, les réponses aux questions 4 et 5 resteraient pertinentes pour le présent recours, ainsi que sur un plan général”.

XIII. La procédure orale a eu lieu le 17 décembre 2014.

Le requérant (titulaire du brevet) a demandé que la décision attaquée soit annulée et que le brevet soit maintenu tel que délivré (requête principale) ou, à défaut, qu’il soit maintenu sur la base du jeu de revendications figurant dans la requête subsidiaire AR1 déposée avec le mémoire exposant les motifs du recours.

L’intimé (opposant) a demandé que le recours soit rejeté.

L’intimé a confirmé expressément qu’il n’avait pas d’objections en vertu de l’article 100c) CBE à l’encontre des revendications du brevet tel que délivré (requête principale).

Les parties se sont accordées à dire que c’était la même utilisation du composé selon l’exemple 1 qui était divulguée respectivement dans les documents D1 et D16.

Le requérant a également réitéré sa requête visant à soumettre à la Grande Chambre de recours les questions formulées dans sa lettre du 15 décembre 2014, et l’intimé a fait part de son accord en ce qui concerne la requête en saisine. Les parties ont été entendues sur l’opportunité d’une saisine. La Chambre a annoncé qu’elle saisirait la Grande Chambre de recours et que la décision serait rendue par écrit.

XIV. Le requérant a invoqué pour l’essentiel les arguments suivants :

La division d’opposition a conclu à tort que

i) la revendication 1 ne bénéficiait pas de la priorité partielle découlant du document D16,

ii) “l’article 76(1) n’avait pas pour effet d’aligner la date de priorité (effective) des demandes initiale et divisionnaire”, et

iii) “le contenu de la demande initiale (exemple 1) avait une date effective antérieure à celle de la demande divisionnaire et antériorisait cette dernière en vertu de l’article 54(3) CBE” (“effet dit d’« autocollision », par lequel un membre d’une famille de brevets européens “compromet” un autre membre de cette famille”). La décision T 1496/11, sur laquelle s’est appuyée la division d’opposition, n’a ni envisagé la possibilité d’une priorité partielle, ni indiqué de motifs à l’appui de l’hypothèse que, d’une part, il convenait d’évaluer la question de la priorité de manière indépendante pour la demande initiale et la demande divisionnaire et que, d’autre part, une demande divisionnaire constituait une autre demande européenne opposable au titre de l’article 54(3) CBE.

Priorité partielle

Selon le requérant, l’approche correcte en matière de priorité partielle a été exposée dans la décision T 1222/11, qui fait référence à l’avis G 2/98 et au mémorandum (cf. également commentaires dans les documents D25 et D26). Si l’on applique aux faits de la présente espèce l’approche suivie dans l’affaire T 1222/11, il convient de reconnaître une priorité partielle pour la revendication 1 dans la mesure où elle englobe un objet divulgué dans le document établissant la priorité, en particulier l’utilisation du composé de l’exemple 1 qui est décrite dans ledit document. Par conséquent, la demande initiale D1 publiée, bien que divulguant la même utilisation, n’est pas destructrice de nouveauté. L’interprétation correcte de l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) est celle qui a été donnée dans la décision T 1222/11 et qui a été appliquée dans la décision T 571/10. Cette interprétation correspond du reste au but recherché, tel qu’exprimé dans le mémorandum. Contrairement aux approches différentes adoptées dans les décisions T 1443/05 du 4 juillet 2008, T 2311/09 du 2 septembre 2013, T 1127/00 du 16 décembre 2003, T 1877/08, et T 476/09 du 21 septembre 2012, cette interprétation n’a pas posé de problèmes pratiques aux demandeurs, notamment en ce qui concerne la rédaction des revendications. Le requérant estime qu’une décision de la Grande Chambre de recours sur la question de la priorité partielle est d’une importance fondamentale, étant donné l’incidence que pourrait avoir une telle décision sur les stratégies de dépôt des demandeurs. S’agissant du dépôt de demandes divisionnaires, il est en particulier nécessaire d’assurer à nouveau une application uniforme du droit. La jurisprudence des chambres de recours postérieure à l’avis G 2/98 présente des incohérences qui résultent d’une incertitude quant à la question de savoir si la condition énoncée au point 6.7 des motifs constitue bien un test juridique et, le cas échéant, quant à la manière dont cette condition doit être appliquée.

Article 76(1) CBE

Renvoyant notamment à l’article 4, lettres F et G de la Convention de Paris, à l’article 8 PCT, aux articles 87 à 89 CBE, à l’avis G 2/98 ainsi qu’aux décisions J 15/80 du 11 juin 1981 (points 3, 6 et 7 des motifs) et T 2473/12 du 5 novembre 2013 (point 5.3 des motifs), le requérant a fait valoir que la disposition de la Convention qui fait référence à la date de priorité d’une demande divisionnaire est l’article 76(1) CBE et que cet article doit être considéré comme une disposition autonome devant faire l’objet d’une interprétation à part entière. Il découle clairement de son libellé (“bénéficie du droit de priorité”) que la demande initiale et la demande divisionnaire doivent obligatoirement avoir les mêmes dates de dépôt et de priorité, et que celles-ci ne sauraient être dissociées sur la base d’une analyse juridique indépendante du droit à une priorité. De plus, l’article 76(1) CBE est le pendant de l’article 4G de la Convention de Paris, dont l’objectif est de préserver le bénéfice de la priorité au profit d’un demandeur qui a déposé une demande divisionnaire. Étant donné que le brevet a été délivré sur la base d’une demande divisionnaire qui avait été déposée en réponse à une objection pour absence d’unité soulevée au titre des dispositions du PCT, la décision attaquée se fonde sur une interprétation de l’article 76(1) CBE qui est contraire aux dispositions de la Convention de Paris. Si l’on interprète correctement l’article 76(1) CBE, la date effective d’une demande divisionnaire européenne est réputée être la même que celle de la demande de brevet européen. Cela permet d’éviter qu’elles n’interfèrent l’une avec l’autre eu égard à l’article 54(3) CBE.

Article 54(3) CBE

Si l’on suit l’approche juridique correcte en matière de priorité partielle, telle qu’exposée dans la décision T 1222/11, la même date de priorité sera toujours accordée pour un même objet. De plus, une revendication englobant, en tant que variante, un objet divulgué dans le document de priorité bénéficiera valablement de la priorité dans la mesure où elle englobe cet objet. La revendication ne bénéficiera pas de la priorité dans la mesure où elle englobe d’autres variantes (par exemple au moyen d’une généralisation). L’approche suivie dans la décision T 1222/11 garantit qu’une évaluation indépendante de la priorité pour les demandes initiale et divisionnaire européennes conduira à la reconnaissance de la priorité pour les revendications figurant dans chacune d’elles, dans la mesure où ces revendications portent sur l’objet divulgué dans le document de priorité. Dès lors qu’une revendication d’une de ces demandes couvre un objet exposé dans le document de priorité, cette revendication aura la même date de priorité que l’objet en question dans l’autre demande. Il n’y aura donc pas d’interférence en vertu de l’article 54(3) CBE, et l’ajout d’autres modes de réalisation à titre de variantes ne conduira pas à des demandes divisionnaires ou initiales “empoisonnées”.

Si une priorité partielle n’est pas reconnue, il faudra alors se demander si un brevet européen ou une demande divisionnaire européenne satisfaisant aux exigences de l’article 76(1) CBE pourra être considéré(e), en vertu des dispositions de l’article 54(3) CBE, comme dépourvu(e) de nouveauté par rapport à la demande initiale dont il(elle) est issu(e). Se référant aux documents D21 et D27, le requérant a fait valoir que s’il est interprété correctement, le terme “demandes de brevet européen” figurant à l’article 54(3) CBE n’inclut pas les demandes faisant partie de la même famille de demandes initiale et divisionnaires européennes. Dans le cas contraire, et si l’on poussait le raisonnement à l’extrême, une demande européenne pourrait même être considérée comme interférant avec elle-même. Les points de vue antagonistes sur cette question, tels que mis en lumière par les documents D21 à D23, dénotent la difficulté soulevée par le texte de l’article 54(3) CBE eu égard à la question de l'”autocollision” entre les demandes initiale et divisionnaires européennes. L’approche suivie par la division d’opposition est également en contradiction avec la position adoptée en vertu du droit allemand, laquelle correspond à celle prônée dans le document D21 au regard de la CBE. Le requérant s’est référé au commentaire juridique figurant dans “Patentgesetz mit EPÜ – Kommentar”, Schulte, 8e édition, 2008, notes 262, 264, 273 et 276) et concernant les dispositions de l’article 34 de la Loi allemande sur les brevets, ainsi qu’à la décision G 1/05 (JO EPO 2007, 362). De plus, s’appuyant entre autres sur l’article 4G(1) de la Convention de Paris et sur l’article 8.2)a) PCT, le requérant a affirmé qu’il existe un lien indéfectible entre les demandes initiale et divisionnaires européennes en ce qui concerne l’attribution des dates effectives et les droits qui en découlent. Les demandes initiale et divisionnaires européennes ne sauraient donc être considérées comme des demandes autonomes. Le requérant a indiqué en outre que des “considérations de politique publique” s’opposent à une éventuelle “pratique d’autocollision entre les demandes initiale et divisionnaires”.

XV. Les arguments de l’intimé peuvent être résumés comme suit :

Priorité partielle

Il découle de l’avis G 2/98 qu’une priorité ne peut être valablement revendiquée que si la revendication 1 peut être déduite directement et sans ambiguïté du contenu du document D16 dans son ensemble, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque la revendication 1 comporte des définitions plus étendues par rapport à la divulgation figurant dans le document D16. De plus, les critères permettant d’attribuer différentes dates de priorité à la revendication 1 en application de l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) ne sont pas remplis étant donné que la revendication 1 n’est pas une revendication du type “OU” qui englobe un “nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”, à savoir individualisés, et qu’elle s’appuie en revanche sur des définitions génériques d’objets en série. L’intimé a admis que, en ce qui concerne le sens à attribuer à l’expression “nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”, la jurisprudence des chambres de recours n’est pas cohérente. Il a établi une distinction entre les décisions T 1443/05, T 2311/09 et T 1127/00 d’une part, et la décision T 1222/11 d’autre part. Par conséquent, si la Chambre tend à considérer que la revendication 1 bénéficie de la priorité revendiquée, conformément au raisonnement suivi dans la décision T 1222/11, il y a lieu de soumettre la question A (ci-dessus) à la Grande Chambre de recours.

Article 76(1) CBE

L’article 76(1) CBE n’exclut pas que la priorité dont une demande divisionnaire, ou le brevet délivré sur la base de cette demande, est réputé(e) bénéficier, soit contestée et jugée non valable pour des motifs de fond. Ainsi, la revendication de priorité peut ne pas être valable si le brevet délivré sur la base de la demande divisionnaire comprend des revendications qui ne peuvent se prévaloir de la priorité. La priorité peut même ne pas être accordée pour une revendication de la demande divisionnaire telle que déposée s’il n’y a pas de concordance suffisante avec la divulgation contenue dans le document de priorité.

Une priorité dont un brevet délivré sur la base d’une demande divisionnaire est réputé bénéficier peut ne pas être reconnue étant donné que la demande initiale et la demande divisionnaire européennes sont, conformément à la jurisprudence, entièrement indépendantes l’une de l’autre. La demande divisionnaire proprement dite doit satisfaire aux diverses exigences de fond de la CBE (cf. T 441/92 du 10 mars 1995, point 4.1 des motifs, et T 1170/00, point 2.1 des motifs).

Ni le PCT ni la Convention de Paris n’excluent qu’une revendication de priorité puisse être jugée non valable si le critère relatif à la “même invention” n’est pas rempli. De même, ils ne comportent aucune disposition concernant la manière d’évaluer si l’invention est la même. Dans l’affaire en cause, la demande divisionnaire ayant donné lieu à la délivrance du brevet a été déposée en tant que demande européenne. Ce sont donc les dispositions de la CBE en matière de priorité qui sont applicables, et qui doivent être interprétées en conformité avec le PCT et la Convention de Paris. Étant donné que ni l’un ni l’autre ne contiennent de dispositions régissant cette question spécifique, il n’y a pas d’absence de conformité.

La référence au droit allemand effectuée par le requérant n’est ni appropriée ni concluante, puisque la question en jeu ne relève pas de la procédure (article 125 CBE) mais du fond. Selon le droit allemand, la priorité ne peut être conservée pour la demande divisionnaire que si son objet a été divulgué dans le document de priorité (cf. D24).

Si la Chambre estime néanmoins qu’une demande divisionnaire européenne ou le brevet correspondant et la demande initiale dont ils sont issus sont liés de telle manière que la demande divisionnaire ou le brevet correspondant bénéficient en tout état de cause de la priorité revendiquée par la demande initiale, il convient de soumettre la question B (ci-dessus) à la Grande Chambre de recours.

Article 54(3) CBE

Il est indifférent que la demande invoquée en tant qu’état de la technique au titre de l’article 54(3) CBE soit la demande initiale (comme dans la présente espèce), une demande divisionnaire (comme dans l’affaire T 1496/11) ou une quelconque demande européenne non apparentée. Il importe en revanche de déterminer si la revendication attaquée peut bénéficier de la priorité et, dans la négative, si la demande européenne invoquée en tant qu’état de la technique au titre de l’article 54(3) CBE comporte des éléments divulgués qui ont une date de priorité antérieure. Dans la présente affaire, la revendication 1 n’a pas droit à la priorité revendiquée, tandis que l’objet de la demande initiale D1 qui était déjà divulgué dans le document de priorité D16 bénéficie de cette priorité. La demande initiale et la demande divisionnaire étant indépendantes l’une de l’autre, D1 est compris dans l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE. Il y a donc bien absence de nouveauté.

L’article 54 CBE fait la distinction entre la “demande de brevet européen” examinée et “les demandes de brevet européen” en tant qu’état de la technique. Une demande de brevet européen ne peut, par conséquent, interférer avec elle-même.

Le document D21 est une expertise juridique soumise par l’une des parties dans une affaire différente. S’appuyant sur l’article 76(1) CBE, il pose comme principe qu’il existe des liens spécifiques entre une demande de brevet européen initiale et une demande divisionnaire, en ce sens qu’elles font partie d’un ensemble de demandes indissociables. Étant donné, toutefois, qu’une demande initiale et une demande divisionnaire sont indépendantes l’une de l’autre, il n’existe aucun lien spécifique pouvant justifier que l’on ne tienne pas compte de l’une par rapport à l’autre lors de l’application de l’article 54(3) CBE, comme le suggèrent les documents D21 à D23. Si la Chambre tend néanmoins à suivre un point de vue différent, il convient de soumettre la question C (ci-dessus) à la Grande Chambre de recours.

S’agissant des considérations de politique publique évoquées par le requérant, l’intimé a fait valoir que tout changement apporté au texte d’une demande européenne par rapport à la demande établissant la priorité peut toujours conduire à une perte de la priorité. Il est possible d’éviter cet écueil en déposant pour l’objet modifié une nouvelle demande fondant la priorité.

Motifs de la décision

Recevabilité du recours

1. Le recours est recevable.

Brevet attaqué ne pouvant appeler d’objections en vertu de l’article 100c) CBE

2. Dans sa notification en date du 26 novembre 2014, la Chambre a indiqué pour quelle raison elle ne remettait pas en question la conclusion de la division d’opposition selon laquelle les revendications du brevet tel que délivré ne pouvaient appeler d’objections en vertu de l’article 100c) CBE. De plus, pendant la procédure de recours, l’intimé n’a pas soulevé une telle objection. Aussi la Chambre conclut-elle, après avoir dûment réexaminé tous les aspects pertinents, que le brevet en litige ne peut donner lieu à des objections en vertu de l’article 100c) CBE.

Nouveauté : revendication 1 et divulgation contenue dans la demande initiale D1

3. Objet de la revendication 1

Les caractéristiques de la revendication 1 (cf. point III, ci-dessus) peuvent être regroupées de la manière suivante :

i) caractéristiques relatives à l’utilisation : “Utilisation d’un agent améliorant l’écoulement à basse température” (à savoir utilisation d’un composé en tant qu’agent améliorant l’écoulement à basse température) “pour augmenter le pouvoir lubrifiant d’une composition de fuel-oil” ;

ii) caractéristiques définissant le composé utilisé en tant qu’agent améliorant l’écoulement à basse température : “composé azoté polaire, soluble dans l’huile, portant deux ou plus de deux substituants de formule -NR**(13)R**(14), dans laquelle R**(13) et R**(14) représentent chacun un groupe hydrocarbyle contenant 8 à 40 atomes de carbone, sous réserve que R**(13) et R**(14) puissent être identiques ou différents, un ou plusieurs de ces substituants pouvant être sous forme d’un cation qui en est dérivé” ;

iii) caractéristiques définissant la composition de fuel-oil dont le pouvoir lubrifiant doit être augmenté : “composition de fuel-oil ayant une teneur en soufre d’au plus 0,05 % en poids” ; et,

iv) caractéristiques définissant la concentration de l’agent améliorant l’écoulement à basse température pendant l’utilisation : “dans laquelle 0,001 à 1 % en poids de l’agent améliorant l’écoulement à basse température, sur la base du poids du combustible, est présent”.

4. Objet du document D1 opposé à la revendication 1

4.1 Comme indiqué dans la décision frappée de recours, le document D1 divulgue au moins une utilisation spécifique englobée par les termes génériques de la revendication 1. Cet aspect n’est pas contesté.

4.2 Pour ce qui est de la nature de l’agent améliorant l’écoulement (cf. groupe 3ii) ci-dessus), le document D1 (page 19) divulgue plusieurs exemples d'”additifs utilisés”, l'”exemple 1″ étant formulé de la manière suivante : “composé azoté polaire, un sel de N,N-dialkylammonium d’un 2-N’,N’-dialkylaminobenzoate qui est le produit de réaction d’une mole d’anhydride phtalique et de deux moles de di(suif hydrogéné)amine”. Les substituants alkyles de ce composé, qui comprend un cation de dialkylammonium, proviennent du suif, une graisse naturelle consistant presque entièrement en un mélange d’esters de glycérol des acides gras C14, C16 et C18. Les substituants alkyles sont donc des “groupes hydrocarbyle contenant 8 à 40 atomes de carbone” au sens de la revendication 1. Le composé divulgué dans l’exemple 1 du document D1 est donc un mélange de composés représentant l’un des nombreux agents alternatifs améliorant l’écoulement qui peuvent être envisagés et qui sont englobés par la définition générique selon la revendication 1. Cela est également confirmé par le fait que la revendication dépendante 7 (cf. point III ci-dessus) mentionne de manière spécifique ce composé défini en tant que produit de réaction.

4.3 L’utilisation à laquelle cet agent améliorant l’écoulement à basse température est destiné (cf. groupe 3i) ci-dessus) selon le document D1 (cf. revendications 1, 14 et 15, page 1, avant-dernier paragraphe) est la même que celle selon la revendication 1, comme le montrent en particulier les parties suivantes du document D1 :

– page 17 : “divers additifs ont fait l’objet d’essais dans les combustibles I, II et III” ;

– page 18, dernier paragraphe : “divers additifs ont été utilisés dans les exemples numérotés, les résultats et les taux de concentration en ppm, en poids de la matière active sur la base du poids du combustible, étant indiqués dans les tableaux” ; et

– page 21 : “Résultats (combustible I)”, exemple 1 et “… tous les agents améliorant l’écoulement ont pour effet d’augmenter le pouvoir lubrifiant”.

4.4 En ce qui concerne le groupe 3iii) ci-dessus, le document D1 (page 17) divulgue l’utilisation du composé azoté polaire, soluble dans l’huile, de l’exemple 1 pour augmenter le pouvoir lubrifiant du “combustible I”, qui est “un carburant diesel de catégorie 1 commercialisé en Suède”, ayant une teneur en soufre de 0,001 % en poids, à savoir dans la plage d'”au plus 0,05 % en poids” prescrite par la revendication 1.

4.5 Pour ce qui est du groupe 3iv) ci-dessus, conformément à la page 21 du document D1 (données figurant à la première ligne du tableau, exemple 1), le composé de l’exemple 1 a fait l’objet d’essais avec un “taux de concentration” de 1 334 ppm (poids de la matière active, sur la base du poids du combustible ; cf. document D1, page 18, dernier paragraphe). Ce taux de concentration (0,1334 % en poids) est compris dans la plage de concentration allant “de 0,001 % à 1 %” définie dans la revendication 1 en cause. Il est également indiqué à la page 21 du document D1 (paragraphe entre les deux tableaux) que la réduction mesurée de l’usure suggérait une augmentation du pouvoir lubrifiant.

4.6 En résumé, le document D1 divulgue l’utilisation d’un agent améliorant l’écoulement à basse température, qui est un composé azoté polaire, soluble dans l’huile, couvert par la définition chimique générique selon la revendication 1, afin d’augmenter le pouvoir lubrifiant d’un combustible ayant une teneur en soufre définie dans la revendication 1, avec une concentration comprise dans la plage prescrite par la revendication 1.

Objection pour absence de nouveauté, fondée sur le document D1

5. Le document D1 en tant qu’état de la technique potentiel en vertu de l’article 54(3) CBE

La demande européenne initiale D1 a été publiée après la date (réputée être la date) de dépôt de la demande divisionnaire ayant donné lieu à la délivrance du brevet. Il n’est pas contesté qu’en ce qui concerne la demande initiale, publiée en vertu du PCT en tant que document D1, il est satisfait aux exigences des articles 54(4) et 158(2) CBE 1973.

6. Autres conditions à remplir

Pour que le document D1 soit destructeur de nouveauté en vertu de l’article 54(3) CBE, les trois conditions suivantes doivent également être remplies :

a) l’objet pertinent divulgué dans le document D1 (cf. point 4.6 ci-dessus) doit bénéficier de la date de priorité du document D16 ;

b) l’objet de la revendication 1 prétendument antériorisé par le document D1 ne doit pas bénéficier de la date de priorité du document D16 ; et

c) le document D1 doit effectivement pouvoir être considéré comme une demande européenne (interférente) au sens de l’article 54(3) CBE, même s’il constitue la demande initiale dont est issue la demande divisionnaire qui a donné lieu à la délivrance du brevet en litige.

7. Date de priorité de l’utilisation divulguée dans le document D1 – condition a) visée au point 6 ci-dessus

7.1 Le brevet et la demande initiale D1 revendiquent tous deux la priorité de la demande nationale antérieure D16. La division d’opposition a estimé (point 3.2, deuxième paragraphe, première phrase, de la décision) que le document D16 (page 20) divulgue de manière identique non seulement l’utilisation du composé d’addition de l’exemple 1 de D1 dans le même but, mais aussi les caractéristiques du combustible eu égard à sa teneur en soufre (page 19) ainsi que les résultats des essais concernant le taux de concentration et l’augmentation du pouvoir lubrifiant (page 22). Par conséquent, l’utilisation du composé azoté polaire de l’exemple 1 telle que divulguée dans le document D1 peut bénéficier de la priorité du document D16.

7.2 Dans sa notification du 26 novembre 2014 (points 4.1.1 à 4.1.3), la Chambre a mis en doute le fait que les utilisations divulguées respectivement dans les documents D16 et D1 soient réellement identiques, notamment eu égard à la teneur en soufre du combustible traité et au taux de concentration en ppm. Lors de la procédure orale, le requérant a dissipé les doutes de la Chambre en avançant les arguments suivants :

7.2.1 La teneur en soufre de “0,01 % en poids” mentionnée à la page 19, ligne 15, du document D16 est une erreur manifeste. L’additif de l’exemple 1 a fait l’objet d’essais avec un “carburant diesel de catégorie 1 commercialisé en Suède” (page 19, lignes 10-11). Conformément au document D16 lui-même (page 2, premier paragraphe complet), un tel carburant a une teneur en soufre inférieure à 0,001 % en poids. Cette donnée est également notoire, comme le prouve par exemple le document

D4 : A.M. Kulinowski et al., “Diesel Fuel Additives to Meet Worldwide Performance and Emissions Requirements”, SAE Technical Paper 932737, 1993, en particulier page 1, colonne de droite, deuxième paragraphe complet et tableau I à la page 2.

7.2.2 De plus, il n’y a aucune différence entre les taux de concentration mentionnés respectivement dans les documents D16 et D1. Les taux de concentration dans D16 se rapportent aux valeurs de concentration de la composition d’addition dans le combustible, alors que dans D1, ils se rapportent uniquement aux valeurs de concentration en matière active de la composition d’addition, ce qui explique que les valeurs sont plus faibles dans le deuxième cas. L’équivalence des taux de concentration apparaît évidente si l’on considère la valeur d’usure identique de 254µm mentionnée dans D1 et D16, lesquels ne se distinguent que par la manière dont la même concentration en additif actif est exprimée.

7.2.3 Lors de la procédure orale, l’intimé a confirmé expressément l’exactitude de ces informations et de la conclusion selon laquelle les utilisations du composé selon l’exemple 1, telles que décrites dans les documents D16 et D1, sont identiques.

7.3 Ainsi, la Chambre ne doute pas que les utilisations du composé selon l’exemple 1, telles que décrites dans les documents D16 et D1, soient effectivement identiques, notamment eu égard à la teneur en soufre du combustible et à la concentration de l’additif (taux de concentration), et que cette utilisation bénéficie par conséquent de la priorité du document D16.

La condition a) visée au point 6 ci-dessus est donc remplie.

8. Droit à la priorité (partielle) du document D16 pour la revendication 1 – condition b) visée au point 6 ci-dessus

8.1 Portée de la revendication 1 plus étendue que la divulgation pertinente contenue dans le document D16

8.1.1 Les parties s’accordent à dire que la revendication 1 englobe de manière générique notamment des objets alternatifs qui ne sont pas divulgués dans le document de priorité D16 mais qui résultent de généralisations de l’objet divulgué dans D16.

8.1.2 Selon les parties, la revendication 1 contient deux généralisations de ce type :

i) S’agissant des composés azotés polaires, solubles dans l’huile, qui sont destinés à être utilisés en tant qu’agent améliorant l’écoulement à basse température, le document D16 (cf. par exemple le paragraphe débutant à la page 10 et se poursuivant sur la page 11) divulgue les substituants -NR13R14 tels que définis dans la revendication 1, mais exclusivement en tant que substituants des sels d’amine ou des amides obtenus à partir de matériaux de départ spécifiques (cf. D16, revendication 15). La définition plus large des composés à utiliser selon la revendication 1 constitue une généralisation de la divulgation plus spécifique de ces composés dans D16.

ii) Alors que le document de priorité D16 (cf. par exemple la revendication 20) expose une plage allant de 0,01 % à 1 % en poids pour la concentration de l’agent améliorant l’écoulement à basse température, sur la base du poids du combustible, la revendication 1 définit la plage élargie allant de 0,001 % à 1 % en poids. Cette plage élargie représente une autre généralisation de la divulgation plus spécifique contenue dans D16.

La Chambre fait observer que dans cette analyse, les parties semblent s’être référées aux informations figurant dans les revendications 2, 14, 15 et 20 du document D16.

8.1.3 Cependant, si l’on se réfère à l’utilisation spécifique du composé de l’exemple 1, qui est invoquée en tant qu’élément détruisant la nouveauté de l’objet de la revendication 1, on note que celle-ci comporte les trois généralisations suivantes par rapport au document de priorité :

i) Le composé azoté polaire, soluble dans l’huile, spécifique de l’exemple 1 du document D16, à savoir le sel de N,N-dialkylammonium d’un 2-N’N’-dialkylaminobenzoate, qui est le produit issu de la réaction d’une mole d’anhydride de l’acide phtalique et de deux moles de di(suif hydrogéné)amine, a été généralisé par la formulation suivante : “composé azoté polaire, soluble dans l’huile, portant deux ou plus de deux substituants de formule -NR13R14 dans laquelle R13 et R14 représentent chacun un groupe hydrocarbyle contenant 8 à 40 atomes de carbone, sous réserve que R13 et R14 puissent être identiques ou différents, un ou plusieurs de ces substituants pouvant être sous forme d’un cation qui en est dérivé” ;

ii) le taux de concentration spécifique (concentration du composé azoté polaire) dans l’utilisation décrite dans le document de priorité, à savoir, exprimé en termes de matière active, 1 334 ppm (0,1334 % en poids), a été généralisé par la formulation suivante : “dans laquelle 0,001 à 1 % en poids de l’agent améliorant l’écoulement à basse température, sur la base du poids du combustible, est présent” ; et

iii) le combustible I spécifique, qui est un carburant diesel de catégorie 1 commercialisé en Suède et ayant une teneur en soufre de 0,001 % en poids, a été généralisé par la formulation suivante : “composition de fuel-oil ayant une teneur en soufre d’au plus 0,05 % en poids”.

8.1.4 L’utilisation du composé selon l’exemple 1, telle que divulguée dans le document D1, est décrite de manière identique dans la demande divisionnaire telle que déposée et dans le brevet. Cette utilisation constitue un mode de réalisation alternatif, qui présente toutes les caractéristiques cumulées (cf. point 4.6 ci-dessus) de l’utilisation définie en des termes plus larges dans la revendication générique 1. Cela ressort également clairement de la revendication dépendante 7, qui porte expressément sur l’utilisation du composé spécifique selon l’exemple 1.

8.2 Priorité partielle – revendications génériques du type “OU” – terminologie

8.2.1 Aux fins de la présente décision, la Chambre emploie l’expression “priorité partielle” dans un sens étroit (cf. Schricker (D29), point II.1, deuxième paragraphe ; mémorandum, paragraphe 38), afin de désigner la situation dans laquelle une partie de l’objet d’une revendication peut bénéficier de la date de priorité d’une seule demande antérieure, tandis que l’objet restant a seulement droit à la date de dépôt de la demande de brevet européen ultérieure.

8.2.2 Aux fins de la présente décision, une revendication générique du type “OU” est une revendication portant sur un objet défini par une ou plusieurs expressions génériques, comme une formule chimique, une plage continue de valeurs numériques ou une définition fonctionnelle, ou d’une autre manière. Une revendication générique du type “OU” englobe, sans les exposer explicitement, des objets alternatifs possédant toutes les caractéristiques de la revendication.

8.2.3 Le fait de reconnaître le droit à une priorité partielle pour une telle revendication générique du type “OU” dans la mesure où celle-ci englobe un objet alternatif divulgué directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité, signifie que cet objet alternatif bénéficie de la date de priorité revendiquée comme date de dépôt effective.

8.3 Divergences de vues entre les parties sur la question de la priorité partielle

Les parties sont en désaccord en ce qui concerne la date (les dates) de priorité pouvant être accordée(s) à l’objet (aux objets) de la revendication 1.

8.3.1 Le requérant a estimé qu’une priorité partielle doit être accordée à la revendication 1 dans la mesure où celle-ci englobe, en tant que variante faisant partie d’une pluralité d’autres solutions possibles, l’utilisation du composé de l’exemple 1 telle que décrite à la fois dans le document D1 et dans le brevet, à savoir, précisément, l’utilisation que l’intimé considère comme destructrice de nouveauté. Plus particulièrement, le requérant a fait valoir que si l’approche exposée dans la décision T 1222/11 est appliquée, les critères indiqués dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) sont remplis.

8.3.2 L’intimé a soutenu en revanche que la revendication 1 ne peut bénéficier de la priorité, puisqu’en raison de la généralisation opérée dans la revendication 1, l’invention revendiquée n’est pas la même que celle divulguée dans le document de priorité D16. Même une priorité partielle ne saurait être reconnue, étant donné que la revendication 1 n’expose pas explicitement de variantes. Pour ce qui est de l’applicabilité des critères énoncés dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), il est exact que la jurisprudence est divergente.

8.4 Décision relative à la nouveauté susceptible de dépendre de l’approche adoptée en matière d’appréciation du droit à une priorité partielle

En ce qui concerne la condition b) énoncée au point 6 ci-dessus, la Chambre considère que la décision relative à la nouveauté de l’objet de la revendication 1 peut dépendre de l’approche qui est adoptée lorsqu’il s’agit d’apprécier le droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type “OU”. Il convient en l’espèce de déterminer concrètement si la revendication 1 bénéficie d’une priorité partielle dans la mesure où l’utilisation du produit de l’exemple 1, telle que divulguée dans D16, est englobée par la définition plus générique de la revendication 1, plutôt que d’y être exposée explicitement. La question de savoir quelle approche il convient d’adopter à cette fin sera approfondie plus loin dans le présent exposé des motifs.

9. Demande initiale D1 en tant que demande potentiellement interférente au sens de l’article 54(3) CBE – condition c) ci-dessus

La Chambre se borne à constater à ce stade que si le point de vue de l’intimé sur la priorité partielle est avéré, il sera également nécessaire, avant qu’une décision finale sur la nouveauté puisse être prise au sujet de la revendication 1, d’évaluer les arguments des parties concernant les articles 76(1) et/ou 54(3) CBE eu égard à la possibilité d’une interférence entre le brevet et la demande initiale D1 dont il est issu.

Priorité partielle – cadre juridique

10. Convention de Paris

10.1 Règles établies par la Convention de Paris concernant le droit de priorité (article 4, lettres A à I)

L’article 4F traite de la possibilité de priorités multiples et partielles. À cet égard, il convient de se référer à Bodenhausen, “Guide d’application de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle”, BIRPI, Publication de l’OMPI, réimprimé en 2007, page 55, paragraphes a) et d), qui renvoie à Schricker (D29). Il y a également lieu de consulter le document D21b : Beier & Moufang, GRUR Int., 1989, 869 (version anglaise dans IIC, 1990, 593), qui montre la propension du système international de propriété industrielle à reconnaître les priorités multiples et partielles, la mise au point d’inventions étant considérée comme un processus d’innovation qui s’achève rarement après le dépôt d’une demande de brevet (cf. également T 15/01, JO OEB 2006, 153, point 33 des motifs).

L’article 4G concerne la division des demandes de brevet et prévoit que le demandeur peut conserver, s’il y a lieu, “le bénéfice du droit de priorité”.

11. Travaux préparatoires à la CBE 1973 – mémorandum

11.1 Dans la partie I du mémorandum consacrée aux “Priorités multiples” (cf. ci-dessus), il est souligné que la question de la revendication de priorité donnait lieu à des approches divergentes ou ambiguës selon les pays, et qu’il était donc essentiel de clarifier la situation dans le cadre de la CBE au moyen d’une disposition expresse, afin que les demandeurs sachent comme rédiger leurs revendications de brevet dans de tels cas.

11.2 Eu égard à la revendication de priorités multiples pour une seule et même revendication, le mémorandum fait la distinction entre :

– la revendication du type A+B (revendication du type “ET”, revendication trop limitée pour être soutenue par le contenu du premier document de priorité) ; et

– la revendication du type A ou B (revendication du type “OU”, revendication trop étendue pour être soutenue par le contenu du premier document de priorité).

11.3 En ce qui concerne les situations liées aux revendications du type “OU”, il est indiqué dans le mémorandum que “si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A, une revendication de la demande pour A ou B consistera en fait en deux parties distinctes, respectivement A et B, chacune étant complète en elle-même, et il semble qu’il n’y ait aucune raison qu’il ne soit pas possible de revendiquer la première priorité pour la partie A de la revendication et la seconde priorité pour la partie B”. À ce sujet, le mémorandum souligne également qu'”il est sans importance que le mot “ou” se trouve réellement dans la revendication ou soit sous-entendu dans l’utilisation d’un terme générique, ou autrement” (cela correspond à une revendication générique du type “OU” selon la terminologie utilisée par la Chambre).

11.4 Le mémorandum comporte des exemples illustrant des situations liées à des revendications du type “OU” dans lesquelles il serait souhaitable que des priorités multiples puissent être revendiquées pour une seule et même revendication :

a) élargissement des formules chimiques ;

b) élargissement de la portée (température, pression, concentration, etc.) ; et

c) élargissement du champ d’application.

Cette revendication du type “OU” bénéficierait de la priorité

– à partir de la date de la première priorité, dans la mesure où elle englobe l’objet défini de manière étroite qui est divulgué dans le premier document de priorité, et

– à partir de la date de la seconde priorité pour le reste des objets qu’elle englobe.

11.5 Dans la partie II relative aux “Priorités partielles”, les aspects suivants sont soulignés :

– “la revendication de priorités partielles devrait être régie par les mêmes principes que ceux développés au sujet de la revendication de priorités multiples”, et

– “il serait bon de revendiquer une priorité partielle dans les situations correspondant au type “OU” de la section “priorités multiples”, la demande de brevet européen (prenant) la place du second document de priorité”.

11.6 Le mémorandum mentionne également les avantages qui découlent de l’admission des priorités multiples et partielles, notamment le fait d’éviter la multiplication des revendications, et les inconvénients éventuels dans les procédures nationales postérieures à la délivrance.

11.7 Il ressort du procès-verbal de la conférence diplomatique de Munich de 1973 (M/PR/I, “Article 86 (88) Revendication de priorité”, points 308 à 317), que le mémorandum a joué un rôle essentiel dans le processus rédactionnel de la disposition de la CBE qui permet de revendiquer des priorités multiples pour une seule et même revendication et qui a été finalement adoptée.

12. Convention sur le brevet européen

12.1 Aux termes de son préambule, la CBE constitue un “arrangement particulier au sens de l’article 19 de la Convention de Paris”. Par conséquent, elle ne doit pas contrevenir aux principes fondamentaux énoncés en matière de priorité dans ladite Convention (cf. G 2/98, point 3 des motifs ; cf. également J 15/80, point 7 des motifs ; T 2473/12, point 5.3 des motifs).

12.2 L’article 88(2), deuxième phrase CBE prévoit que “le cas échéant, des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une même revendication.”

12.3 L’article 88(3) CBE dispose que “lorsqu’une ou plusieurs priorités sont revendiquées pour la demande de brevet européen, le droit de priorité ne couvre que les éléments de la demande de brevet européen qui sont contenus dans la demande ou dans les demandes dont la priorité est revendiquée.”

12.4 Selon l’article 76(1), deuxième phrase CBE 1973 (applicable dans la présente espèce), une demande divisionnaire de brevet européen “ne peut être déposée que pour des éléments qui ne s’étendent pas au-delà du contenu de la demande initiale [CBE 2000 : “antérieure”] telle qu’elle a été déposée ; dans la mesure où il est satisfait à cette exigence, la demande divisionnaire est considérée comme [CBE 2000 : “réputée”] déposée à la date de dépôt de la demande initiale [CBE 2000 : “antérieure”] et bénéficie du droit de priorité.”

Jurisprudence concernant la question de la priorité partielle

13. Jurisprudence antérieure à l’avis G 2/98

13.1 Remarque préliminaire relative à l’exigence de “même invention”

La Chambre fait observer qu’avant l’avis G 2/98, deux approches différentes avaient été adoptées eu égard à l’exigence de “même invention” prévue à l’article 87(1) CBE, à savoir une approche souple (T 73/88 (Snackfood/Howard), JO OEB 1992, 557) et une approche stricte fondée sur le test de la divulgation. Conformément à cette dernière approche, toutes les caractéristiques de l’objet revendiqué devaient être divulguées directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité dans la combinaison revendiquée (cf. par exemple T 81/87, JO OEB 1990, 250, point 12 des motifs ; T 77/97 du 3 juillet 1997, points 6.4 et 6.5 des motifs). Cette divergence a été à l’origine de la saisine G 2/98 et a été résolue en faveur de l’approche stricte.

13.2 Décisions des chambres de recours sur la priorité partielle

La Chambre n’a pas connaissance d’une décision relative à la priorité partielle qui aurait appliqué l’approche souple. En revanche, il existe des décisions qui ont suivi l’approche stricte pour trancher la question de la priorité partielle. Elles ont toutes reconnu la priorité partielle pour des revendications génériques du type “OU”.

Élargissement de formules chimiques génériques

13.2.1 Dans l’affaire T 85/87 du 21 juillet 1998, la revendication 1 portait sur des composés définis par une formule chimique générique qui était plus étendue que la formule générique divulguée dans le document de priorité, et ce en raison de modifications apportées aux définitions de certains substituants. Selon la chambre chargée de l’affaire (points 3 et 4 des motifs), il découlait de l’article 88(3) CBE qu’une revendication d’une demande de brevet européen peut contenir des objets qui vont au-delà de ce qui est divulgué dans le document de priorité. En d’autres termes, une telle revendication ne peut bénéficier que partiellement de la priorité, à savoir uniquement pour les éléments divulgués dans le document de priorité. Par conséquent, il n’était pas nécessaire en l’occurrence que l’ensemble de la revendication 1 bénéficie de la date de priorité revendiquée. La priorité a donc été reconnue pour une partie de la revendication 1, dans la mesure où la formule générique figurant dans le document de priorité et celle contenue dans la revendication 1 concordaient entièrement en ce qui concerne la signification des substituants (point 4 des motifs). Une autre demande de brevet européen qui divulguait un composé spécifique couvert par ladite partie de la revendication 1, mais dont la date effective était postérieure à la date de priorité revendiquée par la demande en cause, n’a donc pas été considérée comme un élément de l’état de la technique en vertu de l’article 54(3) CBE. La chambre n’a toutefois pas reconnu la priorité pour une revendication dépendante portant sur ce composé spécifique, puisqu’elle a estimé que celui-ci, en application des principes définis par les chambres de recours pour déterminer la nouveauté de composés chimiques (individuels) spécifiques par rapport à la divulgation générique d’un groupe de composés, n’était pas exposé dans le document de priorité. Le composé spécifique divulgué dans l’autre demande de brevet européen antériorisait par conséquent l’objet de cette revendication dépendante.

13.2.2 Dans la décision T 352/97 du 24 octobre 2000 (points 3.4.2 et 3.4.3, deuxième paragraphe, des motifs), la chambre a suivi l’approche adoptée dans l’affaire T 85/87, pour évaluer dans quelle mesure une revendication portant sur des composés définis par une formule générique pouvait bénéficier d’une priorité partielle.

Élargissement des plages de valeurs de compositions

13.2.3 Dans l’affaire T 395/95 du 4 septembre 1997, la revendication 1 concernait l’utilisation comme agent d’adhésivité d’une composition comprenant “une résine ayant un point de ramollissement de 10°C à 120°C, qui est un copolymère … contenant 10 % à 60 % en poids des composés aromatiques monovinyliques” (c’est la Chambre qui souligne). La chambre (point 2.1.1 des motifs), se référant à l’article 88(3) CBE, a estimé que le droit de priorité ne couvrait que les éléments de la demande de brevet européen (et, par voie de conséquence, du brevet européen) qui figuraient dans la demande dont la priorité était revendiquée. Le droit de priorité ne pouvait donc pas être reconnu pour les parties des revendications qui portaient sur une résine ayant un point de ramollissement supérieur à 80°C sans dépasser 120°C et/ou contenant plus de 30 à 60 % en poids des composés aromatiques monovinyliques, étant donné que ces objets n’étaient pas divulgués dans le document de priorité. Il en découlait qu’une demande de brevet européen publiée pendant le délai de priorité faisait partie de l’état de la technique en vertu de l’article 54(2) CBE pour les objets couverts par les revendications mais non divulgués dans le document de priorité, ainsi qu’en vertu de l’article 54(3) CBE pour les objets couverts par les revendications et divulgués dans le document de priorité.

Élargissement d’un procédé

13.2.4 Dans l’affaire T 441/93 du 27 mars 1996 (points 19 et 20 des motifs), une partie de l’objet revendiqué a pu bénéficier d’une priorité partielle dans la mesure où elle était divulguée dans le document de priorité (procédé de transformation des protoplastes), tandis que le procédé de transformation de cellules entières, qui était également couvert par la revendication 1, ne pouvait bénéficier, selon la chambre, que de la date de dépôt de la demande de brevet européen. Aussi un article scientifique publié pendant le délai de priorité a-t-il été considéré comme compris dans l’état de la technique uniquement en ce qui concerne les parties de l’objet revendiqué qui n’étaient pas divulguées dans le document de priorité.

14. Avis G 2/98 – principes régissant la priorité

14.1 L’avis G 2/98 concerne l’interprétation de l’exigence de “même invention” prévue à l’article 87(1) CBE. La Grande Chambre de recours a énoncé les principes suivants :

14.1.1 Compte tenu de l’article 4, lettres F et H de la Convention de Paris, il a été reconnu (point 4 des motifs, notamment deuxième paragraphe) que :

– la priorité ne peut être refusée pour le motif qu’une demande revendiquant une ou plusieurs priorités contient un ou plusieurs éléments qui n’étaient pas compris dans la demande dont la priorité est revendiquée, à la condition qu’il y ait unité d’invention ;

– en ce qui concerne cet ou ces éléments qui n’étaient pas compris dans le document de priorité, le dépôt de la demande ultérieure donne naissance à un droit de priorité dans les conditions ordinaires ;

– comme en vertu de l’article 4H de la Convention de Paris, l’invention pour laquelle est revendiquée la priorité ne doit pas nécessairement être définie dans une revendication de la demande dont la priorité est revendiquée, un “élément” au sens de l’article 4F de la Convention de Paris est un objet qui a été exposé de façon précise, explicitement ou implicitement, dans les pièces de la demande exposant l’invention, notamment sous la forme d’une revendication, d’un mode de réalisation ou d’un exemple ;

– la possibilité de revendiquer des priorités multiples a été introduite dans la Convention de Paris afin d’éviter que le demandeur ait à déposer des demandes de brevets d’addition pour faire protéger des perfectionnements de l’invention initiale. Ceci montre clairement que le terme “élément” ne devait pas désigner une caractéristique, mais un mode de réalisation.

14.1.2 Au point 5 des motifs, la Grande Chambre de recours a considéré qu’une interprétation stricte de la notion de “même invention” mentionnée à l’article 87(1) CBE, considérée comme équivalente à la notion de “même objet” qui figure à l’article 87(4) CBE, est parfaitement compatible avec les articles 4F et 4H, ainsi que 4A(1) de la Convention de Paris. On estime toutefois généralement que le dépôt ultérieur doit avoir le même objet que le premier dépôt sur lequel se fonde le droit de priorité. Cela découle de la finalité et de l’objectif mêmes du droit de priorité : la protection contre les divulgations destructrices de nouveauté pendant une période de douze mois à compter de la date de dépôt de la première demande n’est nécessaire que dans le cas du dépôt d’une demande ultérieure relative à la même invention. Une interprétation aussi stricte est également compatible avec l’article 4C(4) de la Convention de Paris, selon lequel doit être considérée comme première demande une demande ultérieure ayant le même objet qu’une première demande antérieure, à la condition que certaines conditions soient remplies.

14.1.3 Au point 6 des motifs, la Grande Chambre de recours a indiqué que bien que l’article 88 CBE se rapporte principalement aux aspects procéduraux et formels de la revendication de priorité, il a également trait à des questions de fond qui doivent être traitées conformément aux principes de base posés à l’article 87(1) CBE. Les points 6.1 à 6.8 des motifs concernent de manière spécifique la possibilité de revendiquer des priorités multiples pour une seule revendication :

– L’article 88(2), première phrase, et l’article 88(3) CBE correspondent à l’article 4F de la Convention de Paris, et l’article 88(4) CBE correspond presque mot pour mot à l’article 4H de la Convention de Paris.

– Étant donné que les revendications définissent l’objet de la protection demandée et, par conséquent, déterminent l’objet pour lequel la priorité peut être revendiquée, l’expression “éléments de l’invention” à l’article 88(4) CBE et l’expression “éléments de la demande de brevet européen” à l’article 88(3) CBE doivent être considérées comme synonymes.” Les “éléments de l’invention” et les “éléments de la demande de brevet européen” constituent l’objet de l’invention tel qu’il est défini dans une revendication de la demande de brevet européen.

– L’article 88(2), deuxième phrase CBE prévoit que, “le cas échéant, des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une même revendication”. Afin de comprendre quelle était l’intention des auteurs de cette disposition, il convient de consulter les documents préparatoires à la CBE, y compris le mémorandum (cf. ci-dessus), dont on peut affirmer qu’il exprime cette intention. D’après le mémorandum, lorsque l’on examine s’il existe une justification pour revendiquer des priorités multiples pour une seule et même revendication, il faut distinguer entre les situations avec des revendications du type “ET” et celles avec des revendications du type “OU”.

14.1.4 Le point 6.7 des motifs s’énonce comme suit : “En ce qui concerne les revendications de type “OU”, il est dit dans le mémorandum que si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A”, alors une revendication pour A ou B peut bénéficier de la première priorité pour la partie A de la revendication et de la seconde priorité pour la partie B. Il est en outre suggéré que ces deux priorités peuvent également être revendiquées pour une revendication portant sur C, si la caractéristique C, soit sous forme de terme ou de formule générique, soit d’une quelconque autre façon, englobe à la fois la caractéristique A et la caractéristique B. L’utilisation d’un terme ou d’une formule générique dans une revendication pour laquelle des priorités multiples sont revendiquées conformément à l’article 88(2), deuxième phrase CBE est parfaitement acceptable au regard des articles 87(1) et 88(3) CBE, à condition qu’elle conduise à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis.”

14.1.5 La Grande Chambre de recours en a conclu ce qui suit (point 6.8 des motifs) :

“Il semble dès lors qu’une interprétation étroite ou stricte de la notion de “même invention” qui figure à l’article 87(1) CBE, considérée comme équivalente à la notion de “même objet” mentionnée à l’article 87(4) CBE, est parfaitement en accord avec les paragraphes 2 à 4 de l’article 88 CBE. Cette interprétation étroite ou stricte est également compatible avec l’article 87(4) CBE.”

14.2 La conclusion de l’avis G 2/98 s’énonce comme suit :

“La condition requise à l’article 87(1) CBE pour qu’il puisse être revendiqué la priorité d’une demande portant sur “la même invention” signifie qu’il ne convient de reconnaître qu’une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d’une demande antérieure conformément à l’article 88 CBE que si l’homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l’objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble.”

15. Jurisprudence postérieure à l’avis G 2/98

15.1 Décisions de chambres de recours qui ont refusé d’accorder une priorité partielle

Élargissement de formules chimiques génériques

15.1.1 Dans l’affaire T 1127/00, la revendication 1 avait pour objet une formule générique couvrant un grand nombre de composés à titre de variantes. La chambre a fait observer que ces composés n’étaient pas, en tant que tels, exposés explicitement dans la revendication, et a estimé que le fait que l’on puisse envisager sur un plan conceptuel qu’ils soient couverts par la revendication n’équivalait pas à une présence claire et non ambiguë de ces variantes, individualisées en tant que telles, dans la revendication. La revendication 1 n’englobait pas un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis, sous la forme d’une revendication du type “OU”, pouvant être répartis en plusieurs groupes de priorités différentes. La revendication 1 ne pouvait donc bénéficier de la priorité partielle d’un document de priorité, mais pouvait se prévaloir uniquement de la date de priorité du document dans lequel la formule générique avait été divulguée pour la première fois. Il ne s’agissait pas du premier document de priorité, puisque celui-ci n’exposait que des ribozymes synthétiques plus spécifiques. Même si ceux-ci étaient couverts par la formule générale de la revendication 1, le document de priorité ne divulguait pas directement et sans ambiguïté le groupe générique étendu, tel que représenté par cette formule. Aussi la revendication 1 ne bénéficiait-elle pas de la date de la première priorité (points 5 à 7 des motifs).

15.1.2 Dans l’affaire T 2311/09 (points 2 à 4 des motifs), la revendication 1 concernait des protéines d’éotaxine qui comprenaient une séquence d’acides aminés “identique à au moins 40 %” à une séquence donnée, et englobaient des variantes qui n’étaient divulguées dans aucun des deux documents de priorité. Par conséquent, la priorité n’a pas été reconnue pour la revendication dans son intégralité. De même, il n’a pas été accordé de priorité partielle dans la mesure où la revendication englobait des protéines identiques à 100 % à une séquence donnée, bien que celle-ci ait apparemment été divulguée dans un document de priorité. La chambre a en effet estimé que la revendication 1 “ne comprenait pas un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” (cf. G 2/98, point 6.7 des motifs).

Élargissement de compositions chimiques

15.1.3 Dans l’affaire T 184/06 du 21 mars 2007 (point 6 des motifs), la revendication n’a pu bénéficier d’une priorité partielle bien qu’elle ait englobé des compositions divulguées dans le document de priorité en des termes plus restrictifs (plage d’alcoxylation plus étroite d’un composant ; composant supplémentaire). La chambre a estimé que la combinaison des caractéristiques de la revendication 1 ne pouvait être déduite directement et sans ambiguïté du document de priorité (article 87(1) CBE et G 2/98, sommaire et point 9 des motifs). De plus, la revendication 1 concernait une composition de substances définie par une combinaison de caractéristiques qui ne pouvaient être considérées isolément les unes des autres. L’objet de la revendication englobait “tout ce qui entrait dans sa portée, définie par ses caractéristiques essentielles” et n’était “pas lié à des variantes distinctes spécifiques ayant une portée différente pour lesquelles différentes priorités pouvaient être revendiquées” (articles 88(2) et 88(3) CBE).

15.1.4 Dans l’affaire T 1443/05, la revendication 1 portait sur une composition comprenant deux composants, tandis que la présence d’un troisième composant spécifique, jugée désavantageuse, était exclue par un disclaimer. La demande de brevet revendiquait la priorité d’une demande européenne antérieure qui donnait des exemples de compositions comprenant les deux premiers composants mais pas le troisième, et qui mentionnait également la possibilité d’incorporer celui-ci. La chambre a conclu que l’objet de la revendication 1 ne concernait pas la même invention (article 87(1) CBE) que celle exposée dans le document de priorité. Aussi a-t-elle refusé d’accorder la date de priorité revendiquée à la revendication dans son ensemble (point 4.1.11 des motifs). De plus, compte tenu de l’avis G 2/98 (point 6.6 des motifs), la chambre a considéré que même si les exemples contenus dans le document de priorité étaient couverts par la revendication 1, la formulation générique de la revendication ne permettait pas d’identifier une variante non ambiguë qui les englobe (point 4.2.6 des motifs). Les compositions mentionnées à titre d’exemples dans la demande européenne dont la priorité était revendiquée, dans lesquelles le troisième composant n’était pas indiqué, ont donc été considérées comme une antériorité en vertu de l’article 54(3) CBE.

Élargissement de plages de valeurs

15.1.5 Dans l’affaire T 1877/08, la revendication 1 portait sur un mélange de trois composants présents, respectivement, dans les quantités relatives de 30 à 65 / 1 à 10 / 33 à 69 % en poids. Le brevet revendiquait la priorité d’une demande américaine qui divulguait un mélange contenant les trois composants précités, dans des quantités définies de manière plus étroite, à savoir respectivement 30 à 55 / 2 à 10 / 35 à 65 % en poids (c’est la Chambre qui souligne). La chambre a considéré que la combinaison des caractéristiques de la revendication 1 ne pouvait être déduite directement et sans ambiguïté du document de priorité (article 87(1) CBE et G 2/98). Les quantités revendiquées représentaient une plage continue de valeurs numériques qui ne correspondaient pas à des modes de réalisation distincts en tant que variantes (article 88(2) et 88(3) CBE). Par conséquent, il n’était pas possible de déterminer, à l’intérieur de cette plage continue, des modes de réalisation dissociables en tant que variantes, à savoir des éléments au sens de l’article 88(3) CBE qui auraient pu bénéficier de la date de priorité. Pour ces raisons, la priorité a été refusée pour la revendication dans son ensemble.

15.1.6 Dans l’affaire T 476/09, la revendication 1 portait sur une composition de toner caractérisée entre autres par une “circularité” moyenne des particules de toner (une caractéristique physique de ces dernières) définie comme une plage continue allant de “0,930 à 0990” (c’est la Chambre qui souligne). Bien qu’un document de priorité ait divulgué un toner incluant toutes les caractéristiques de la revendication 1 en cause, mais avec une plage plus étroite pour la circularité, à savoir “de 0,94 à 0,99”, la chambre n’a pas reconnu de priorité, même partielle. Elle a jugé que la plage revendiquée représentait une plage continue de valeurs numériques qui ne correspondaient pas à des modes de réalisation distincts en tant que variantes (G 2/98, points 6.7 des motifs, et T 1877/08). Par conséquent, il n’était pas possible de déterminer, à l’intérieur de cette plage continue, des modes de réalisation dissociables en tant que variantes, qui auraient pu bénéficier de la date de priorité.

Autres généralisations

15.1.7 Dans l’affaire T 1496/11, la revendication 1 du brevet (délivré sur la base de la demande initiale) portait sur un document de sécurité doté d’un dispositif de sécurité qui comprenait une caractéristique (10) définie en des termes fonctionnels et pouvant “être inspectée, grossie ou soumise à une variation optique à l’aide de la lentille optique lorsque …”. Le document de priorité ne divulguait à cette fin qu’une caractéristique “imprimée ou emboutie”. La chambre a estimé (point 2.1 des motifs) que l’objet revendiqué avait été généralisé par l’omission de cette indication plus spécifique, et qu’il englobait donc des dispositifs de sécurité comportant des caractéristiques produites par d’autres moyens. Dès lors, il ne constituait pas la même invention que celle exposée dans le document de priorité (article 87(1) CBE). Aussi la chambre a-t-elle considéré que l’objet de la revendication 1 ne pouvait bénéficier que de la date de dépôt de la demande initiale sur la base de laquelle le brevet avait été délivré. La chambre a ensuite constaté qu’en vertu de l’article 54(3) CBE, l’objet de la revendication 1 n’était pas nouveau par rapport à un mode de réalisation divulgué dans la demande divisionnaire européenne publiée. Ce mode de réalisation était divulgué de manière identique dans le document de priorité et pouvait donc bénéficier de la date de priorité revendiquée. Il antériorisait par conséquent l’objet de la revendication 1 du brevet délivré sur la base de la demande initiale, lequel ne pouvait se prévaloir de la priorité.

15.2 Deux arrêts de la Haute Cour de Justice (Tribunal des brevets) d’Angleterre et du Pays de Galles ayant fait référence à l’avis G 2/98 et refusé une priorité partielle

15.2.1 Dans l’affaire Nestec SA & Ors c. Dualit Ltd & Ors [2013] EWHC 923 (Pat) du 22 avril 2013, la revendication 1 du brevet européen (UK) 2 103 326 portait sur un système d’extraction comprenant un dispositif d’extraction de capsules. Il était admis que l’objet couvert par la revendication avait été divulgué dans le document de priorité. Tenant compte notamment des critères énoncés dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), le tribunal a estimé que la revendication englobait également des objets qui ne pouvaient être considérés comme des “variantes clairement définies” (paragraphes 96 et 103) et qu’elle concernait “toute une gamme d’agencements différents” (paragraphe 96). Par conséquent, il n’a pas reconnu de priorité, même partielle, et a conclu à l’absence de nouveauté de la revendication 1 par rapport à l’objet divulgué dans le document de priorité, qui était compris dans l’état de la technique en vertu de l’article 2(3) de la Loi sur les brevets de 1977, lequel correspond à l’article 54(3) CBE (paragraphe 111).

15.2.2 Dans l’affaire HTC Corporation c. Gemalto SA et HTC Corporation c. Gemalto NV [2013] EWHC 1876 (Pat) du 10 juillet 2013, concernant le brevet européen (UK) 0 932 865, le juge, se référant à l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), a fait observer que “bien que l’on puisse comprendre la volonté de limiter le nombre [d’objets alternatifs clairement définis]”, il n’était pas certain qu’une telle exigence ait un quelconque fondement”. Il a expressément admis la “nécessité de définir clairement les objets alternatifs” “s’il s’agit d’accorder des priorités partielles ou multiples pour une seule revendication” (point 160).

Le juge a finalement considéré (point 195) que la revendication 1, qui comprenait des caractéristiques définies pour un “langage évolué”, ne pouvait bénéficier d’une priorité (même partielle), étant donné que “Java” était l’unique langage de programmation divulgué dans le document de priorité. Il a toutefois estimé que la priorité était valable pour la revendication 3, qui dépendait de la revendication 1 et qui était limitée au moyen d’une référence à “Java”.

15.3 Décisions de chambres de recours qui ont reconnu une priorité partielle

Élargissement de plages continues de valeurs numériques

15.3.1 Dans l’affaire T 135/01 du 21 janvier 2004, la revendication 1 portait sur un procédé pour commander un moteur électrique impliquant une première et une seconde étapes de commutation du courant, l’intervalle de commutation étant défini comme étant compris dans la plage ¼< ô < ¾. La chambre a considéré (point 5 des motifs) qu'"aux fins de l'attribution de la priorité, il convenait de considérer la revendication 1 ... comme divisée en une première revendication partielle théorique spécifiant une plage "égale à environ ô/2" pour l'intervalle de commutation et pouvant bénéficier de la date de priorité de la demande GB ... [document de priorité], et une deuxième revendication partielle théorique pour la plage complémentaire de ¼ <ô<3/4, dont est retranchée la plage "égale à environ ô/2", qui ne pouvait se prévaloir que de la priorité de la date de dépôt réelle et à l'égard de laquelle la publication intercalaire D13 [actes de conférence] faisait donc partie de l'état de la technique, puisqu'elle divulguait elle aussi la plage "égale à environ ô/2". La chambre, qui n'a pas cité expressément l'avis G 2/98 et ne s'est pas penchée sur les critères énoncés au point 6.7 de ses motifs, a donc reconnu une priorité partielle pour la plage plus étroite qui avait été divulguée dans le document de priorité et était comprise – sans être exposée explicitement – dans la plage élargie de la revendication 1.

15.3.2 Dans l’affaire T 665/00, la revendication 10 avait pour objet une poudre cosmétique contenant des microsphères creuses caractérisées entre autres par une “masse spécifique inférieure à 0,1 g/cm3”, et cette plage n’était pas divulguée dans le document de priorité. Une objection pour absence de nouveauté avait été soulevée sur la base d’une allégation relative à un usage antérieur public qui aurait eu lieu dans le délai de priorité. Se référant à l’article 88(3) CBE et à l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs), la chambre a estimé que différents éléments d’une demande de brevet pouvaient bénéficier de différentes dates de priorité et que cette approche s’appliquait également à une revendication unique dans la mesure où celle-ci englobait des variantes (alternatives) et pouvait donc être divisée en plusieurs objets (point 3.5 des motifs). La chambre a indiqué (point 3.5.1 des motifs) que l’expression générique “masse spécifique inférieure à 0,1 g/cm3” permettait de définir un ensemble de microsphères creuses, c’est-à-dire des alternatives permettant de réaliser l’invention, et qu’il était possible d’attribuer à chacune de ces alternatives une date de priorité. Le document de priorité décrivait à titre d’exemples des poudres contenant des microsphères creuses “Expancel DE” dont la masse spécifique était comprise dans la plage définie dans les revendications. Par conséquent, parmi les différentes alternatives que regroupait la revendication 10, celles concernant des poudres contenant les microsphères “Expancel DE” bénéficiaient de la date de priorité revendiquée. L’usage antérieur invoqué n’était donc pas destructeur de nouveauté étant donné qu’il mettait en jeu une poudre contenant les mêmes microsphères “Expancel DE”.

Une priorité partielle a donc été accordée dans l’affaire T 665/00 à une revendication générique du type “OU”, comprenant en tant qu’expression générique une plage de valeurs de masse spécifiques qui n’était pas divulguée en tant que telle dans le document de priorité et qui représentait une généralisation de la divulgation plus spécifique contenue dans les exemples du document de priorité, plus particulièrement de la masse spécifique, divulguée de manière implicite, des microsphères “Expancel DE” utilisées. La conclusion selon laquelle la revendication pouvait bénéficier d’une priorité partielle dans la mesure où elle englobait des variantes spécifiques divulguées dans le document de priorité reposait sur une simple comparaison entre la portée de la revendication et le contenu du document de priorité. La décision ne comporte aucun autre commentaire concernant plus particulièrement les critères relatifs au “nombre limité” et aux “objets alternatifs clairement définis” énoncés dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs).

15.3.3 Dans l’affaire T 1222/11 (point 11 des motifs), la chambre a défendu de manière incidente une interprétation de la condition formulée dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) qui diffère de celle donnée dans les décisions T 1127/00, T 1443/05, T 1877/08 et T 476/09, et qui se résume comme suit :

– la condition énoncée dans l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs) ne saurait signifier, comme cela a été considéré dans les décisions précitées, que l’objet d’une revendication du type “OU” doit être défini d’une certaine manière, qui conduise à “revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”, étant donné que cela serait, du moins en ce qui concerne des termes génériques, en opposition avec le test de l’étendue de l’exposé, qui s’appuie sur le principe d’une divulgation sans équivoque et directe (cf. G 3/89, JO OEB 1993, 117).

La chambre est parvenue à cette conclusion en faisant les constatations suivantes :

– le point 6.7 des motifs ne concerne que la question relative à la revendication de priorités multiples pour une seule et même revendication du type “OU”. Aussi, en se référant à l’article 88(3) CBE, la Grande Chambre de recours a-t-elle voulu indiquer dans quelles conditions peut être effectuée l’évaluation requise au titre de cet article lorsque la revendication du type “OU” est rédigée à l’aide d’un terme ou d’une formule générique.

– Cette évaluation ne peut être effectuée que sur la base d’une comparaison entre l’objet de la revendication du type “OU” et la divulgation contenue dans les documents de priorité multiples.

– Dans le cadre de cette évaluation, les termes “conduire à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” renvoient dès lors à la capacité d’identifier conceptuellement, par cette comparaison, les objets alternatifs auxquels les droits de priorité multiples revendiqués peuvent être ou non rattachés. Cela est nécessaire afin de permettre l’identification des parties de la revendication qui bénéficient de l’effet du droit de priorité défini à l’article 89 CBE.

La chambre a ajouté que la dernière phrase de l’avis G 2/98 (point 6.7) était conforme au mémorandum, qui reflétait, selon la Grande Chambre, l’intention du législateur en matière de priorités multiples. Passant en revue les exemples fournis dans le mémorandum, la chambre a indiqué comment les priorités pouvaient être reconnues dans chaque cas, conformément à l’avis G 2/98 (point 6.7 des motifs). En particulier, l’exemple c) du mémorandum montrait que l’attribution de différentes dates de priorité n’était “pas une possibilité réservée aux seules revendications qui définissent elles-mêmes un nombre limité d’objets clairement définis” (point 11.5.7 des motifs). Il n’y avait en outre aucune raison pour que la condition formulée dans l’avis G 2/98 soit différente lorsqu’il s’agit d’évaluer le droit à une priorité partielle liée à un seul document de priorité (point 11.6 des motifs).

La chambre a donc conclu que la décision visant à établir si une priorité peut ou non être reconnue pour un objet divulgué dans un document de priorité et couvert par une revendication du type “OU”, ne dépend pas de la question de savoir si cet objet a été expressément identifié en tant que variante distincte dans la revendication.

15.3.4 Dans la décision T 571/10, la chambre a appliqué expressément l’approche suivie dans l’affaire T 1222/11. Elle a relevé que la revendication englobait deux groupes d’objets en tant que variantes (point 4.5.14 des motifs), même si elle ne les mentionnait pas explicitement en tant que tels, à savoir la variante (a), qui concernait l’utilisation d’une composition spécifique (sel de calcium du sel phosphate actif et tribasique dans lequel le cation est multivalent) et la variante (b), relative à l’utilisation d’une composition définie en des termes plus génériques (forme acide ou sel acceptable de cette dernière en tant que sel actif, inorganique dans lequel le cation est multivalent, le principe actif et le sel inorganique n’étant pas un sel de calcium du sel de phosphate acide et tribasique en combinaison). L’objet de la variante (a) était divulgué dans le document de priorité ; il n’était pas défini en tant que tel mais était couvert par la revendication. La variante (b) correspondait à l’objet restant de la revendication, lequel n’était pas divulgué dans le document de priorité. Selon la chambre, la priorité était valable pour l’objet de la variante (a), mais pas pour celui de la variante (b). Elle a donc considéré que la demande européenne parallèle D9, qui revendiquait la priorité de la même demande antérieure que le brevet en litige et divulguait les mêmes variantes (a) et (b), n’était pas comprise dans l’état de la technique en vertu de l’article 54(3) CBE eu égard à la variante (a), puisqu’elle n’avait pas une date effective antérieure. S’agissant de la variante (b), D9 était comprise dans l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE mais n’était pas destructrice de nouveauté, puisque les variantes (a) et (b) ne se recoupaient pas.

Saisine de la Grande Chambre de recours

16. Article 112(1)a) CBE

Conformément à l’article 112(1)a) CBE, “afin d’assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d’importance fondamentale se pose… la chambre de recours, soit d’office, soit à la requête de l’une des parties, saisit en cours d’instance la Grande Chambre de recours lorsqu’elle estime qu’une décision est nécessaire à ces fins.”

La Chambre estime que les conditions à remplir, en vertu de l’article 112(1)a) CBE, pour soumettre des questions relatives, d’une part, à la priorité partielle et, d’autre part, à l’applicabilité de l’article 54(3) CBE aux membres d’une même famille de demandes de brevet européen initiale et divisionnaires sont réunies, et ce pour les raisons suivantes :

17. Questions relatives à la priorité partielle

17.1 Remarque préliminaire – détermination des dates de priorité

De manière générale, la validité d’une revendication de priorité n’est examinée dans les procédures devant l’OEB que si l’état de la technique rendu accessible au public à compter de la date de priorité revendiquée est potentiellement destructeur de nouveauté ou pertinent au regard de l’activité inventive pour au moins une partie de l’objet revendiqué. Il convient dans ce cas d’établir les dates de priorité qui peuvent être attribuées respectivement à l’objet revendiqué qui est mis en cause et, si nécessaire, à l’état de la technique cité.

17.2 Conditions énoncées à l’article 112(1)a) CBE

17.2.1 Requêtes des parties

Les deux parties ont indiqué qu’il y avait lieu, selon elles, de soumettre des questions relatives à la priorité partielle dans le cas de revendications génériques du type “OU”. Elles ont notamment invoqué à cet égard l’importance fondamentale des aspects liés à la priorité, ainsi que les divergences de jurisprudence. Parmi les questions soumises par les parties, celles portant sur la priorité partielle figurent en premier.

17.2.2 Question de droit d’importance fondamentale

Le droit de priorité étant l’une des pierres angulaires du système des brevets, la Chambre considère que la clarification des questions qui se posent dans le présent contexte revêt une importance fondamentale. Comme le requérant l’a fait valoir, la manière dont le droit de priorité est apprécié dans le cas de revendications génériques du type “OU” joue un rôle considérable dans la pratique pour la rédaction des revendications et les stratégies de dépôt.

La Chambre a également connaissance d’un autre recours en instance (T 624/14-3402, relatif au brevet européen n° 2 157 457), dans lequel il a été demandé que la Grande Chambre soit saisie de questions relatives à la priorité d’une revendication générique du type “OU” (cf. mémoire du 30 octobre 2014 soumis par l’intimé). Comme dans la présente affaire, l’objet divulgué dans la demande initiale a été cité en tant qu’antériorité en vertu de l’article 54(3) CBE à l’encontre de l’objet d’une revendication du brevet délivré sur la base d’une demande divisionnaire.

La Chambre signale également les publications supplémentaires suivantes, qui montrent l’importance de la question de la priorité partielle pour les milieux intéressés, ainsi que le caractère controversé des discussions à ce sujet :

D30 : D. Pearce et al., “Opposing views on partial priority” ; CIPA, décembre 2013, pages 716 à 720 ;

D31 : M. Lawrence, “The Doctrine of Partial and Multiple Priorities, especially from the standpoint of Toxic Priority” ; epi information, 1/2015, pages 23 à 35.

17.2.3 Divergences de jurisprudence

Comme il ressort de l’analyse (cf. ci-dessus) de la jurisprudence antérieure et postérieure à l’avis G 2/98, le droit n’a pas été appliqué de manière uniforme en ce qui concerne l’évaluation du droit à la priorité partielle pour les revendications génériques du type “OU”. Il convient en particulier de noter qu’après l’avis G 2/98, il s’est développé deux approches divergentes, qui diffèrent de celle suivie avant l’avis G 2/98. Ces deux approches se sont appuyées sur des interprétations différentes de la condition formulée, dans l’avis G 2/98, à la dernière phrase du point 6.7 des motifs.

i) Approche antérieure à l’avis G 2/98

Une priorité partielle était reconnue pour une revendication générique du type “OU” dans la mesure où elle englobait un ou plusieurs objets divulgués directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité (cf. T 85/87, T 352/97 et T 395/95 ci-dessus). La date effective de l’objet englobé en tant que variante par la revendication, et visé par l’état de la technique cité, était établie sur la base d’une comparaison entre la revendication et le contenu du document de priorité. Une seule et même demande de brevet européen pouvait donc, par exemple, être citée en tant qu’état de la technique au titre de l’article 54(3) CBE à l’encontre de l’objet englobé en des termes génériques par la revendication et divulgué dans le document de priorité, ainsi qu’au titre de l’article 54(2) CBE contre d’autres parties de la revendication (T 395/95). La Chambre fait observer que ces décisions n’étaient pas fondées sur une analyse visant à apprécier le nombre et la clarté des objets alternatifs englobés par une revendication générique du type “OU”, y compris des objets non divulgués dans le document de priorité.

ii) Avis G 2/98

Dans l’avis G 2/98, la Grande Chambre de recours n’a pas remis en cause l’approche susmentionnée, qui avait été suivie dans les décisions antérieures ayant reconnu une priorité partielle. Au point 6.7 des motifs, la Grande Chambre, se référant au mémorandum, a estimé que l'”utilisation d’un terme ou d’une formule générique dans une revendication pour laquelle des priorités multiples sont revendiquées conformément à l’art. 88(2), deuxième phrase CBE est parfaitement acceptable au regard des art. 87(1) et 88(3) CBE, à condition qu’elle conduise à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”. Cependant, ni au point 6.7 des motifs, ni dans un autre passage de l’avis G 2/98, il n’est fait expressément référence à une revendication générique du type “OU” pour laquelle une priorité partielle est revendiquée. Du point de vue du requérant, il est douteux que l’on puisse appliquer l’exigence selon laquelle “l’utilisation d’un terme [… doit conduire] à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis” (ci-après dénommée “la condition énoncée dans l’avis G 2/98”) comme critère juridique pour déterminer si une revendication générique du type “OU” peut bénéficier du droit à une priorité partielle. De plus, comme les parties l’ont également souligné, l’avis G 2/98 ne comporte pas d’autres explications sur la manière dont il faut comprendre les critères relatifs au “nombre limité” et aux “objets alternatifs clairement définis”. Selon la Chambre, l’avis G 2/98 n’indique pas explicitement si la totalité, ou seulement une partie, des différents types de revendications génériques en “OU” qui sont analysés dans le mémorandum au titre des exemples a), b) et c), remplirait réellement ces critères et bénéficierait dès lors d’une priorité partielle (c’est la Chambre qui souligne).

iii) Approches postérieures à l’avis G 2/98

– L’approche antérieure à l’avis G 2/98 semble avoir été encore appliquée par la suite, et dans certains cas sans même qu’il ait été fait référence à l’avis G 2/98 (cf. T 135/01 ci-dessus), ou sans qu’il ait été expressément examiné si la revendication satisfaisait à la condition énoncée dans l’avis G 2/98, dans la mesure où elle englobait également un ou plusieurs objets non divulgués dans le document de priorité et/ou non attaqués.

– Conformément à une première approche postérieure à l’avis G 2/98 (cf. T 1127/00, T 1877/08 et T 476/09 ci-dessus), les chambres, se référant aux critères énoncés dans l’avis G 2/98, ont refusé de reconnaître une priorité partielle, sans toutefois tenir compte expressément des exemples comparables du mémorandum, à savoir les exemples a) concernant l’élargissement de formules chimiques, et les exemples b) concernant l’élargissement de plages de valeurs de concentration. Dans l’affaire Nestec SA c. Dualit Ltd (cf. ci-dessus), la condition énoncée dans l’avis G 2/98 a également été appliquée en tant qu’exigence préalable à laquelle il convient de satisfaire pour obtenir une priorité partielle. Même une priorité partielle n’a pas été accordée, au motif que les autres variantes, qui étaient couvertes par la revendication, mais qui n’étaient pas divulguées dans le document de priorité, ne pouvaient être distinguées de manière suffisamment claire.

– Selon une deuxième approche postérieure à l’avis G 2/98 (cf. T 1222/11 et T 571/10), il semble que la condition énoncée dans l’avis G 2/98 ait également été retenue comme critère pour déterminer le droit à une priorité partielle, mais qu’elle ait fait l’objet d’une interprétation différente de celle adoptée dans la première approche (T 1127/00, T 1877/08 et T 476/09). Conformément à cette deuxième approche, il n’est pas nécessaire que les “objets alternatifs clairement définis” soient exposés explicitement dans la revendication. Il suffit de pouvoir identifier conceptuellement un nombre limité de ces objets alternatifs en comparant la revendication générique du type “OU” avec le document de priorité. Une priorité partielle peut ainsi être reconnue pour l’objet ou les objets alternatifs divulgués dans le document de priorité. L’objet ou les objets restants de la revendication générique du type “OU” sont considérés en définitive comme formant une seule variante.

La Chambre a également connaissance de la décision T 2406/10 du 13 janvier 2015, laquelle, se référant à la condition énoncée dans l’avis G 2/98 et mettant l’accent sur le critère relatif au “nombre limité” (point 3.2.2 des motifs), n’a pas reconnu de priorité partielle. La deuxième approche postérieure à l’avis G 2/98, appliquée dans les décisions récentes T 1222/11 et T 571/10, n’a pas été suivie. Il apparaît ainsi que la jurisprudence sur cette question continue de diverger, ce qui rend nécessaire une saisine de la Grande Chambre de recours.

17.2.4 Nécessité de saisir la Grande Chambre de recours

Dans la présente affaire, selon l’approche retenue parmi celles mentionnées ci-dessus, on parviendra à des conclusions différentes en matière de priorité partielle et, donc, de nouveauté :

i) Si l’approche antérieure à l’avis G 2/98 (cf. par exemple T 85/87 et T 135/01) est appliquée, une priorité partielle pourra être accordée pour la revendication 1, dans la mesure où elle couvre l’utilisation spécifique divulguée dans le document de priorité D16. Selon cette approche, il ne sera pas nécessaire d’examiner dans quelle mesure les objets alternatifs qui n’ont pas été divulgués dans le document de priorité peuvent être clairement distingués et dénombrés.

ii) Si, en revanche, l’une des deux approches postérieures à l’avis G 2/98 est adoptée, la conclusion relative à la priorité partielle dépendra de la manière dont sont appliqués les critères découlant de la condition énoncée dans l’avis G 2/98 :

– La première approche, littérale, pourrait entraîner un refus d’accorder une priorité partielle pour la revendication 1, étant donné qu’elle englobe un nombre pratiquement illimité de composés alternatifs qui n’y sont pas exposés explicitement. Les deux types d’élargissement opéré sous forme de valeurs numériques continues pourraient en outre compliquer l’identification, dans la revendication 1, des variantes pouvant être clairement distinguées.

– La deuxième approche, conceptuelle ou théorique, pourrait toutefois, à l’instar de celle suivie avant l’avis G 2/98, conduire à la reconnaissance d’une priorité partielle pour la revendication 1, dans la mesure où elle englobe l’utilisation du composé de l’exemple 1 telle que divulguée dans le document de priorité D16.

Il est donc nécessaire de clarifier aux fins de la présente affaire l’approche correcte qu’il y a lieu d’adopter.

17.3 Formulation des questions

Les questions 1 à 4 de la saisine ont été formulées en des termes qui reflètent l’importance fondamentale des aspects liés à la priorité partielle, lesquels peuvent entrer en jeu lorsqu’un élément de l’état de la technique est susceptible d’être pertinent soit en vertu de l’article 54(3) CBE, soit en vertu de l’article 54(2) CBE, et ce notamment – mais pas uniquement – dans des situations liées à ce qui est désormais qualifié de “priorités toxiques” ou de “demandes divisionnaires empoisonnées” (présente espèce).

L’examen de ces questions doit également permettre d’établir :

– si la condition énoncée dans l’avis G 2/98 est effectivement applicable à l’examen du droit à une priorité partielle pour les revendications génériques du type “OU”, par opposition aux revendications impliquant des priorités multiples (cf. également T 1222/11, point 11.5.1 des motifs ; D25, page 17, colonne de gauche, lignes 22 à 35), et,

– dans le cas où cette condition est applicable, si toutes les variantes concevables qui sont couvertes par la revendication générique du type “OU” et qui ne sont pas divulguées dans le document de priorité peuvent être considérées en définitive comme une seule variante, comme cela a été le cas dans les décisions T 1222/11, point 11.5.5 des motifs, et T 571/10, points 4.5.9 et 4.9.14 des motifs (cf. également D25, page 18, colonn de droite, avant-dernière phrase, lignes 15 à 19).

18. Question relative à l’article 54(3) CBE

18.1 Conditions énoncées à l’article 112(1)a) CBE

18.1.1 Requêtes des parties

La Chambre partage l’avis exprimé par les parties dans leurs requêtes, à savoir que si la Grande Chambre de recours parvenait à la conclusion qu’une priorité partielle peut être refusée pour un objet englobé en tant que variante par une revendication générique du type “OU” et divulgué dans le document de priorité (cf. question 1 ci-dessous), il pourrait, dans la présente espèce, être déterminant de savoir si la demande initiale D1 peut être opposée en tant qu’élément de l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE à la revendication 1 du brevet en litige issu de la demande divisionnaire.

18.1.2 Question de droit d’importance fondamentale

Cette question de l’applicabilité de l’article 54(3) CBE dans des situations où il existe un risque d’interférence entre une demande initiale et une demande divisionnaire de brevet européen est étroitement liée aux questions précédentes, puisqu’elle fait, elle aussi, intervenir des aspects concernant la priorité. En effet, deux demandes européennes issues d’une même famille (demandes initiale/divisionnaire) ne peuvent interférer l’une avec l’autre que si la priorité d’une demande antérieure est revendiquée. Dans les autres cas, les demandes initiale et divisionnaires auront nécessairement en commun, en tant que date effective, la date de dépôt de la demande initiale (article 76(1) CBE). Par conséquent, la Chambre considère que l’applicabilité de l’article 54(3) CBE représente elle aussi une question de droit d’importance fondamentale, qui a des conséquences pratiques d’une portée considérable, par exemple lorsqu’une demande divisionnaire est déposée en réponse à une objection pour absence d’unité.

18.1.3 Points de vue divergents

À la connaissance de la Chambre, seule la décision T 1496/11 susmentionnée, citée par la division d’opposition dans la décision frappée du recours, a appliqué l’article 54(3) CBE dans une situation de ce type (demande divisionnaire citée à l’encontre d’un brevet délivré sur la base de la demande initiale). Cette décision a suscité un intérêt considérable dans les milieux intéressés, et le caractère controversé de la discussion est mis en évidence par la récente série de publications sur cette question, parmi lesquelles les documents D20 (quatre derniers paragraphes), D21 (points 3.8 à 3.10), D22, D23, D27 (points II.1, II.2 et IV), et D31 (point 1.6.6 et note de bas de page n° 37).

Les arguments suivants ont notamment été invoqués par les parties et dans la littérature pertinente au sujet de l’applicabilité de l’article 54(3) CBE dans ce contexte :

i) Arguments favorables

– Ni le texte de l’article 54(3) CBE proprement dit, ni celui de l’article 55 CBE concernant les divulgations non opposables n’excluent que les membres d’une famille de demandes de brevet européen initiale/divisionnaires puissent être considérés comme des éléments de l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE les uns par rapport aux autres.

– Une telle exclusion donnerait un avantage injustifié aux demandeurs qui optent pour le dépôt d’une demande divisionnaire issue d’une demande initiale revendiquant la priorité d’une demande antérieure, par rapport à ceux qui déposent des demandes européennes parallèles revendiquant la priorité de la même demande antérieure.

– Une demande divisionnaire européenne qui bénéficie de la priorité d’une demande antérieure est une demande européenne qui peut être citée en vertu de l’article 54(3) CBE, puisque selon la jurisprudence des chambres de recours, les demandes initiale et divisionnaires sont indépendantes les unes des autres (cf. G 1/05, T 441/92 et T 1177/00).

ii) Arguments défavorables

– Le législateur n’a pas prévu que le dépôt d’une demande divisionnaire puisse créer, de manière rétroactive, un élément (fictif) de l’état de la technique selon l’article 54(3) CBE qui aurait une priorité antérieure, et donc opposable, à la demande initiale dont elle est issue.

– Le point de vue selon lequel des demandes européennes faisant partie d’une famille de demandes initiale/divisionnaires ne peuvent interférer les unes avec les autres en vertu de l’article 54(3) CBE semble également être défendu dans “Europäisches Patentübereinkommen”, Münchner Gemeinschaftskommentar, 8e édition, janvier 1986, Article 76(1) / Bossung, notes 131 à 134.

– De plus, cela est perçu comme étant contraire aux dispositions de la Convention de Paris (cf. également D25, page 16, paragraphe sur deux colonnes).

– Une demande divisionnaire européenne n’est pas opposable au titre de l’article 54(3) CBE à la demande initiale à laquelle elle se rapporte, puisque des liens spécifiques les unissent : l’objet source est le même, la demande divisionnaire ne peut pas comporter des éléments qui s’étendent au-delà du contenu de la demande initiale dont elle est issue, elle est réputée déposée à la date de dépôt de la demande initiale et elle bénéficie du droit de priorité (article 76(1) CBE).

18.1.4 Observations de la Chambre

i) De tels liens spécifiques n’existent pas dans d’autres situations où il peut y avoir une interférence entre deux demandes européennes apparentées, à savoir entre des demandes européennes parallèles qui revendiquent la priorité d’une seule et même demande antérieure (comme dans l’affaire T 571/10), ou entre une demande européenne et la demande européenne fondant la priorité (comme dans l’affaire T 1443/05), ce dernier cas de figure étant parfois qualifié de “priorité toxique” ou “priorité empoisonnée”.

ii) Bien que dans les affaires G 3/93 (JO OEB 1995, 18), G 2/98 (point 8.1, dernier paragraphe, des motifs), G 1/03 (JO OEB 2005, points 2.1 à 2.1.3 des motifs) et G 1/05 (point 4.3 des motifs), la Grande Chambre de recours ait traité des questions relatives à la priorité, aux demandes divisionnaires et/ou à la finalité de l’article 54(3) CBE, les décisions/avis correspondants sont muets au sujet de la question de savoir si une demande initiale et toute demande divisionnaire qui en est issue peuvent être considérées l’une par rapport à l’autre comme un élément de l’état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE.

18.2 Formulation de la question

La Chambre a formulé la question en des termes plus larges que ceux suggérés par les parties, car elle estime que des interférences sont possibles en vertu de l’article 54(3) CBE entre deux membres – quels qu’ils soient – d’une famille de demandes de brevet européen initiale/divisionnaires.

19. Pas de question soumise concernant l’article 76(1) CBE

19.1 Pour les raisons suivantes, la Chambre ne juge pas utile de soumettre une question concernant l’effet de l’article 76(1) CBE.

19.2 La Chambre estime qu’en vertu de la Convention de Paris et de la CBE, un premier dépôt effectué dans un État partie à la Convention et divulguant un objet spécifique donne naissance à un droit de priorité pour l’objet concerné, et que la date de priorité dont cet objet bénéficie ne peut être perdue s’il est intégré dans une demande divisionnaire issue d’une demande (initiale) revendiquant la priorité dudit premier dépôt.

Cependant, comme l’a confirmé par exemple l’avis G 2/98 (point 4, troisième paragraphe, des motifs), une priorité peut être refusée pour une revendication si son objet n’est pas divulgué dans la demande dont la priorité est revendiquée, à savoir pour des motifs quant au fond. Cela devrait valoir même pour une revendication d’une demande divisionnaire, ou du brevet délivré sur la base de cette dernière, qui satisfait aux exigences de l’article 76(1) CBE (interdiction d’ajouter des éléments par rapport à la demande initiale telle que déposée).

19.3 Dans la présente affaire, si la question 1 de la saisine appelle une réponse négative, il sera inutile de poser une question sur l’article 76(1) CBE, comme les parties l’ont suggéré. Si, en revanche, il est répondu par l’affirmative à la question 1, l’argumentation développée par la Grande Chambre de recours au sujet des cinq questions soumises pourra, là aussi, rendre superflu une question distincte concernant l’article 76(1) CBE.

Dispositif

Par ces motifs, il est statué comme suit :

The following questions are referred to the Enlarged Board for decision:

Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :

1. Lorsqu’une revendication d’une demande de brevet européen ou d’un brevet européen englobe des objets alternatifs du fait d’une ou de plusieurs expressions génériques ou d’une autre manière (revendication générique du type “OU”), le droit à une priorité partielle peut-il être refusé au titre de la CBE pour cette revendication dans la mesure où elle concerne un objet alternatif divulgué (de manière suffisante) pour la première fois, directement, ou au moins implicitement, et sans ambiguïté dans le document de priorité ?

2. Si la réponse est oui, sous réserve de certaines conditions, la condition énoncée au point 6.7 de l’avis G 2/98, à savoir “à condition qu’elle conduise à revendiquer un nombre limité d’objets alternatifs clairement définis”, doit-elle être considérée comme le test juridique pour l’appréciation du droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type “OU” ?

3. Si la réponse à la question 2 est oui, de quelle manière les critères “nombre limité” et “objets alternatifs clairement définis” doivent-ils être interprétés et appliqués ?

4. Si la réponse à la question 2 est non, de quelle manière le droit à une priorité partielle pour une revendication générique du type “OU” doit-il être apprécié ?

5. S’il est répondu par l’affirmative à la question 1, un objet divulgué dans une demande initiale, ou divisionnaire, d’une demande de brevet européen peut-il être cité comme état de la technique au sens de l’article 54(3) CBE à l’encontre d’un objet divulgué dans le document de priorité et englobé en tant qu’alternative dans une revendication générique du type “OU” de ladite demande de brevet européen ou du brevet délivré sur la base de cette demande ?