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European Case Law Identifier: ECLI:EP:BA:2004:T031503.20040706
Date de la décision : 06 Juillet 2004
Numéro de l’affaire : T 0315/03
Numéro de la demande : 85304490.7
Classe de la CIB : C12N 15/85
Langue de la procédure : EN
Distribution : A
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Titre de la demande :
Nom du demandeur : THE PRESIDENT AND FELLOWS OF HARVARD COLLEGE
Nom de l’opposant : British Union for the Abolition of Vivisection
Bundesverband der Tierversuchsgegner et al
Ökologisch – Demokratische Partei
Büchner Reinhard
Meinel A. et al; Fraktion Bündnis 90
Fuchs U. et al
Fraktion Bündnis 90/ DIE GRÜNEN im Bayer. Landtag
Evangelischer Stadtkirchenverband Köln
Koechlin F., Schenkelaars P. et al. “No Patents on Life”
Voggenhuber J. et al
Keine Patente auf leben
Hamberger Sylvia et al
Bundeszentrale der Tierversuchsgegner Österreichs
Wiener Tierschutzverein und Zentralverband der
Tierschutzvereine Österreichs
Helletberger H.
Deutsche Tierhilfswerk e.V.
Chambre : 3.3.08
Sommaire : I. Les règles 23ter à 23sexies CBE sont applicables aux affaires, telles que la présente espèce, qui étaient en instance à la date à laquelle ces règles sont entrées en vigueur comme prévu par le législateur (cf. partie 5 des motifs).
II.1 Une invention relevant de l’une des quatre catégories énoncées à la règle 23quinquies a) à d) CBE doit ipso facto être exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 53a) CBE et il n’est pas nécessaire de poursuivre l’examen au regard de cet article ; en revanche, une invention ne relevant pas de l’une de ces catégories doit être examinée au regard de l’article 53a) CBE (cf. partie 6 des motifs).
II.2 Par conséquent, la règle 23quinquies d) CBE introduit pour les affaires qui en relèvent une objection au titre de l’article 53a) CBE (une objection du “type de la règle 23quinquies d)”) qui, selon les circonstances et par conséquent la pertinence de l’objection, peut soit s’ajouter soit se substituer à une objection au titre de l’article 53a) CBE lui-même (une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE), telle que précédemment considérée par la jurisprudence (cf. partie 6 et point 10.1 des motifs).
III. La règle 23quinquies d) CBE n’implique pas d’excès de pouvoir et n’est pas contraire au principe de l’interprétation restrictive des dispositions d’exception ou au droit antérieur (cf. partie 7 des motifs).
IV. Il convient d’examiner une objection au titre de l’article 53a) CBE du “type de la règle 23quinquies d)” en se plaçant à la date de dépôt ou de priorité du brevet ou de la demande en cause. Les preuves ultérieures peuvent être prises en considération dès lors qu’elles se rapportent à la situation à cette date (cf. points 8.2, 9.5 et 9.6 des motifs).
V.1 Le test de la règle 23quinquies d) CBE exige d’examiner uniquement trois aspects, à savoir les souffrances des animaux, l’utilité médicale et la correspondance nécessaire entre les deux en ce qui concerne les animaux en question (cf. point 9.1 des motifs).
V.2 Le niveau de preuve requis est le même pour les souffrances des animaux et l’utilité médicale substantielle, à savoir une probabilité (cf. points 9.2 et 9.3 des motifs).
VI.1 Lorsque l’on examine une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE, il n’existe pas de définition unique des bonnes moeurs fondée par exemple sur des principes économiques ou religieux qui constituerait une norme admise dans la culture européenne. Les sondages d’opinion ont une valeur probatoire très limitée pour les raisons énoncées dans la décision T 356/93 (cf. points 10.1 à 10.4 des motifs).
VI.2 Dans les cas concernant la manipulation d’animaux, le test préconisé dans la décision T 19/90 est approprié. Celui-ci se distingue à plusieurs égards du test de la règle 23quinquies d) CBE, et ce principalement en ce qu’il permet de prendre en considération d’autres aspects que la souffrance des animaux et l’utilité médicale (cf. points 10.5 et 10.6 des motifs).
VI.3 Etant donné que l’examen se base “avant tout” sur le test de la décision T 19/90, il est possible de prendre en considération d’autres arguments concernant la norme appropriée en matière de bonnes moeurs et d’ordre public, mais tous les arguments doivent être étayés par des preuves (cf. points 10.7 et 10.8 des motifs).
VI.4 Il convient d’examiner une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE en se plaçant à la date de dépôt ou de priorité ; les preuves ultérieures peuvent être prises en considération dès lors qu’elles se rapportent à la situation à cette date (cf. point 10.9 des motifs).
VII.1 Lors de l’examen au titre de l’article 53b) CBE, le principe énoncé dans la décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111) à propos des végétaux et des “variétés végétales” devrait être suivi pour les animaux, à savoir qu’un brevet ne devrait pas être délivré pour une race animale individuelle (ou une espèce ou une variété, selon la version linguistique de la CBE utilisée), mais peut l’être lorsque ses revendications sont susceptibles de couvrir des races animales (cf. point 11.4 des motifs).
VII.2 La définition de la race animale (ou de l’espèce ou de la variété) par référence au rang taxonomique serait en accord avec l’approche suivie pour les variétés végétales et dans l’intérêt de la sécurité juridique, car elle permettrait d’examiner au regard de l’article 53b) CBE, tel qu’interprété par la règle 23quater b) CBE, si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une race (ou une espèce ou une variété) animale déterminée (cf. points 11.5 et 11.6 des motifs).
VII.3 Les différents termes utilisés dans chacune des langues officielles ne concordent pas et désignent des catégories taxonomiques différentes. La stricte application de l’article 177(1) CBE conduirait donc au résultat absurde que l’issue d’une objection au titre de l’article 53b) CBE dépendrait de la langue de la procédure, la version allemande, qui utilise le terme “espèces animales” (“Tierarten”), correspondant au rang taxonomique le plus élevé et offrant ainsi l’objection la plus étendue (cf. points 11.1, 11.2 et 11.7 des motifs).
Dispositions juridiques pertinentes :
European Patent Convention 1973 Art 52(1)
European Patent Convention 1973 Art 53(a)
European Patent Convention 1973 Art 53(b)
European Patent Convention 1973 Art 56
European Patent Convention 1973 Art 57
European Patent Convention 1973 Art 83
European Patent Convention 1973 Art 112(1)
European Patent Convention 1973 Art 116(1)
European Patent Convention 1973 Art 125
European Patent Convention 1973 Art 164(2)
European Patent Convention 1973 Art 177(1)
European Patent Convention 1973 R 23b
European Patent Convention 1973 R 23c
European Patent Convention 1973 R 23d
European Patent Convention 1973 R 27
European Patent Convention 1973 R 67
Rules of procedure of the Boards of Appeal Art 10
Directive 86/609/EEC of 24 November 1986
Directive 98/44/EC of 6 July 1998
Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms Art 6(1)
Mot-clé : Méthode de production de rongeurs transgéniques – contraire à la règle 23quinquies d) CBE (oui)
Méthode de production de souris transgéniques – contraire à la règle 23quinquies d) CBE (non) ou à l’article 53a) CBE (non) ou à l’article 53b) CBE(non)
Exergue :

Décisions citées :
G 0005/88
G 0005/93
G 0009/93
G 0003/95
G 0004/95
G 0003/97
G 0004/97
G 0001/98
G 0003/99
J 0007/90
J 0016/90
T 0320/87
T 0019/90
T 0346/92
T 0356/93
T 0272/95
T 0194/96
T 1054/96
T 0862/98
T 0900/02
Décisions dans lesquelles
la présente décision est citée :
G 0002/12
G 0002/13
T 0179/01
T 0866/01
T 0606/03
T 1165/03
T 0168/04
T 0907/04
T 1262/04
T 1374/04
T 0083/05
T 0869/05
T 1384/06
T 0534/07
T 0915/10
T 0823/11
T 1824/15

Exposé des faits et conclusions

Historique de la procédure antérieure

I. Les présents recours sont dirigés contre la décision de la division d’opposition du 16 janvier 2003 de maintenir le brevet européen nº0169672 (“le brevet”) sous une forme modifiée. Le brevet a été délivré sur la base de la demande de brevet européen nº 85304490.7, intitulée “Méthode pour produire des animaux transgéniques”, qui a été déposée le 24 juin 1985 en revendiquant la date de priorité du 22 juin 1984. Bien que le titre de l’invention et les versions antérieures des revendications fassent référence à des animaux, les seuls modes de réalisation de l’invention qui ont été divulgués portaient sur des souris et l’objet du brevet a fini par être désigné sous le terme de “souris oncogène”. Pour des raisons de commodité, cette expression est utilisée dans la présente décision pour désigner l’objet du brevet, ainsi qu’elle l’a été par les parties pendant la procédure.

II. La demande telle que déposée contenait, entre autres, les revendications indépendantes suivantes :

“1. Méthode pour produire un animal transgénique eucaryote présentant une probabilité accrue de développement de néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion d’une séquence oncogène activée dans un embryon animal.

17. Animal transgénique eucaryote autre que l’être humain, dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée qui a été insérée dans ledit animal ou dans un ancêtre dudit animal, à un stade embryonnaire, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10 et ledit animal étant de préférence un rongeur.”

III. La division d’examen a rejeté la demande sur le fondement de l’article 53b) CBE, qui exclut les races animales de la brevetabilité, et de l’article 83 CBE, au motif que l’on ne pouvait supposer que les seuls modes de réalisation figurant dans la demande, à savoir les souris, puissent être extrapolés à l’ensemble des animaux. Elle a également examiné si l’article 53a) CBE, qui exclut de la brevetabilité les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, était applicable, mais a conclu que le droit des brevets n’était pas l’outil approprié pour régler les problèmes qui pouvaient se poser dans ce contexte. Les revendications de la demande telle que rejetée qui correspondent aux revendications susmentionnées se lisent comme suit :

«1. Méthode pour produire un mammifère transgénique autre que l’être humain, présentant une probabilité accrue de développement de néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion d’une séquence oncogène activée dans un mammifère autre que l’être humain, au plus tard au stade à huit cellules.

17. Mammifère transgénique autre que l’être humain, dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée qui a été insérée dans ledit animal ou dans un ancêtre dudit animal, au plus tard au stade à huit cellules, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10.

18. Animal faisant l’objet de la revendication 17, appartenant à l’ordre des rongeurs.”

IV. Le demandeur a formé un recours contre cette décision. Dans la décision du 3 octobre 1990 qu’elle a rendue dans cette procédure de recours antérieure (T 19/90, JO OEB 1990, 476), la chambre a estimé que l’article 53b) CBE était applicable à certaines catégories d’animaux, mais pas aux animaux en tant que tels, et que, en l’absence de sérieuses réserves étayées par des faits vérifiables, il n’y avait pas de raison de rejeter la demande au titre de l’article 83 CBE au motif qu’elle impliquait une extrapolation des souris en particulier aux mammifères en général. En ce qui concerne l’article 53a) CBE, la chambre a déclaré que, tout particulièrement dans le cas d’une manipulation génétique des animaux faisant intervenir, comme en l’espèce, l’insertion d’un oncogène activé, il existe des raisons impératives qui font que les dispositions de cet article doivent être prises en compte. Elle a renvoyé l’affaire à la division d’examen aux fins de poursuivre la procédure.

V. A l’issue de la nouvelle procédure devant la division d’examen, le brevet a été délivré le 13 mai 1992 avec les revendications indépendantes suivantes :

“1. Méthode pour produire un animal mammifère transgénique non humain ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes ; dans ladite méthode une séquence oncogène activée est incorporée dans un chromosome du génome d’un animal mammifère non humain.

19. Animal mammifère transgénique non humain dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat d’une incorporation chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini en plus selon n’importe laquelle des revendications 3 à 10.

23. Chromosome d’un animal comme revendiqué dans la revendication 19, qui comprend un oncogène comme défini dans n’importe laquelle des revendications 3 à 10.

25. Cellule dérivée d’une cellule somatique obtenue d’un animal mammifère transgénique non humain comme défini dans n’importe laquelle des revendications 19 à 22.”

VI. Entre le 18 décembre 1992 et le 13 février 1993, dix-sept oppositions ont été formées contre le brevet, invoquant divers motifs fondés sur les articles 100a) et 52 à 57 CBE, à savoir notamment que l’invention n’était pas susceptible d’application industrielle et était dénuée de nouveauté et d’activité inventive, qu’elle ne constituait pas une invention, qu’elle représentait une méthode non brevetable de traitement du corps animal, que sa mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs et que le brevet portait sur des races animales. Certains opposants (en l’occurrence les opposants 4, 6 et 8 à 15) ont également objecté que l’invention n’était pas suffisamment exposée en vertu des articles 100b) et 83 CBE.

VII. (1) Le mandataire de l’opposant 4, soit un groupe constitué d’une personne (M. R. Büchner), d’une association déclarée (le “Tierschutzverein Göppingen”, à savoir l’Association pour la protection des animaux de Göppingen) et d’une association non déclarée de quatorze personnes (l’initiative “Kein Patent auf Leben” – Pas de brevet sur la vie), a informé l’OEB par lettre du 12 mai 1995 que l’association non déclarée n’existait plus, que ses honoraires étaient restés en grande partie impayés et qu’il désirait que l’opposition de ses clients fût considérée comme retirée. Bien que des notifications ultérieures aient été envoyées à cet opposant, celui-ci n’a plus joué aucun rôle dans la procédure.

(2) L’opposant 5, un groupe parlementaire (Fraktion) au Parlement de la région allemande de la Saxe, a cessé d’exister, bien que ce fait n’ait été communiqué que par lettre du 5 février 2003 envoyée à la réception de la décision écrite de la division d’opposition. Cette lettre expliquait que le groupe parlementaire avait cessé ses activités après les élections régionales de 1994 et qu’il avait été dissous ultérieurement à une date indéterminée.

(3) L’opposant 9, le “Bundesland Hessen” (la région allemande de la Hesse), a retiré son opposition par lettre reçue le 19 avril 2000.

VIII. La procédure d’opposition s’est poursuivie jusqu’au 16 janvier 2003. La division d’opposition a tenu deux procédures orales, la première du 21 au 24 novembre 1995 et la deuxième les 6 et 7 novembre 2001. Dans sa décision, la division d’opposition a rejeté les objections du titulaire du brevet quant à la recevabilité des oppositions ainsi que l’ensemble des objections soulevées par les opposants à l’encontre du brevet, à l’exception de celles formulées au titre de l’article 53a) CBE. Estimant que les revendications portant sur des mammifères autres que l’être humain n’étaient pas admissibles au regard de cet article, elle a maintenu le brevet sous une forme modifiée comprenant des revendications indépendantes limitées aux rongeurs, conformément à la quatrième requête subsidiaire du titulaire du brevet déposée le 24 avril 1997. Dans sa décision, la division d’opposition a en outre conclu que les règles 23ter à 23sexies CBE étaient applicables à la présente espèce et a rejeté les arguments inverses fondés sur le principe de la protection de la confiance légitime. Par ailleurs, elle a rejeté une requête formulée lors de la première procédure orale en vue de récuser tous les membres de la division d’opposition pour raison de partialité, au motif qu’elle constituait un abus de procédure. Enfin, elle a rejeté les requêtes du titulaire du brevet et des opposants 1, 8 et 10 à 15 visant à obtenir le remboursement par l’OEB des frais occasionnés par la seconde procédure orale.

IX. Les revendications indépendantes du brevet tel que maintenu dans la décision de la division d’opposition se lisent comme suit :

“1. Méthode pour produire un rongeur transgénique ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion chromosomique d’une séquence oncogène activée dans le génome d’un rongeur.

19. Rongeur transgénique dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat d’une incorporation chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10.

22. Chromosome d’un animal tel que revendiqué dans la revendication 19, qui comprend un oncogène tel que défini dans l’une quelconque des revendications 3 à 10.

24. Cellule dérivée d’une cellule somatique obtenue d’un animal transgénique tel que défini dans l’une quelconque des revendications 19 à 21.”

La procédure de recours

X. Plusieurs opposants ont formé un recours contre la décision du 16 janvier 2003. Ainsi, l’une des deux personnes morales constituant l’opposant 1 a déposé un acte de recours le 25 mars 2003, acquitté la taxe de recours le 26 mars 2003 et produit un mémoire exposant les motifs de son recours le 23 mai 2003. L’opposant 2 a payé la taxe de recours le 11 mars 2003 et a déposé un acte de recours ainsi que le mémoire de recours le 13 mars 2003. Enfin, les opposants 8, 12, 13 et 15 ont tous déposé un acte de recours et acquitté une taxe de recours le 26 mars 2003, et produit leur mémoire exposant les motifs du recours le 26 mai 2003. Les opposants qui ont formé des recours sont désignés ci-après comme étant les requérants 1 à 6 respectivement. Les opposants qui n’ont pas formé de recours étaient de droit parties à la procédure de recours, conformément à l’article 107 CBE, mais, à l’exception de l’opposant 3 qui a pris part à la procédure orale, ces parties non requérantes n’ont joué aucun rôle dans la procédure de recours.

[Les points XI à XIV résument les notifications de la Chambre aux parties et les réponses des parties.]

XV. Une procédure orale a eu lieu les 5 et 6 juillet 2004, à laquelle ont assisté dans son intégralité les requérants 3 à 6, l’intimé et l’opposant 3. Contrairement à ce qu’il avait annoncé antérieurement, le requérant 1 n’a pas pris part à la procédure orale en raison des coûts impliqués, mais a produit, par télécopie du 2 juillet 2004 dans laquelle il a fait part de sa non-participation, d’autres écritures en réponse à la réplique de l’intimé et a demandé qu’elles soient admises. La chambre a remis un exemplaire de ces écritures aux parties présentes à la procédure orale. Le requérant 2 a assisté à la procédure orale le 5 juillet 2004 mais s’est absenté l’après-midi du même jour sans prévenir ni donner aucune explication, et ne s’est plus présenté par la suite. Bien qu’ayant été dûment convoquées, les autres parties n’ont ni prévenu la Chambre de leur non-participation, ni fourni d’explications à cet égard.

XVI. (1) A l’ouverture de la procédure orale le 5 juillet 2004, l’intimé a déposé une nouvelle requête principale et de nouvelles première et troisième requêtes subsidiaires, la nouvelle troisième requête subsidiaire correspondant à l’ancienne cinquième requête subsidiaire déposée avec sa réponse du 2 avril 2004, et il a retiré toutes ses requêtes antérieures sauf la deuxième requête subsidiaire. La nouvelle requête principale de l’intimé contenait les mêmes revendications que celles de la requête admise par la division d’opposition (cf. point IX ci-dessus), mais sans les revendications portant sur un chromosome et sur une cellule. La nouvelle première requête subsidiaire était identique à l’ancienne troisième requête subsidiaire déposée avec sa réponse, exception faite de la suppression des revendications portant sur un chromosome et sur une cellule qui ont été retirées en réponse à la notification de la Chambre du 17 mai 2004 (cf. point XIII ci-dessus).

(2) Au cours de la procédure orale, l’intimé a déposé le 6 juillet 2004 une version légèrement modifiée de la première requête subsidiaire, dans laquelle les références à un “animal” ont été remplacées par “souris transgénique” et certaines revendications dépendantes ont été renumérotées afin de tenir compte du fait qu’une revendication indépendante portant sur un plasmide figurait au milieu des revendications de procédé dépendant de la revendication 1. Il a également déposé une description modifiée.

(3) Les revendications indépendantes 1 et 19 de la première requête subsidiaire de l’intimé telle que déposée le 6 juillet 2004 se lisent comme suit :

“1. Méthode pour produire une souris transgénique ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion chromosomique d’une séquence oncogène activée dans le génome d’une souris.

19. Souris transgénique dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat d’une incorporation chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10.”

(4) Les deuxième et troisième requêtes subsidiaires de l’intimé étaient limitées à des revendications portant sur l’utilisation d’un rongeur transgénique (deuxième requête subsidiaire) ou d’une souris transgénique (troisième requête subsidiaire) à des fins d’expérimentation et sur des méthodes pour tester des substances en exposant (respectivement) un rongeur ou une souris transgénique à ces substances.

XVII. Les documents suivants sont mentionnés dans la décision:

(1) Jaenisch, R. and Mintz, B., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol.71, nº 4, 1974, pages 1250 à 1254;

(28) Projet de résolution du Parlement européen, 8 février 1993 (en allemand);

(29) Projet de résolution du Parlement européen, 10 février 1993 (en neuf langues) et résolution du 11 février 1993 (en allemand);

(47) Ekins, S. et al., Br. J. Clin. Pharmacol, Vol. 36, 1993, pages 165 à 166;

(48) Long, B. et al., Br. J. Cancer, Vol. 65, 1992, pages 865 à 869;

(49) Ming Liang Li et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol. 84, 1987, pages 136 à 140;

(81) Déclaration du Dr. L. Hennighausen en date du 6 septembre 2001;

(82) Déclaration du Dr. P. Leder en date du 6 septembre 2001;

(83) Déclaration du Dr. R. Pitman en date du 6 septembre 2001;

et les annexes suivantes du document (82):

(A1) Pupa, S.M. et al., Gene Ther., Vol. 8, 2001, pages 75 à 79;

(A2) Gyorffy, S. et al., J. Immunol., Vol. 166, 2001, pages 6212 à 6217;

(A3) Crane, P. D. et al., J. Nucl. Med., Vol. 36, nº 10, 1995, pages 1862 à 1868;

(A4) Chen G. et al., Int. J. Immunopharmacol., Vol. 18, 1996, pages 251 à 258.

[Les points XVIII à XXXV contiennent les arguments des parties qui sont résumés, si nécessaire, au début de chaque partie des “Motifs de la décision”.]

Requêtes

[Les requêtes non mentionnées dans la version abrégée des motifs ne sont pas reproduites.]

XXXVI. Tous les requérants ont demandé (par écrit pour ce qui est des requérants 1 et 2) l’annulation de la décision contestée et la révocation du brevet. …

XXXVII. L’intimé a demandé l’annulation de la décision contestée et le maintien du brevet sur la base de sa requête principale ou de l’une de ses requêtes subsidiaires 1 à 3 déposées pendant la procédure orale.

Motifs de la décision

1. Introduction

1.1 C’est un très petit animal qui se trouve au coeur de la présente affaire, à savoir une souris, ou, pour reprendre les termes d’un poète, a “Wee, sleekit, cowrin, tim’rous beastie” (une “petite bête au poil soyeux de peur recroquevillée” ; R. Burns, “To a Mouse” 1785). A tout autre égard, cependant, il ne s’agit pas d’une petite affaire. Celle-ci a en effet réuni un grand nombre de parties qui ont développé une multitude d’arguments. C’est pourquoi, il s’avère utile de résumer au début des motifs de la décision la structure adoptée par la Chambre. Après avoir traité la question de la recevabilité des oppositions et des recours (parties 2 et 3), la Chambre examinera un certain nombre de questions concernant l’article 53a) et b) CBE en général (parties 4 à 11). Ainsi qu’il ressort du résumé des arguments des parties (cf. points XXIV à XXXIV ci-dessus), la présente affaire se rapporte essentiellement à ces dispositions. Ensuite, la Chambre se penchera sur l’application des dispositions juridiques, à savoir de l’article 53a) et b) CBE et d’autres articles, aux requêtes du titulaire du brevet (parties 12 et 13). Enfin, elle examinera les différentes demandes de saisine de la Grande Chambre de recours et les requêtes en remboursement des frais par l’Office européen des brevets (parties 14 et 15).

1.2 Les questions générales qui se posent eu égard à l’article 53a) et b) CBE seront traitées dans l’ordre suivant. En premier lieu, il importe de déterminer ce qui n’a aucun lien avec la présente affaire, car cela permettra de restreindre le grand nombre d’arguments censés porter sur l’article 53a) CBE (cf. points XXIV à XXXI ci-dessus) à ce qui est vraiment pertinent (cf. partie 4 ci-après).

1.3 Deuxièmement, il conviendra d’examiner plusieurs questions portant sur les règles 23ter à 23sexies CBE, soit :

(a) en premier lieu, la question de savoir si ces règles, et en particulier la règle 23quinquies CBE, s’appliquent ou non en l’espèce (cf. partie 5 ci-après). Si elles sont applicables, il se pose les questions énoncées aux points b) à e) ci-dessous :

(b) le rapport entre la règle 23quinquies d) et l’article 53a) CBE (cf. partie 6) ;

(c) la question de savoir si, comme l’a affirmé l’intimé, la règle 23quinquies est incompatible avec la jurisprudence antérieure concernant l’article 53a) CBE (cf. partie 7) ;

(d) le moment auquel il convient d’apprécier si les conditions prévues à la règle 23quinquies CBE sont remplies (cf. partie 8) ;

(e) les preuves susceptibles d’être prises en compte aux fins de cette appréciation (cf. partie 9).

1.4 Troisièmement, il y a lieu de considérer l’application de l’article 53a) CBE indépendamment de la règle 23quinquies d) CBE. Ainsi qu’il ressort de son libellé et comme expliqué en détail ci-après, cette règle a trait à l’application de l’article 53a) CBE dans un “contexte particulier”, ce qui requiert une analyse factuelle et juridique bien distincte de celle exigée par l’application du seul article 53a) CBE (cf. partie 10 ci-après).

1.5 La quatrième et ultime question d’ordre général à examiner se rapporte à l’article 53b) CBE et, là aussi, le résultat dépendra de l’applicabilité ou non des règles 23ter à 23sexies CBE (cf. partie 11).

[ Les parties 2 et 3 des motifs concernent la recevabilité des oppositions et des recours.]

4. Questions non pertinentes

4.1 Nombre d’arguments présentés par les requérants au titre de l’article 53a) CBE concernaient des aspects qui n’ont tout simplement rien à voir avec la présente affaire. Tout d’abord, certains requérants ont mal interprété la CBE. Ainsi, le requérant 1 a soutenu (cf. point XXIV (4) ci-dessus) que l’article 53a) CBE porte sur la conformité aux bonnes moeurs de la délivrance d’un brevet ainsi que de la mise en oeuvre de l’invention. Le requérant 2 (cf. point XXV(4) ci-dessus) a quant à lui fait valoir qu’il convenait de répondre à la simple question suivante : “Est-il ou non porté atteinte aux bonnes moeurs ?”, c’est-à-dire à la question de savoir si le brevet en litige porte atteinte aux bonnes moeurs, et il est parfaitement clair que le requérant 2 considérait qu’il fallait répondre par “oui” à cette question. Enfin, comme cela a déjà été exposé, les requérants 3 à 6 ont soutenu (cf. points XXVI à XXIX ci-dessus) qu’il ne devrait pas être autorisé de breveter des animaux, de sorte qu’eux aussi ont considéré que l’article 53a) CBE portait sur la question de savoir si la délivrance d’un brevet est contraire aux bonnes moeurs. La Chambre n’est pas d’accord sur ce point. Le libellé de l’article 53a) CBE est clair :

“Les brevets européens ne sont pas délivrés pour : a) les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs…”.

4.2 Selon la Chambre, les termes “contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs” ne peuvent se rapporter qu’à “la publication ou la mise en oeuvre” de l’invention. Cela vaut d’ailleurs également pour le texte de cette disposition dans les autres langues officielles. Par conséquent, cet article ne pose pas la question de savoir si la délivrance d’un brevet pour une invention donnée ou si cette invention en tant que telle est contraire aux bonnes moeurs. Bien entendu, cette conclusion s’applique à l’invention particulière relative à un animal qui est revendiquée dans le brevet en cause : la présente affaire ne porte pas sur la question de savoir si les manipulations génétiques pratiquées sur une souris, la souris oncogène ainsi obtenue ou encore la délivrance d’un brevet pour une souris oncogène ou pour la méthode de manipulation génétique correspondante est contraire aux bonnes moeurs, mais uniquement sur celle de savoir si la publication ou la mise en oeuvre de la souris oncogène ou de ladite méthode est contraire aux bonnes moeurs. Bien entendu, il en va de même de l’ordre public : c’est la publication ou la mise en oeuvre de l’invention (en l’occurrence, la souris oncogène ou la méthode d’obtention de cet animal) qui doit être contraire à l’ordre public. Lorsque l’on tient compte de l’ordre public, il se confirme que l’article 53a) CBE concerne uniquement la question de savoir si la publication ou la mise en oeuvre de l’invention est contraire aux bonnes moeurs. En effet, ni la mise au point de l’invention (qui doit, par définition, avoir lieu en privé pour avoir une chance d’obtenir un brevet), ni la procédure de délivrance d’un brevet pour une invention (qui se déroule au sein d’un office des brevets) ne sauraient être considérées comme contraires à l’ordre public. Etant donné que les expressions “bonnes moeurs” et “ordre public” employées à l’article 53a) CBE sont sur le même pied par rapport au reste de l’article, elles doivent toutes deux être traitées de la même façon, et il est clair que chacune d’elles se rapporte uniquement à “la publication ou la mise en oeuvre”.

4.3 Deuxièmement, contrairement à ce qu’ont affirmé les requérants 3 à 6, la présente affaire ne concerne pas la “délivrance de brevets ayant pour objet des animaux” ou “la question de savoir si les animaux sont brevetables selon la CBE” (cf. points XXVI(1)(2), XXVII(1) et XXVIII(1) ci-dessus). Il est tout simplement exclu, selon la version actuelle de la CBE, qu’une telle décision puisse être prise par l’un des organes de première instance ou par les chambres de recours. La CBE comporte un ensemble bien clair de règles fondamentales concernant la brevetabilité. En premier lieu, elle pose le principe fondamental que les inventions sont brevetables si elle remplissent trois critères, à savoir la nouveauté, l’activité inventive et l’applicabilité industrielle (article 52(1) et 54 à 57 CBE). Comme le montre clairement l’utilisation des mots “sont” ou “est”, il existe de prime abord une présomption en faveur de la brevetabilité. Deuxièmement, certaines catégories d’objets (par exemple, les créations esthétiques) ne sont pas considérées comme des inventions – elles sont parfois appelées “exclusions” (article 52(2) et (3) CBE). Troisièmement, d’autres catégories d’objets, bien que considérées comme susceptibles d’être des inventions, ne peuvent pas bénéficier d’une protection par brevet – elles sont parfois appelées “exceptions” (article 53 CBE).

4.4 Les exclusions et les exceptions peuvent paraître, en fonction du point de vue moral, social ou autre de chacun, acceptables ou inacceptables, idéalistes ou dépassées, libérales ou conservatrices. Le libellé exprès de certaines de ces catégories laisse certainement une marge d’interprétation en vue de déterminer leurs limites exactes mais, sous réserve d’une telle marge d’interprétation, les textes sont clairs : il n’existe pas de catégorie d'”animaux en général” qui fasse l’objet d’une exclusion ou d’une exception. Les seules dispositions ayant trait aux brevets sur des animaux ou concernant les animaux figurent à l’article 53 CBE. La seconde partie de cet article (article 53b) CBE) prévoit qu’il n’est pas délivré de brevets pour des “races animales”, une expression qui nécessite assurément d’être interprétée (et sur laquelle la Chambre reviendra plus loin, cf. partie 11), mais qui ne saurait signifier les animaux en général, même après l’analyse la plus rudimentaire. La première partie du même article (article 53a) CBE) prévoit quant à elle qu’il n’est pas délivré de brevets pour les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs et, sous réserve d’une interprétation qui a déjà été fournie dans une large mesure par la jurisprudence existante et par la législation complémentaire, cette disposition peut être invoquée afin d’empêcher la délivrance d’un brevet pour une invention qui cause des souffrances à des animaux sans présenter une quelconque utilité en contrepartie. Ces deux dispositions mises à part, les demandes de brevet portant sur des animaux sont traitées de la même manière que les autres cas. Par conséquent, contrairement à ce qu’ont affirmé les requérants 3 à 6, la présente affaire ne concerne pas la brevetabilité des animaux, mais la question de savoir si la CBE permet ou non que soit délivré un brevet pour l’invention particulière en question ayant pour objet un animal, et si oui, quelle est l’étendue possible des revendications pour cette invention.

4.5 Troisièmement, il y a lieu de préciser à cet égard que, contrairement là aussi à ce qu’ont affirmé les requérants 3 à 6, la position décrite dans les deux points précédents a prévalu depuis l’entrée en vigueur de la CBE. L’intimé a cité l’affaire T 320/87 (JO OEB 1990, 71) comme exemple de demande portant sur le vivant et a fait référence aux travaux préparatoires pour montrer que les brevets sur le vivant avaient été envisagés dès le départ lors de la rédaction de la CBE. L’allégation des requérants 3 à 6 selon laquelle il n’était pas possible, avant l’introduction des règles 23ter à 23sexies CBE, de délivrer des brevets pour des animaux est tout simplement erronée. Il se peut que l’introduction de ces règles ait contrarié certaines parties et/ou ne leur ait pas profité (et la Chambre observe que des parties des deux camps ont fait valoir que ces règles ne devraient pas être appliquées en l’espèce, cf. partie 5 ci-après), mais prétendre que ces règles ont modifié la CBE de telle sorte que celle-ci est passée d’un régime dans lequel les animaux ne pouvaient pas être brevetés à un régime dans lequel cela serait possible est tout simplement faux, et ceux qui avancent un tel argument ont mal interprété la genèse des dispositions pertinentes.

4.6 Le quatrième et dernier point à relever dans cette partie concerne l’argument du requérant 2, selon lequel il n’était pas établi que l’opinion des quatre membres de la division d’opposition était représentative (sous-entendu, selon la Chambre, de la société européenne, cf. point 10.2 ci-dessous). La Chambre partage l’avis de l’intimé selon lequel la division d’opposition n’est pas tenue d’établir ce dernier point. La division d’opposition n’avait pas à se forger sa propre opinion et ensuite à prouver d’une façon ou d’une autre qu’une telle opinion représentait celle d’un groupe plus large. Bien au contraire, elle avait pour tâche d’apprécier si la mise en oeuvre de l’invention était ou non conforme aux normes de conduite conventionnelles admises dans la société européenne (cf. décision T 356/93, JO OEB 1995, 545, point 6 des motifs) et devait rendre cette décision, à l’instar de toutes les décisions impliquant des opposants, sur la seule base des moyens de preuve produits par les parties à l’appui de leurs arguments et sans tenir compte des opinions personnelles. De même, il appartient à la Chambre de décider, à la lumière des preuves produites en première instance et des preuves additionnelles admises dans la procédure de recours, si cette appréciation a été correctement effectuée dans la décision de la première instance. A cet égard, l’opinion ou les opinions réelles des membres de la division d’opposition (ou de la Chambre) sont sans importance.

4.7 Eu égard aux observations qui précèdent, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les arguments suivants des requérants, à savoir que l’article 53a) CBE concerne la question de savoir si la délivrance d’un brevet est contraire aux bonnes moeurs (cf. point XXIV(4) ci-dessus), qu’il n’est pas démontré que la décision de la division d’opposition est représentative et que l’article 53a) CBE pose la question “Est-il ou non porté atteinte aux bonnes moeurs ? (cf. point XXV(1)(4) ci-dessus). Il n’y a pas lieu non plus d’examiner l’ensemble des arguments présentés conjointement par les requérants 3 à 6, tels qu’exposés aux points XXVI(1) et (2) ci-dessus, sauf pour ce qui concerne l’applicabilité des règles 23ter à 23sexies CBE en l’espèce, ni l’ensemble des arguments présentés individuellement par les requérants 3 et 6 (cf. points XXVII et XXIX ci-dessus). La Chambre ne doute pas que les parties en question ont exprimé leurs opinions de manière sincère; ces arguments sont toutefois sans rapport avec les questions qui se posent dans la présente procédure.

5. Applicabilité des règles 23ter à 23sexies CBE

5.1 Il convient de déterminer si les règles 23ter à 23sexies CBE (les “nouvelles règles”) sont applicables en l’espèce car si elles le sont, comme en a décidé la division d’opposition, elles auront nécessairement une incidence sur l’interprétation de l’article 53a) et b) CBE. Tous les arguments présentés sur cette question sont limités aux règles 23quater et 23quinquies CBE, mais il y a lieu de considérer l’ensemble des règles 23ter à 23sexies CBE comme un tout, étant donné qu’elles ont été adoptées ensemble (par décision du Conseil d’administration du 16 juin 1999), qu’elles sont entrées en vigueur ensemble (le 1er septembre 1999, cf. JO OEB 1999, 437 s.), qu’elles ont leur origine commune dans la directive 98/44/CE, qu’elles forment un chapitre distinct au sein du règlement d’exécution de la CBE et qu’elles poursuivent un but commun exprimé dans la règle 23ter (1) CBE :

“Pour les demandes de brevet européen et les brevets européens qui ont pour objet des inventions biotechnologiques, les dispositions pertinentes de la convention sont appliquées et interprétées conformément aux prescriptions du présent chapitre.”

La Chambre observe qu’il ressort clairement de cette phrase que les nouvelles règles ont pour seule fonction de procurer des dispositions pour l’application et l’interprétation de dispositions de la CBE existant déjà. Cela renforce l’avis de la Chambre reproduit ci-dessus (selon lequel les nouvelles règles ne marquent pas un changement complet de régime en ce qui concerne les brevets sur les animaux, cf. point 4.5) et l’avis exprimé ci-après (selon lequel les nouvelles règles n’ont pas créé rétrospectivement d’obstacles à la brevetabilité, cf. points 5.9 et 5.10).

5.2 Le contenu des nouvelles règles ne laisse semble-t-il planer aucun doute sur leur applicabilité en l’espèce. La règle 23ter (1) CBE dispose que les nouvelles règles s’appliquent aux “demandes de brevet européen et [aux] brevets européens qui ont pour objet des inventions biotechnologiques”. La règle 23ter (2) CBE définit les “inventions biotechnologiques” comme étant des “inventions qui portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d’utiliser de la matière biologique”. A son tour, la “matière biologique” est définie à la règle 23ter (3) CBE comme s’entendant de “toute matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique”. Il est indéniable qu’un animal est composé d’une matière contenant des informations génétiques et est capable de se reproduire. Dès lors, un animal est un produit composé de matière biologique au sens de la règle 23ter (2) CBE. La présente affaire concerne donc une invention biotechnologique, conclusion qu’aucune des parties n’a d’ailleurs contestée. Il s’ensuit qu’il convient, à première vue, d’appliquer les nouvelles règles en l’espèce, à moins que l’un des arguments s’y opposant ne l’emporte.

5.3 Parmi les parties qui ont pris part à la procédure de recours, seul le requérant 1 a convenu que la division d’opposition avait appliqué à juste titre la règle 23quinquies d) CBE (la seule nouvelle règle que le requérant ait citée), bien qu’il n’ait pas été d’accord sur la façon dont elle a été appliquée. Le requérant 2 n’a fait nulle mention de cette question. Quant à l’opposant 3, s’il n’a pas contesté expressément l’applicabilité des nouvelles règles, il a toutefois utilisé à plusieurs reprises, pendant la procédure orale, l’expression “si la règle 23quinquies est applicable…” et a consacré une bonne partie de son argumentation ultérieure concernant l’article 53a) CBE à s’interroger sur l’effet de cette règle. La Chambre en conclut donc que le requérant 3 préférerait que les nouvelles règles ne soient pas appliquées en l’espèce.

5.4 Les requérants 3 à 6 et l’intimé ont estimé, pour des motifs fort différents, que les nouvelles règles n’étaient pas applicables dans la présente affaire, formant ainsi une alliance contre nature. Les requérants 3 à 6 ont vu dans les nouvelles règles une modification fondamentale de la CBE afin de permettre, avec effet rétroactif et pour l’avenir, la délivrance de brevets portant sur des animaux. D’après eux, des modifications d’une telle importance devraient être effectuées dans la CBE elle-même et non dans le règlement d’exécution. A l’instar de l’intimé, ils se sont également plaints des retards pris dans la procédure d’opposition. En outre, comme ils considéraient que les animaux ne peuvent être brevetés que depuis l’adoption des nouvelles règles et que seul un très petit nombre de groupes d’intérêt, l’OEB compris, souhaitait pouvoir breveter des animaux, ils en ont au moins déduit que la procédure avait été délibérément retardée afin de pouvoir appliquer les nouvelles règles à la présente affaire.

5.5 La position de l’intimé est plus complexe. Celui-ci a fait valoir deux arguments : l’un en trois étapes et un argument alternatif plus simple (qu’il a appelé “caveat”). Son principal argument s’articulait comme suit : premièrement, l’intimé a soutenu que la règle 23quinquies CBE, en introduisant la notion d'”utilité médicale substantielle”, avait modifié de manière imprévisible l’interprétation de l’article 53a) CBE. Deuxièmement, cette modification du droit avait été introduite pendant les six années qu’a duré la procédure d’opposition, et donc à un moment où la procédure aurait dû être terminée. Troisièmement, ce changement avait par conséquent affecté de façon inéquitable l’issue de la procédure d’opposition. L’intimé a donc au moins implicitement fait valoir que les nouvelles règles avaient un effet rétroactif. Cependant, selon l’argument alternatif plus simple qu’il a invoqué (dit “caveat”), si la règle 23quinquies CBE se borne à expliquer l’article 53a) CBE, cela parait raisonnable (la Chambre en déduit que l’intimé était prêt à admettre que cette règle et par conséquent l’ensemble des nouvelles règles soient appliquées en l’espèce, sous réserve qu’elles soient considérées comme “explicatives”, cf. point 5.7 ci-après).

5.6 La question de l’applicabilité des nouvelles règles est à distinguer des questions relatives à leur interprétation et doit être tranchée en premier. De plus, on ne saurait juger de l’équité de l’application des nouvelles règles en fonction de leurs effets, car cela reviendrait à les interpréter avant d’établir si elles sont applicables. Enfin et surtout, on ne saurait statuer sur l’applicabilité de ces règles en fonction de l’effet produit sur la situation d’une partie : cette question doit être tranchée de manière objective et non subjective. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des arguments fondés sur l’effet des nouvelles règles (ou de l’une d’elles, comme la règle 23quinquies CBE) sur la situation de l’une quelconque des parties.

5.7 La Chambre a déjà rejeté l’argument des requérants 3 à 6 (cf. point 4.5 ci-dessus) selon lequel les nouvelles règles ont modifié le droit de façon à permettre pour la première fois la délivrance de brevets sur des animaux (une affirmation à la fois étonnante et étonnamment erronée). Non seulement cet argument est manifestement faux du point de vue historique, mais l’accepter reviendrait à ne pas appliquer les nouvelles règles pour le motif subjectif qu’elles ne sont pas favorables à certaines parties. De même, l’argument alternatif de l’intimé (qu’il a appelé “caveat”), selon lequel la règle 23quinquies CBE pourrait être applicable si elle se borne à expliquer l’article 53a) CBE, est dans son propre intérêt. L’intimé ayant en effet soutenu avec opiniâtreté que la règle 23quinquies d) CBE ne devait pas être interprétée de façon plus limitative que le test de la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476 ; cf. point 7.1 ci-après), son argument alternatif peut uniquement signifier qu’il admettrait l’applicabilité de la règle 23quinquies d) si cette règle “expliquait” l’article 53a) CBE comme ayant le même sens que le test de la décision T 19/90. Simplifié à l’extrême, l’argument alternatif de l’intimé consiste à dire “j’accepte la modification apportée par la règle 23quinquies si elle ne modifie pas le droit tel qu’interprété antérieurement”. Par conséquent, ici aussi, accepter cet argument reviendrait à admettre l’existence d’un motif subjectif en faveur de l’applicabilité des nouvelles règles sur la base de leurs conséquences pour une partie particulière. Si la Chambre peut examiner l’argument selon lequel l’applicabilité des nouvelles règles est “inéquitable”, elle doit en revanche ignorer l’argument selon lequel leur application est “inéquitable si c’est à mon détriment”.

5.8 Quant à l’argument des requérants 3 à 6 selon lequel des modifications aussi importantes que celles introduites par les nouvelles règles devraient être effectuées dans la CBE elle-même et non dans le règlement d’exécution, la Chambre estime qu’une telle affirmation est dénuée de fondement juridique, et les requérants n’ont d’ailleurs cité aucun principe ni aucune disposition juridique à son appui. L’article 164(2) CBE dispose qu’en cas de divergence entre la CBE et le règlement d’exécution, la CBE fait foi. L’article 164(2) CBE pourrait donc, en présence d’une telle divergence, influer sur l’application des nouvelles règles. Toutefois, il n’a pas et ne saurait avoir d’incidence sur la façon dont le droit peut être modifié, à savoir au moyen d’une modification des articles de la CBE et/ou du règlement d’exécution. En outre, en l’absence d’une disposition correspondante, les chambres de recours n’ont pas le pouvoir, dans le cadre de leurs compétences actuelles, de se prononcer sur de telles questions. Elles ont entre autres compétence pour interpréter la CBE – qu’il s’agisse des articles adoptés par les Etats contractants réunis en conférence ou des règles arrêtées par le Conseil d’administration – et doivent avoir compétence pour refuser l’application de dispositions juridiques dont l’adoption est entachée d’un vice de forme (par exemple, si elles ont été arrêtées par un nombre insuffisant d’Etats ou de délégations au Conseil d’administration) et pour annuler de telles dispositions, faute de quoi certaines parties pourraient être lésées par des “dispositions juridiques” qui, en réalité, n’existent pas. Les chambres ont également compétence pour mettre en oeuvre l’article 164(2) CBE, c’est-à-dire pour refuser d’appliquer une règle de la Convention qui est en contradiction avec un article. Mais aucune de ces compétences ne signifie que les chambres ont le moindre pouvoir, explicite ou forcément implicite, d’empêcher la mise en oeuvre de dispositions juridiques qui ont été correctement adoptées et, en ce qui concerne l’adoption de telles dispositions, le choix entre les articles et le règlement d’exécution incombe exclusivement au législateur.

5.9 Il ne reste plus comme raisons possibles de ne pas appliquer les nouvelles règles en l’espèce que les arguments fondés sur les retards de procédure. Il est indéniable que la procédure d’opposition a subi des retards effroyables, qui ont causé des désagréments considérables à toutes les parties. La Chambre y reviendra par la suite (cf. partie 15). Une affaire qui connaît des retards est bien sûr plus vulnérable aux effets des nouvelles dispositions qui sont adoptées pendant que l’affaire est en instance ou des nouveaux développements dans la jurisprudence qui se produisent, dans cette période. En outre, compte tenu du besoin de sécurité juridique et du fait que les parties devraient pouvoir apprécier le mieux possible l’issue d’une procédure au moment où elles l’engagent, il est compréhensible que de tels changements dans le droit ne soient pas bienvenus pour les parties. Toutefois, les législateurs et les juridictions ne peuvent suspendre leurs activités même pour la durée de la procédure la plus courte, parce que cela retarderait l’adoption de la législation nécessaire et que les affaires ne pourraient être traitées que l’une après l’autre. C’est pourquoi les nouvelles dispositions juridiques s’appliquent normalement aux affaires en instance, à moins que leur non-application ne soit expressément prescrite. Ce principe a pour corollaire qu’en règle générale, les nouvelles dispositions juridiques ne s’appliquent pas rétroactivement et que, afin de sauvegarder les intérêts fondés sur l’état antérieur du droit, un effet rétroactif doit faire l’objet d’une disposition expresse pour qu’il puisse être reconnu par les juridictions. Aucune de ces dispositions expresses n’a été prévue dans le cas des nouvelles règles : les affaires en instance ne font l’objet d’aucune exemption et il n’y a pas de disposition prévoyant un effet rétroactif.

5.10 C’est donc à tort que les requérants 3 à 6 et l’intimé ont considéré que ces nouvelles règles étaient applicables avec effet rétroactif : elles n’avaient aucun effet d’aucune sorte sur les procédures closes. Il ne fait en revanche pas de doute qu’elles sont entrées en vigueur pendant que la présente affaire était en instance, mais cela aurait été tout aussi vrai si la procédure d’opposition avait commencé l’année d’avant seulement, voire même une semaine avant que les nouvelles règles ne prennent effet. L’on ne saurait, dans de tels cas de figure, faire d’exception en n’appliquant pas les nouvelles règles en raison du retard de la procédure, car sinon à partir de quel moment le retard deviendrait-il si considérable qu’il justifierait une telle exception ? La Chambre conclut assez facilement de ce qui précède qu’en réalité, la plainte des parties ne tient pas aux nouvelles règles, qui devaient être appliquées sans exception à toute affaire en instance à la date de leur introduction, mais au retard lui-même, à propos duquel les parties se sont plaintes à juste titre.

5.11 La Chambre partage également l’avis de la division d’opposition selon lequel le principe de la protection de la confiance légitime ne s’applique pas. Lorsqu’il y a lieu d’exempter un certain nombre d’affaires d’un changement dans le droit aux fins de la protection de la confiance légitime, cela est expressément prévu. Ainsi, après avoir opéré un revirement de jurisprudence ou de la pratique antérieure, la Grande Chambre de recours a exempté à trois reprises les affaires pendantes, afin d’éviter un traitement inéquitable des parties qui avaient engagé ces procédures sur la foi du droit ancien ou de la pratique ancienne (G 5/88, JO OEB 1991, 137 ; G 5/93, JO OEB 1994, 447 ; G 9/93, JO OEB 1994, 891). Le fait même qu’une telle mesure ait été prise dans un nombre aussi limité d’occasions montre, premièrement, qu’il n’est pas de règle d’exempter les affaires en instance et, deuxièmement, qu’il convient d’appliquer ces rares exemptions à toutes les affaires en instance.

5.12 Pour résumer cette partie, la Chambre conclut sans hésitation que les nouvelles règles sont applicables à la présente affaire, étant donné qu’à l’instar de toutes les modifications du droit, les nouvelles règles ont pris effet à la date fixée par le législateur et que la procédure d’opposition était en instance à cette date. Le fait qu’elle était déjà en instance depuis de nombreuses années est en soi un motif légitime de réclamation, mais pas une raison d’exempter cette affaire de l’application des nouvelles règles.

6. Article 53a) et règle 23quinquies d) CBE

6.1 S’agissant de l’article 53a) CBE, l’application des nouvelles règles à la présente affaire signifie qu’il faut tenir compte de la règle 23quinquies d) CBE. Le passage pertinent de cette règle se lit comme suit :

“Conformément à l’article 53, lettre a), les brevets européens ne sont pas délivrés notamment pour les inventions biotechnologiques qui ont pour objet : …

d) des procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.” (C’est la Chambre qui souligne.)

Il découle du préambule, c’est-à-dire de l’emploi du mot “notamment”, que cette règle ne vise pas à fournir une liste exhaustive des inventions exclues de la brevetabilité mais qu’elle se limite au contraire à quatre catégories. Elle garantit simplement que des brevets ne seront pas délivrés en vertu de l’article 53a) CBE pour les inventions qui relèvent des lettres a, b, c et d de la règle 23quinquies CBE. Une affaire qui ne tombe pas sous le coup de cette règle “n’échappe” pas pour autant à l’article 53a) CBE : il pourrait fort bien exister des inventions biotechnologiques qui ne sont pas couvertes par les lettres a à d et qui, néanmoins, ne peuvent être brevetées en vertu de l’article 53a) CBE. En bref, une invention relevant de l’une de ces quatre catégories doit ipso facto être exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 53a) CBE et il n’est pas nécessaire de poursuivre l’examen au regard de cet article ; en revanche, une invention ne relevant pas de l’une de ces catégories doit être examinée au regard de l’article 53a) CBE (cf. partie 10 ci-après).

6.2 Il apparaît d’emblée que la règle 23quinquies d) CBE exige de procéder à un test en vue d’apprécier si les procédés de modification génétique des animaux, ou les animaux obtenus par de tels procédés, sont ou non admissibles. La nature de ce test est elle aussi parfaitement claire : il s’agit de mettre en balance d’une part les souffrances infligées aux animaux et d’autre part l’utilité médicale pour l’homme ou l’animal. Il est en outre manifeste que ce test ne peut s’appliquer que dans les cas où il est probable que des souffrances sont provoquées chez des animaux. En d’autres termes, la probabilité – mais rien de plus qu’une probabilité – de telles souffrances est nécessaire pour déclencher la mise en application de la règle 23quinquies d) CBE : il s’agit là d’une condition sine qua non.

6.3 Dans la mesure où il peut exister des inventions biotechnologiques qui “échouent” au test prévu à la règle 23quinquies d) CBE et qui se voient donc refuser un brevet à ce stade, alors que d’autres inventions de ce type peuvent “réussir” ce test, de sorte qu’elles doivent ensuite être soumises à l’examen au titre de l’article 53a) CBE, l’argument du requérant 1 sur l’existence d’un “test en deux étapes” (cf. point XXIV(5) ci-dessus) est correct. La question de savoir s’il s’agit de deux étapes du même test ou de deux tests distincts est relativement peu importante, quoique la Chambre penche pour la seconde interprétation, comme le montre la distinction opérée dans la partie 10 entre les objections au titre de l’article 53a) CBE du “type de la règle 23quinquies d)” et les “véritables” objections au titre de l’article 53a) CBE.

7. Règle 23quinquies d) CBE et la jurisprudence

7.1 La décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476, point 5 des motifs), qui concerne la présente invention pendant la phase d’examen de la demande de brevet, énonce que :

“Pour décider le moment venu si la présente invention doit ou non être exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 53a) CBE, il semblerait nécessaire avant tout de peser soigneusement, d’une part, les graves réserves qu’appellent la souffrance endurée par les animaux et les risques éventuels pour l’environnement, et, d’autre part, les avantages de l’invention, à savoir son utilité pour l’humanité.”

La Chambre saisie à l’époque du recours a fait l’importante observation qu’il convenait, contrairement à l’opinion de la division d’examen dont la décision était contestée, de prendre en compte l’article 53a) CBE dans les affaires telles que la présente espèce. Et comme on le voit immédiatement, le test préconisé dans cette décision antérieure est très similaire à celui qui est maintenant prévu à la règle 23quinquies d) CBE. Il fait peu de doute que le test de la décision T 19/90 a été adopté, avec quelques adaptations, par les rédacteurs de la règle 23quinquies d) CBE. Toutefois, malgré la similarité des deux tests, celui de la décision T 19/90 met en balance, d’une part, la souffrance endurée par les animaux et, d’autre part, l’utilité pour l’humanité, et non l’utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal. L'”utilité pour l’humanité” peut manifestement englober une palette d’avantages plus étendue que l'”utilité médicale substantielle” prescrite dans le test de la règle 23quinquies d) CBE, si bien que le test de la décision T 19/90 est plus large. A l’inverse, il est tout aussi clair que si l'”utilité médicale substantielle” est établie de sorte qu’il est satisfait à la règle 23quinquies d) CBE, l'”utilité pour l’humanité” est elle aussi nécessairement établie.

7.2 L’intimé a considéré que cette différence entre le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE et celui proposé dans la décision T 19/90 était si incohérente qu’il appartenait à la Grande Chambre de recours de décider si la règle pouvait, malgré cette différence, être considérée comme interprétant de bonne foi l’article 53a) CBE. Ainsi, l’intimé a formulé comme suit la cinquième question qu’il souhaitait soumettre à la Grande Chambre de recours :

“La règle 23quinquies d) CBE, dans la mesure où elle fait référence à une “utilité médicale substantielle”, impose-t-elle un test allant au-delà de la signification de l’article 53a) CBE, tel qu’interprété sans connaissance de cette règle ?”.

7.3 De l’avis de la Chambre, les arguments de l’intimé relatifs à cette différence (cf. points XXXI(3), (5) et (6) ci-dessus) sont d’une complexité inutile. En premier lieu, l’intimé a soutenu que si la question n’était pas clarifiée par la Grande Chambre de recours, la règle 23quinquies d) CBE pourrait être assimilée à un excès de pouvoir (“ultra vires”). Comme la Chambre l’a fait observer pendant la procédure orale, un tel usage de l’expression “ultra vires” est manifestement incorrect. Un acte administratif ou une règle relevant de la législation secondaire implique un excès de pouvoir s’ils dépassent le cadre d’une disposition juridique qui exclut ou limite le pouvoir de la personne ou de l’organe ayant adopté l’acte ou la règle, de sorte que ceux-ci sont nuls. L’expression ultra vires dénote un excès de pouvoir. Or, ce n’est manifestement pas le cas ici. La disposition juridique en question, à savoir l’article 53a) CBE, ne contient rien qui exclut ou limite sa propre interprétation ultérieure, que ce soit par la jurisprudence (comme dans la décision T 19/90), ou par la législation (comme dans la règle 23quinquies CBE). L’intimé a semble-t-il fait valoir que la disposition juridique en question n’était pas simplement l’article 53a) CBE, mais cet article tel qu’interprété dans la décision T 19/90. Cela est non seulement juridiquement impossible – on ne saurait combiner une disposition juridique et son interprétation par la jurisprudence pour construire un pouvoir artificiel permettant de juger qu’un acte ou une règle implique un excès de pouvoir – mais, même si c’était possible, cela ne ferait aucune différence puisque cette “disposition” fictive ne contiendrait toujours rien qui exclut ou limite une interprétation ultérieure. Pour qu’il y ait excès de pouvoir, il doit y avoir une contradiction. Or, il n’en existe pas : la règle 23quinquies d) CBE n’a aucune incidence sur l’article 53a) CBE tel qu’interprété antérieurement dans la décision T 19/90, à cette seule différence, comme la Chambre l’a déjà fait observer (cf. point 6.1 ci-dessus), que quatre catégories limitées d’invention sont réputées tomber sous le coup de l’article 53a) CBE. Ce résultat a été obtenu d’une manière parfaitement légale, c’est-à-dire dans le respect des limites du pouvoir législatif (intra vires).

7.4 Deuxièmement, l’intimé a soutenu que la règle 23quinquies d) CBE étend l’exclusion prévue à l’article 53a) CBE en violation du principe selon lequel les exclusions sont d’interprétation stricte, de sorte que des inventions qui auraient pu satisfaire au test de la décision T 19/90 pourraient maintenant échouer à celui de la règle 23quinquies d) CBE. De l’avis de la Chambre, on peut seulement dire que la règle étend l’exclusion de l’article 53a) CBE dans la mesure où elle prévoit désormais quatre catégories limitées d’inventions qui sont réputées tomber sous le coup de cet article. Cependant, vu qu’il est inimaginable que des inventions relevant de ces quatre catégories n’aient pas toujours été examinées sous l’angle de l’article 53a) CBE, il serait inexact d’affirmer que la nouvelle règle étend la portée de l’article en ce qui concerne l’exclusion de ces inventions. Si une invention relève de l’une des quatre catégories spécifiques, il ne doit pas être délivré de brevet. Si elle n’entre pas dans l’une de ces catégories, il convient de l’examiner conformément au droit tel qu’il était avant l’adoption des nouvelles règles. Cette position n’est pas contraire à un principe quelconque et n’implique pas d’excès de pouvoir. Si la Chambre estime elle aussi que les exclusions sont généralement interprétées de façon restrictive, cela ne signifie pas que le législateur n’a pas le droit d’augmenter ou de réduire le nombre des exclusions ou, comme en l’espèce, de modifier les exclusions existantes en prescrivant un certain résultat si certaines conditions sont remplies. A l’instar du mode de législation (cf. point 5.8 ci-dessus), il appartient entièrement au législateur de déterminer la portée de la législation.

7.5 Enfin, l’intimé a avancé un argument en quatre points qui peut se résumer comme suit. Premièrement, la décision T 19/90 constituait avant l’introduction de la règle 23quinquies d) CBE la seule déclaration sur l’article 53a) CBE faisant autorité – ce qui, si cela signifie que la décision T 19/90 prévoyait le seul test ou fournissait le seul mode d’appréciation d’une objection au titre de l’article 53a) CBE, est correct. Deuxièmement, la Grande Chambre a considéré dans la décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111) qu’en ce qui concerne l’article 53b) CBE, les nouvelles règles se bornaient à interpréter ledit article, ce qui est également correct. Troisièmement, dans la décision T 272/95 du 23 octobre 2002, la chambre 3.3.4 s’est fondée sur la décision G 1/98 en appliquant les nouvelles règles à l’article 53a) CBE, mais ce faisant elle a tout simplement suivi la décision de la Grande Chambre, ce qui laisse entendre qu’elle n’a pas procédé à une appréciation indépendante. Quatrièmement, l’intimé a conclu son argument en affirmant qu’il n’existait pas de déclaration faisant autorité selon laquelle la règle 23quinquies d) CBE est conforme à l’article 53a) CBE.

7.6 La Chambre ne saurait se ranger à cet argument et à sa conclusion. Si les première et deuxième assertions de l’intimé sont correctes, comme indiqué ci-dessus, la troisième ne l’est pas. Il est exact que la décision T 272/95 s’inscrit dans la ligne de la décision G 1/98 lorsqu’elle constate que les nouvelles règles se bornent à interpréter l’article 53 CBE. On ne peut toutefois que s’attendre à ce que la chambre 3.3.4 ait suivi l’approche de la Grande Chambre de recours, dont les décisions ont pour rôle et pour but de donner des orientations aux chambres et autres instances sur des questions de droit (“afin d’assurer une application uniforme du droit”, cf. article 112(1) CBE). Par ailleurs, la conclusion selon laquelle la chambre 3.3.4 n’a pas procédé à une appréciation indépendante est inexacte. Ainsi, le point 5 des motifs de la décision T 272/95 commence ainsi :

“S’agissant de l’article 164(2) CBE, il incombe à la Chambre d’examiner si les nouvelles règles, dans la mesure où elles se rapportent à l’article 53a) CBE, sont ou non conformes à cet article.”

Ainsi qu’il a déjà été mentionné ci-dessus (cf. point 5.8), l’article 164(2) CBE dispose qu’en cas de divergence entre la CBE et le règlement d’exécution, la CBE fait foi. Par conséquent, dans la décision T 272/95, la chambre 3.3.4 a posé la question de savoir si les nouvelles règles étaient conformes à l’article 53a) CBE et, se fondant comme il fallait s’y attendre sur les orientations fournies par la Grande Chambre, elle a estimé que les nouvelles règles étaient effectivement en accord avec cet article. C’est donc à tort que l’intimé a conclu qu’il n’existe pas de déclaration faisant autorité en la matière.

7.7 Le rapport entre la règle 23quinquies d) CBE et la jurisprudence antérieure peut se résumer comme suit. La disposition introductive des nouvelles règles, à savoir la règle 23ter (1) CBE, énonce que ces règles sont de nature interprétative (cf. point 5.1 ci-dessus), ce qui correspond à la jurisprudence établie et faisant autorité (cf. point précédent). Aucun des arguments avancés pour démontrer le contraire n’est accepté par la Chambre, et ce pour les raisons indiquées ci-dessus. En ce qui concerne les cas, comme la présente espèce, l’interprétation selon la règle 23quinquies d) CBE a pour effet d’introduire un test qui, selon les circonstances et donc la pertinence de l’objection, peut soit s’ajouter soit se substituer à celui qui est déjà prévu dans la jurisprudence.

8. Date à laquelle il convient d’appliquer le test de la règle 23quinquies d) CBE

8.1 Le requérant 1 et l’intimé ont tous deux estimé qu’à l’instar de tous les autres critères d’appréciation de la brevetabilité, le test de la règle 23quinquies d) CBE devrait être appliqué à la date de dépôt ou de priorité (selon le cas) du brevet ou de la demande de brevet en question. Cependant, alors que l’intimé a considéré que les preuves susceptibles d’être prises en compte devaient se limiter à celles qui étaient disponibles à la date de dépôt ou de priorité, le requérant 1 a déclaré que les moyens de preuves ultérieurs devaient être admissibles. Quant au requérant 5 et à l’opposant 3, ils ont tous deux considéré que la date à laquelle il convenait de procéder à une telle appréciation devait être celle de la décision dans la présente procédure, au motif que cela permettrait de prendre en considération les moyens de preuves apparus après la date de dépôt ou de priorité, mais qui ne se rapportent pas à la situation à cette date.

8.2 La Chambre n’hésite pas à conclure que la date à laquelle il y a lieu de procéder à cette appréciation doit être, à l’instar de tous les autres critères d’appréciation de la brevetabilité, la date de dépôt ou de priorité (selon le cas) du brevet ou de la demande de brevet en question. Toute autre date ultérieure, ainsi que l’ont fait valoir le requérant 5 et l’opposant 3, serait en contradiction avec d’autres domaines du droit des brevets et engendrerait des divergences injustifiées entre des cas par ailleurs similaires. Ainsi, l’ensemble des raisons plaidant en faveur d’une appréciation à la date de dépôt ou de priorité relève, pour résumer, du besoin de sécurité juridique. En effet, une appréciation à la date de dépôt ou de priorité garantit un traitement égal de toutes les affaires, alors qu’une appréciation à la date de la décision finale dans une procédure encouragerait les parties à retarder les procédures d’opposition ou de recours dans l’espoir de voir apparaître des éléments de preuves pour ou contre, favoriserait le dépôt tardif de moyens de preuve et pourrait faire dépendre l’issue d’une procédure de sa longueur.

9. Règle 23quinquies d) CBE et moyens de preuves

9.1 Il y a lieu de formuler quelques observations supplémentaires au sujet des preuves lors de l’application du test de la règle 23quinquies d) CBE. Premièrement, ce test exige d’examiner trois aspects, à savoir s’il est probable que des souffrances soient provoquées chez des animaux, si la probabilité d’une utilité médicale substantielle est établie et si les souffrances et l’utilité médicale se rapportent toutes deux à l’utilisation des mêmes animaux. Les deux premiers aspects découlent à l’évidence du libellé de la règle 23quinquies d) CBE et, de l’avis de la Chambre, le troisième en résulte nécessairement aussi, car il serait sinon possible de contourner la règle. Par conséquent, pour prendre un exemple hypothétique, s’il est établi que des souffrances seront probablement provoquées chez les chats et les lions, il serait néanmoins contraire à la règle 23quinquies d) CBE d’admettre des revendications qui engloberaient à la fois les chats et les lions, lorsque la seule utilité médicale probable qui est établie se rapporte à l’utilisation des chats. En résumé, il convient d’appliquer la règle 23quinquies d) CBE de façon à garantir que tout brevet délivré s’étende uniquement aux animaux dont les souffrances sont compensées par une utilité médicale, ce qui est désigné ci-après pour des raisons pratiques par l’expression “correspondance nécessaire entre les souffrances endurées et l’utilité”.

9.2 Deuxièmement, lorsqu’on applique le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE, il importe de ne pas se laisser aller à considérer que les deux éléments du test requièrent différents degrés de conviction. L’expression “de nature à provoquer des souffrances sans utilité médicale substantielle” peut sembler, à première vue, opposer les mots “de nature à” et “substantielle”, de sorte que l’on essaiera de contrebalancer la simple probabilité de souffrances par une utilité médicale effective ou réelle du fait qu’elle doit être “substantielle”, ce qui conduit à chercher des preuves de l’existence d’une telle utilité à la date de dépôt ou de priorité. Or, selon la Chambre, tel n’est pas le cas.

9.3 L’opposant 3 a fait observer pendant la procédure orale (cf. point XXX(3) ci-dessus) que la version allemande de la règle 23quinquies d) CBE utilise le mot “geeignet”, qui n’est pas l’équivalent exact de “likely”, le terme “geeignet” étant généralement traduit par “suitable” ou “suited”. La Chambre constate que la version française utilise l’expression “de nature à”, qui est d’ordinaire traduite par “of such a kind as to”. Les trois versions contiennent donc des expressions légèrement différentes, mais toutes les trois utilisent ces expressions pour qualifier des “procédés de modification de l’identité génétique des animaux” et, comme cela est mis en relief dans le texte allemand, dans lequel le mot “provoquer” (“verursachen”) apparaît après le membre de phrase “utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal” (“wesentlichen medizinischen Nutzen für den Menschen oder das Tier”), l’expression “de nature à” se rapporte à l’ensemble de la dialectique “souffrances-sans utilité”. S’agissant du niveau de preuve requis pour les souffrances provoquées chez les animaux et l’utilité médicale substantielle, il n’y a donc pas de différence. La différence réside tout simplement dans le rapport entre, d’une part, toute souffrance probable chez les animaux, aussi mineure soit-elle, et, d’autre part, l’utilité médicale probable pour l’homme ou l’animal, qui doit être substantielle.

9.4 Troisièmement, il découle de la conclusion selon laquelle il suffit de prouver une probabilité de souffrances chez l’animal qu’il n’est pas nécessaire, lors de l’appréciation au titre de la règle 23quinquies d) CBE, de prendre en considération le degré des souffrances endurées par les animaux (contrairement à ce qu’ont allégué le requérant 1 et l’opposant 3) et la disponibilité de méthodes alternatives ne faisant pas appel à des animaux (contrairement à ce qu’ont fait valoir tous les requérants, à l’exception du requérant 2, et l’opposant 3). (Cela ne veut toutefois pas dire que ces questions ne doivent pas être prises en compte lors de l’examen au titre de l’article 53a) CBE en général.) En ce qui concerne les souffrances des animaux, tout ce qui doit être établi pour faire jouer la règle 23quinquies d) CBE est la probabilité de souffrances quelconques, et rien d’autre.

9.5 Quatrièmement, s’agissant de la nature des moyens de preuve susceptibles d’être pris en compte, ceux-ci doivent se limiter aux questions pertinentes, à savoir la probabilité de souffrances, la probabilité d’une utilité médicale substantielle et la correspondance nécessaire entre les deux. En outre, les moyens de preuve doivent se rapporter à ces aspects à la date de dépôt ou de priorité. Les requérants ont soutenu, comme on peut le comprendre, que les moyens de preuve ne devraient pas se limiter à ceux figurant dans la demande de brevet car cela conduirait inévitablement les titulaires de brevet à se prévaloir de l’utilité de leur invention, le requérant 1 ayant fait observer (cf. point XXIV(6)d) ci-dessus) qu’un inventeur prétendra toujours que son invention a une valeur. L’intimé a quant à lui fait valoir, comme on peut également s’y attendre, que l’admission de preuves autres que celles contenues dans la demande de brevet permettrait d’utiliser des connaissances acquises après coup et obligerait les demandeurs à mettre en oeuvre leurs inventions avant le dépôt de la demande, ce qui signifierait un abandon complet de la pratique antérieure. La Chambre souscrit à l’avis de l’intimé selon lequel il ne saurait être nécessaire de fixer une norme exigeant la mise en oeuvre de l’invention avant le dépôt de la demande, mais elle partage aussi l’avis des requérants selon lequel les moyens de preuve ne peuvent se limiter à ceux qui existaient à la date de dépôt ou de priorité : des preuves additionnelles, en faveur ou au détriment du titulaire du brevet, peuvent être prises en considération ultérieurement, mais il doit s’agir de preuves établissant la situation à la date de dépôt ou de priorité. On peut objecter à l’encontre de telles preuves qu’elles ont été obtenues sur la base de connaissances acquises après coup (ce qui, si c’était établi, pourrait se retourner contre la partie qui se fonde sur elles), mais l’autre solution qui consisterait à autoriser seulement les preuves existant à la date de dépôt ou de priorité appelle la critique plus grave que seul le titulaire du brevet est susceptible de posséder des moyens de preuve admissibles. Il faut bien reconnaître que certaines informations sur des inventions données peuvent n’être mises à jour qu’après le dépôt de la demande de brevet, voire parfois très longtemps après, ainsi que l’illustre bien la décision T 356/93 (JO OEB 1995, 545, point 18.4 des motifs).

9.6 La Chambre considère que la situation à cet égard est analogue à celle qui concerne la preuve de la suffisance de l’exposé conformément à l’article 83 CBE. De la même manière que la divulgation initiale dans la demande de brevet (ou le document de priorité) doit montrer de façon plausible que l’invention divulguée peut être mise en oeuvre, la Chambre estime qu’une demande de brevet doit montrer de façon plausible la probabilité d’une utilité médicale pour contrebalancer toute souffrance provoquée chez les animaux qui ressortirait de manière évidente de la demande. En pratique, dans les cas relevant de la règle 23quinquies d) CBE, il ressortira bien entendu de manière claire et indubitable de la demande de brevet qu’en cas de manipulation génétique d’animaux, il est au moins probable que ceux-ci endureront des souffrances, même si cela n’est pas mentionné expressément. En outre, de même qu’il est possible de prendre en considération des moyens de preuve ultérieurs publiés postérieurement en ce qui concerne la suffisance de l’exposé pour confirmer ou étayer des preuves produites à l’origine dans la demande de brevet, la Chambre estime également que des moyens de preuve supplémentaires peuvent être produits pour confirmer ou étayer la probabilité d’une utilité médicale. Enfin, de la même manière que les opposants peuvent produire des moyens de preuve en vue de démontrer l’insuffisance de l’exposé (par exemple, en essayant sans succès de mettre en oeuvre des modes de réalisation d’un brevet), ils peuvent également produire des moyens de preuve en vue de démontrer qu’une telle utilité médicale est improbable. Toutefois, à l’instar de ce qui se produit dans le cas d’un débat sur la suffisance de l’exposé, à savoir que les moyens de preuve ultérieurs publiés postérieurement doivent se concentrer sur la question de savoir si l’homme du métier aurait été en mesure d’exécuter l’invention sans effort excessif à la date de dépôt ou de priorité, il importe également, dans les cas relevant de la règle 23quinquies CBE, que les moyens de preuve ultérieurs publiés postérieurement portent sur la question de la probabilité d’une utilité médicale à la date de dépôt ou de priorité.

9.7 En résumé, le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE requiert d’établir trois questions : la probabilité de souffrances chez l’animal, la probabilité d’une utilité médicale substantielle et la correspondance nécessaire entre les deux eu égard aux animaux concernés. Le niveau de preuve requis est le même pour les souffrances des animaux et l’utilité médicale substantielle, à savoir la probabilité. Etant donné qu’il suffit de prouver la probabilité de souffrances, d’autres questions, telles que le degré de souffrance ou la disponibilité de méthodes alternatives ne faisant pas appel à des animaux, n’ont pas à être prises en considération. Il n’y a pas lieu de limiter les moyens de preuve à ceux qui étaient disponibles à la date de dépôt ou de priorité, mais les preuves ultérieures doivent se rapporter à la situation existant à cette date.

10. Article 53a) CBE – Bonnes moeurs et ordre public

10.1 Comme indiqué ci-dessus (cf. point 6.1), si une invention relève de l’une des quatre catégories d’exceptions énoncées à la règle 23quinquies d) CBE (c’est-à-dire si une invention concernant la modification de l’identité génétique des animaux tombe sous le coup de la règle 23quinquies d) CBE), il ne doit pas être délivré de brevet en vertu de l’article 53a) CBE. Toutefois, les inventions qui ne relèvent pas des exclusions limitées de la règle 23quinquies CBE (y compris les cas tels que la présente espèce s’ils “réussissent” le test de la règle 23quinquies d) CBE) doivent alors être examinées au regard de l’article 53a) CBE. Il existe donc en réalité deux types bien distincts d’objections au titre de l’article 53a) CBE, à savoir d’une part l’objection au titre de l’article 53a) CBE du “type de la règle 23quinquies d) CBE”, pour laquelle il y a uniquement lieu d’examiner si l’invention relève ou non de l’une des quatre catégories limitées énoncées dans cette règle, et d’autre part la “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE, pour laquelle il y a lieu d’examiner si la mise en oeuvre de l’invention en question serait ou non contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Dans ce dernier cas, la jurisprudence fournit un certain nombre d’orientations.

10.2 Ainsi, la décision T 356/93 (JO OEB 1995, 545), points 5 et 6 des motifs, définit les notions d’ordre public et de bonnes moeurs aux fins de l’article 53a) CBE :

“5. Il est généralement admis que la notion d’ordre public couvre la protection de l’intérêt public et l’intégrité physique des individus en tant que membres de la société. Cette notion englobe également la protection de l’environnement. Par conséquent, conformément à l’article 53a) CBE, les inventions dont la mise en oeuvre risque de troubler la paix publique ou l’ordre social (par ex. par des actes terroristes), ou de nuire gravement à l’environnement, doivent être exclues de la brevetabilité, car elles sont contraires à l’ordre public.

6. La notion de bonnes moeurs est fondée sur la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables, tandis que d’autres ne le sont pas, eu égard à l’ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée. Aux fins de la CBE, la culture en question est la culture inhérente à la société et à la civilisation européennes. En conséquence, les inventions dont la mise en oeuvre n’est pas conforme aux normes de conduite conventionnelles adoptées dans cette culture doivent être exclues de la brevetabilité, conformément à l’article 53a) CBE, car elles sont contraires aux bonnes moeurs.”

Ces définitions confirment l’idée qui transparaît du libellé de l’article 53a) CBE lui-même, selon laquelle l’ordre public et les bonnes moeurs peuvent servir de fondement à deux objections distinctes, qui peuvent être soulevées séparément ou ensemble dans un cas particulier (les deux le sont en l’espèce).

10.3 Au cours de la présente procédure, les objections fondées sur la notion de bonnes moeurs ont été nombreuses, variées et parfois contradictoires. D’aucuns ont défini la conformité aux bonnes moeurs de la “délivrance de brevets relatifs à des animaux” (question non pertinente en soi, cf. partie 4) sur la base de critères économiques (cf. point XXIX ci-dessus), et d’autres sur la base de croyances religieuses (cf. point XXVII ci-dessus). Certains ont fait valoir que la législation donne peu d’orientations en matière de bonnes moeurs (cf. point XXIV(8) ci-dessus), mais aussi que la Chambre doit tenir compte du fait que la protection des animaux est ancrée dans les constitutions de certains Etats européens (cf. points XXV(7) et XXVIII(1) ci dessus). De même, on devrait s’abstenir de prendre en considération les normes profondément ancrées dans une culture particulière (cf. point XXV(5) ci-dessus), la Chambre ne devant toutefois pas méconnaître le principe profondément enraciné selon lequel les animaux ne s’apparentent pas à des objets inanimés (cf. points XXVII(1)(2) et XXVIII(1) ci-dessus).

10.4 Ces divergences de points de vue témoignent à tout le moins de la richesse et de la diversité de la pensée humaine. Cependant, elles n’apportent à la Chambre aucune aide pour décider quelle est l’attitude morale qui prévaut. En effet, certains requérants ont, semble-t-il, reconnu eux-mêmes que les convictions qu’ils défendaient n’étaient pas nécessairement admises d’une manière générale, puisqu’ils ont suggéré que les bonnes moeurs correspondent à ce que pense la majorité et qu’ils se fondent par conséquent dans une large mesure sur les sondages d’opinions. La validité des sondages d’opinion en tant que “baromètres” de la perception des bonnes moeurs par le public a été discutée très en détail dans la décision T 356/93 (JO OEB 1995, 545, point 15 des motifs), laquelle a mis en évidence bon nombre d’inconvénients allant du type et du nombre de questions posées dans un sondage, jusqu’à la façon d’interpréter les résultats obtenus, en passant par la taille et la nature représentative de la tranche de population sondée. La Chambre partage entièrement les vues exprimées dans cette décision antérieure sur la valeur probatoire des sondages d’opinion.

10.5 La Chambre considère que le seul point de départ d’un “véritable” examen au titre de l’article 53a) CBE est le test suggéré dans la décision T 19/90 pour apprécier les cas de manipulation génétique d’animaux (JO OEB 1990, 476, point 5 des motifs) :

“Pour décider le moment venu si la présente invention doit ou non être exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 53a) CBE, il semblerait nécessaire avant tout de peser soigneusement, d’une part, les graves réserves qu’appellent les souffrances endurées par les animaux et les risques éventuels pour l’environnement, et, d’autre part, les avantages de l’invention, à savoir son utilité pour l’humanité.”

Ce test peut être employé dans différents cas en se fondant sur des moyens de preuve relatifs à des époques et à des conditions particulières et semble donc suffisamment souple pour permettre de tenir compte de l’opinion courante (c’est-à-dire à la date de dépôt ou de priorité, cf. point 10.9 ci-après) en matière d’ordre social, de risques pour l’environnement et de normes de comportement admises dans la culture européenne. Contrairement au test de la règle 23quinquies d) CBE, il met en balance, d’une part, les souffrances endurées par les animaux et, d’autre part, l’utilité de l’invention pour l’humanité et non pas l’utilité médicale substantielle et probable pour l’homme ou l’animal. Il suggère aussi de peser les risques éventuels pour l’environnement par rapport à l’utilité de l’invention pour l’humanité. Ce test peut donc être employé dans les affaires concernant l’ordre public ou les bonnes moeurs, ou les deux.

10.6 Qui plus est, alors que le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE n’exige qu’une probabilité de souffrances chez l’animal (c’est-à-dire n’importe quel type de souffrance, même mineure) et une probabilité d’utilité médicale substantielle, le test préconisé dans la décision T 19/90 requiert de “peser soigneusement” les aspects à mettre en balance. Il est clair que cela permet de prendre en considération, d’une part, l’étendue ou l’ampleur des souffrances des animaux et/ou des risques pour l’environnement et, d’autre part, le degré d’utilité de l’invention pour l’humanité. Par conséquent, des facteurs tels que le degré de souffrance et la possibilité de recourir à des méthodes alternatives ne faisant pas appel à des d’animaux peuvent être pris en compte.

10.7 Enfin, la décision T 19/90 précise qu’une décision au titre de l’article 53a) CBE est “avant tout” fonction du test. Cela permet de tenir compte d’autres considérations, soit en adaptant le test – si, par exemple, d’autres aspects que la souffrance des animaux ou les risques pour l’environnement sont invoqués comme étant contraires à l’ordre public ou aux bonnes moeurs – soit en examinant d’autres aspects en dehors du cadre du test. Ainsi, dans la présente espèce, il a été allégué au titre de l’article 53a) CBE qu’une menace pesait sur l’évolution, que le commerce des animaux génétiquement manipulés serait en augmentation et qu’une telle manipulation était immorale (cf. points 13.2.10 et s. ci-dessous).

10.8 Il n’existe apparemment pas de raison de ne pas développer des arguments de ce type dans le cadre du test préconisé dans la décision T 19/90. (La Chambre fait observer en passant que dans les cas autres que ceux concernant la manipulation génétique des animaux, dans lesquels ni le test de la règle 23quinquies d) CBE ni celui de la décision T 19/90 ne s’appliqueraient, ces arguments formeraient l’essentiel d’une objection fondée sur l’article 53a) CBE). Cependant, ainsi que l’a déjà constaté la chambre dans la décision T 356/93, de tels arguments doivent, comme tous les autres, être étayés.

10.9 Pour les mêmes raisons de sécurité juridique qui ont été exposées au sujet des objections formulées au titre de la règle 23quinquies CBE, une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE doit être examinée par référence à la date de dépôt ou de priorité du brevet ou de la demande en cause, même s’il est possible de tenir également compte de preuves ultérieures dès lors qu’elles se rapportent à la situation à la date de dépôt ou de priorité (cf. points 8.2, 9.5 et 9.6 ci-dessus). Toutefois, la Chambre ajoute dans un souci d’exhaustivité que la nature et l’étendue des moyens de preuve requis pour étayer une objection au titre de la règle 23quinquies d) CBE seront sans doute bien différentes de ceux requis pour une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE. Alors que la règle 23quinquies d) CBE exige seulement de rapporter la preuve de la probabilité de souffrances chez l’animal et de la probabilité d’une utilité médicale substantielle, il est possible, lors de l’examen au titre de l’article 53a), CBE de prendre en considération d’autres facteurs (cf. points 10.6 à 10.8 ci-dessus), c’est-à-dire que les moyens de preuve pertinents peuvent être à la fois plus nombreux et plus variés.

10.10 S’agissant de l’appréciation d’une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE, on peut dire en résumé que la décision T 356/93 fournit des définitions pratiques des notions de bonnes moeurs et d’ordre public. Les nombreux critères (économiques, religieux et autres) suggérés par les requérants en vue de définir les bonnes moeurs ne sont pas utiles, car aucun d’eux ne représente une norme admise dans la culture européenne. La valeur probatoire des sondages d’opinion est très limitée pour les raisons indiquées dans la décision T 356/93. Dans les cas concernant la manipulation d’animaux, le test préconisé dans la décision T 19/90 est approprié. Celui-ci se distingue à maints égards du test de la règle 23quinquies d) CBE, et ce principalement en ce qu’il permet de tenir compte d’autres aspects que la souffrance des animaux et l’utilité médicale. Etant donné que sur l’examen se base “avant tout” sur le test de la décision T 19/90, il est possible de prendre aussi en considération d’autres arguments concernant la norme appropriée en matière de bonnes moeurs ou d’ordre public mais, à l’instar de tout autre argument, ils doivent être étayés par des moyens de preuve. Il convient d’apprécier une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE en se plaçant à la date de dépôt ou de priorité. Les preuves ultérieures peuvent être prises en considération dès lors qu’elles se rapportent à la situation à la date de dépôt ou de priorité.

11. Article 53b) CBE

11.1 L’article 53b) CBE exclut expressément de la brevetabilité “les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux”, tout en précisant que “cette disposition ne [s’applique] pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés” – restriction qui n’est pas pertinente en l’espèce (cf. règle 23ter (6) CBE et décision T 356/93, JO OEB 1995, 545, points 33 à 39 des motifs). Contrairement à l’article 53a) CBE, l’exclusion consiste ici simplement à ne pas accorder de brevet aux objets spécifiés en tant que tels et non aux inventions couvrant de tels objets dont la publication ou la mise en oeuvre doit être mesurée à l’aune d’une norme morale ou autre. Par conséquent, une objection au titre de l’article 53b) CBE apparaît simple au départ : elle exige seulement de déterminer le sens de l’exclusion et d’apprécier si la demande ou le brevet contesté englobe ou non des végétaux ou des animaux qui répondent à ce sens. Toutefois, dans une affaire concernant des animaux, il n’est pas simple de déterminer le sens exact de l’article 53b) CBE en raison notamment des différences de terminologie.

11.2 Dans les textes allemand et français de l’article 53b) CBE, les mots employés pour “plant or animal varieties” (c’est-à-dire “variétés végétales ou variétés animales”) sont respectivement “Pflanzensorten oder Tierarten” (c’est-à-dire “variétés végétales ou espèces animales”) et “les variétés végétales et les races animales”. S’agissant des animaux, trois termes différents sont donc utilisés dans les trois langues officielles, à savoir : “variété”, “espèce” et “race”. La règle 23quater CBE, qui dispose que certaines inventions biotechnologiques sont brevetables, inclut à la lettre b (dans le texte anglais) les “plants or animals if the technical feasibility of the invention is not confined to a particular plant or animal variety”. Si cette disposition restreint l’application de l’article 53b) CBE à des inventions limitées à une “plant or animal variety” déterminée, le problème de terminologie demeure néanmoins car les versions allemande et française de la règle utilisent à la place de “plant or animal variety” respectivement les termes “Pflanzensorte oder Tierrasse” et “une variété végétale ou une race animale” (c’est-à-dire qu’il est question dans les deux langues de variétés végétales et de races animales). Il y a donc non seulement une incohérence entre les termes utilisés dans les trois versions de l’article 53b) CBE et une incohérence similaire à la règle 23quater b) CBE, mais aussi une nouvelle complication en ce que ces deux incohérences, du fait de l’emploi dans le texte allemand des mots “Tierarten” (espèces) et “Tierrasse” (race), sont elles-même incohérentes entre elles.

11.3 Les parties qui ont soulevé des objections au titre de l’article 53b) CBE dans la procédure de recours (à savoir les requérants 3 à 6 et l’opposant 3) ont toutes abordé sans nuance la question de savoir si l’article 53b) CBE est limité à une variété, une espèce ou une race animale. Ainsi, elles se sont bornées à utiliser le terme “espèce”, car de ces trois possibilités, c’est le terme qui a assurément le sens le plus large (cf. point 11.6 ci-après), étendant ainsi le plus possible le champ d’exclusion de l’article 53b) CBE. L’intimé a quant à lui fait valoir qu’il convenait, dans le cas des animaux, d’admettre la même approche générale que celle adoptée par la Grande Chambre de recours à propos des variétés végétales dans la décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111), dans laquelle elle a admis les revendications qui englobent plusieurs variétés végétales mais pas les revendications portant sur une variété spécifique. L’intimé n’a toutefois pas tenté de sélectionner l’un des termes “variété”, “espèce” ou “race”, mais s’est borné à observer que la souris oncogène se situait au moins deux catégories taxonomiques au-dessus du plus large de ces trois termes, à savoir le mot “espèce”.

11.4 La Chambre souscrit à l’avis de l’intimé selon lequel le principe énoncé par la Grande Chambre de recours au sujet des végétaux et des “variétés végétales” dans la décision G 1/98 devrait être suivi dans le cas des animaux. Dans cette décision, la Grande Chambre de recours a déclaré au point 3.10 des motifs que :

“Lorsqu’il n’est pas identifié de variété végétale particulière dans une revendication de produit, l’objet de l’invention revendiquée n’est pas une ou des variété(s) végétale(s) au sens de l’article 53b) CBE. C’est pourquoi en bonne logique, contrairement à ce qu’a conclu la chambre 3.3.4, il ne doit pas être délivré de brevet pour une seule variété végétale, mais il peut être délivré un brevet dans le cas où les revendications peuvent couvrir des variétés”.

Cependant, comme indiqué ci-dessus, la difficulté qui existe dans le cas des animaux, mais que la Grande Chambre n’a pas rencontrée dans le cas des végétaux, est que la CBE n’utilise pas un terme unique se rapportant aux animaux tel que l’expression “variétés végétales”. Non seulement l’équivalent exact de “variétés végétales” est utilisé dans les trois versions linguistiques de la CBE, mais la Grande Chambre pouvait en outre, dans l’affaire G 1/98, se fonder sur la jurisprudence antérieure des chambres de recours, sur l’article 2(2) de la Convention UPOV de 1961 et sur la règle 23ter (4) CBE pour donner une définition claire de cette expression (à savoir “tout ensemble végétal d’un taxon botanique du rang le plus bas connu” qui remplit certaines conditions énoncées à la règle 23ter (4)a) à c) CBE).

11.5 Alors que ni la jurisprudence des chambres de recours, ni la règle 23ter CBE (qui a trait à l’interprétation de la CBE en ce qui concerne les inventions biotechnologiques) ne fournissent de définition correspondante des “races animales” (ou des “variétés” ou des “espèces”), la Chambre estime qu’une définition par référence au rang taxonomique serait à la fois en accord avec l’approche suivie pour les variétés végétales et dans l’intérêt de la sécurité juridique. Grâce à une telle définition, il serait possible d’apprécier si l’objet revendiqué est exclu de la brevetabilité en vertu de l’article 53b) CBE, tel qu’interprété par la règle 23quater b) CBE – c’est-à-dire, dans un cas portant sur des animaux, si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une race animale déterminée (quelle que soit la définition du mot “race” ou des expressions alternatives employées en anglais et en allemand).

11.6 Bien que, comme la Chambre l’a déjà relevé, les parties n’aient présenté aucun élément de preuve à cet égard, des définitions taxonomiques existent pour les trois expressions. Ainsi, l’expression “variété animale” est définie dans le dictionnaire en ces termes :

“groupe quelconque parmi différents groupes d’animaux situés à un rang inférieur à celui d’une espèce (sous-espèce)” ;

et l’expression “race animale” est ainsi définie :

“groupe à l’intérieur d’une espèce dont les individus sont effectivement ou potentiellement interféconds ; catégorie taxonomique (telle qu’une sous-espèce) représentant un tel groupe”.

Par conséquent, dans la classification taxonomique, la “variété” et la “race” se situent toutes deux clairement en dessous de la catégorie de l'”espèce”. Cette catégorie est à son tour définie en ces termes :

” catégorie de la classification biologique qui est située directement en dessous du genre ou du sous-genre, comprenant des populations ou des organismes apparentés et potentiellement interféconds, et qui est désignée par un binôme composé du nom du genre suivi par un nom ou adjectif latin ou latinisé en lettres minuscules s’accordant grammaticalement avec le nom du genre”.

Ainsi, on peut citer à titre d’exemple d’espèce : Mus musculus (M. musculus), M. abbottii et M. caroli, l’espèce M. musculus étant ainsi elle-même subdivisée en sous-espèces telles que M. musculus domesticus et M. musculus bractianus. Le “genre” est quant à lui défini en ces termes :

” catégorie de la classification biologique qui est située entre la famille et l’espèce, comprenant des espèces apparentées structurellement ou phylogénétiquement, ou une espèce isolée présentant des caractères distinctifs inhabituels, et qui est désignée par un nom latin ou latinisé au singulier et en majuscules”.

Ainsi, Mus (souris) est un exemple de genre. (Toutes les définitions figurant ci-dessus proviennent du “Merriam-Webster OnLine Dictionary”, les caractères italiques ayant été ajoutés par la Chambre.)

11.7 Conformément à l’article 177(1) CBE, les trois textes de la Convention, c’est-à-dire dans les langues allemande, anglaise et française, font également foi. Toutefois, ainsi qu’il vient d’être démontré, les trois expressions différentes utilisées dans chacune des langues officielles désignent des catégories taxonomiques différentes. La stricte application de l’article 177(1) CBE conduirait donc au résultat absurde que l’issue d’une objection au titre de l’article 53b) CBE dépendrait de la langue de la procédure, la version allemande, qui utilise le terme “espèces animales” (“Tierarten”), correspondant au rang taxonomique le plus élevé et offrant ainsi l’objection la plus étendue. Bien que cette incertitude soit clairement indésirable, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, d’examiner plus avant cette question pour les raisons figurant ci-après (cf. points 13.3.1 à 13.3.5). Comme l’intimé l’a fait valoir (eu égard à la première requête subsidiaire, à savoir la première requête faisant intervenir l’article 53b) CBE, bien que cela eût été vrai aussi de la requête principale si elle n’avait pas été rejetée pour d’autres raisons), et comme en convient la Chambre, le brevet concerne manifestement une catégorie taxonomique d’animaux située au-dessus de l'”espèce”, laquelle représente la définition la plus large qui pourrait être donnée à l’exclusion des animaux à l’article 53b) CBE.

11.8 S’agissant de l’article 53b) CBE, la Chambre estime pour résumer que le principe énoncé dans la décision G 1/98 à propos des végétaux et “variétés végétales” devrait être suivi pour les animaux, à savoir qu’un brevet ne devrait pas être délivré pour une race animale individuelle (ou pour une variété ou une espèce, selon la version linguistique de la CBE utilisée), mais peut l’être lorsque ses revendications sont susceptibles de couvrir des races animales. La définition de la race animale (ou de la variété ou de l’espèce) par référence au rang taxonomique serait en accord avec l’approche suivie pour les variétés végétales et dans l’intérêt de la sécurité juridique, car elle permettrait, dans un cas portant sur des animaux, d’examiner au regard de l’article 53b) CBE, tel qu’interprété par la règle 23quater b) CBE, si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une race (ou une variété ou une espèce) animale déterminée. Les différents termes utilisés dans chacune des langues officielles désignent toutefois des catégories taxonomiques différentes. La stricte application de l’article 177(1) CBE conduirait donc au résultat absurde que l’issue d’une objection au titre de l’article 53b) CBE dépendrait de la langue de la procédure, la version allemande, qui utilise le terme “Tierarten”, à savoir espèces animales, correspondant au rang taxonomique le plus élevé et offrant ainsi l’objection la plus étendue.

12. Requête principale

La requête principale de l’intimé, qui a été déposée pendant la procédure orale, contenait les mêmes revendications que celles maintenues par la division d’opposition mais sans les revendications portant sur des chromosomes et des cellules. Les revendications indépendantes de cette requête se lisent donc comme suit :

“1. Méthode pour produire un rongeur transgénique ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion chromosomique d’une séquence oncogène activée dans le génome d’un rongeur.

19. Rongeur transgénique dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat de l’insertion chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10.”

[Au point 12.1, la chambre a estimé que l’objet de la requête principale était une invention au sens de l’article 52 CBE.]

12.2 Article 53a) CBE

Test de la règle 23quinquies d) CBE

12.2.1 Il ne fait pas de doute que l’objet du brevet en cause concerne un procédé de modification de l’identité génétique d’animaux, si bien qu’il y a lieu de prendre en considération la règle 23quinquies d) CBE. Il n’est en outre pas contesté – et les parties en ont d’ailleurs convenu – que le procédé est de nature à provoquer des souffrances chez les animaux concernés. Vu que la requête englobe tous les animaux appartenant à l’ordre taxonomique Rodentia, chaque animal de cet ordre, à savoir non seulement la souris, mais aussi l’écureuil, le castor, le porc-épic et tout autre rongeur va et devra présenter des souffrances. En tout état de cause, on ne saurait tirer aucune autre conclusion en ce qui concerne une requête dans laquelle la méthode selon la revendication 1 provoque chez les rongeurs selon la revendication 19 “une probabilité accrue de développer des néoplasmes”, c’est-à-dire engendre une croissance anormale – bénigne ou maligne – des tissus qui entraîne des souffrances chez les animaux et finalement leur mort. La souffrance des animaux n’est pas seulement une probabilité mais la conséquence inévitable du but même du brevet.

12.2.2 Les deux questions qui se posent sont donc, premièrement, s’il existe aussi une probabilité d’utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal et, deuxièmement, si cette utilité se présente pour tous les animaux qui risquent de souffrir, c’est-à-dire s’il y a bien la correspondance nécessaire entre la probabilité de souffrances et celle de l’utilité médicale (cf. point 9.1 ci-dessus).

12.2.3 Le dossier ne contient aucune preuve, que ce soit dans le brevet lui-même ou dans toute autre pièce, de la probabilité de pouvoir retirer une telle utilité, et encore moins une utilité médicale substantielle, de l’application de la méthode revendiquée à tous les rongeurs, ou à tout animal de l’ordre Rodentia hormis les souris. S’agissant des animaux en question, la correspondance nécessaire entre la probabilité de souffrances et celle de l’utilité médicale fait défaut. L’intimé a fait valoir qu’il était avantageux de disposer de plusieurs modèles pour l’étude du cancer, sans être limité par la physiologie, le métabolisme particuliers etc. des souris. Toutefois, il n’existe tout simplement aucun élément de preuve montrant que les divers animaux de la catégorie des rongeurs sont tous si différents que chacun d’eux apporterait une contribution à l’étude du cancer, par exemple en étant particulièrement approprié comme modèle d’étude d’un type donné de cancer. Il s’avère donc que l’argument de l’intimé n’est rien d’autre qu’un argument purement hypothétique, qui n’est étayé par aucune preuve. Aussi la Chambre en conclut-elle que la condition prévue à la règle 23quinquies d) CBE selon laquelle il doit y avoir une probabilité d’utilité médicale substantielle n’est pas remplie pour ce qui est des rongeurs.

12.2.4 Il s’ensuit que la requête principale divulgue pour l’ensemble des animaux couverts par les revendications une probabilité de souffrances chez l’animal mais pas celle d’une utilité médicale. Par conséquent, la requête principale échoue au test de la règle 23quinquies d) CBE, si bien qu’elle doit être rejetée en vertu de l’article 53a) CBE. La requête principale n’est donc pas admissible.

Test de la décision T 19/90

12.2.5 Avant de passer à l’examen de la première requête subsidiaire, la Chambre tient à formuler une autre remarque. Ainsi qu’elle l’a déclaré au cours de la procédure orale, elle estime que l’on serait parvenu à la même conclusion au sujet de la requête principale dans le cadre de l’examen d’une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE (cf. partie 10 ci-dessus). En ce cas, le test préconisé dans la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476, point 5 des motifs) serait applicable à la requête principale. Comme la Chambre l’a fait observer plus haut (cf. point 7.1), l'”utilité pour l’humanité” peut inclure l’utilité médicale, de sorte que les aspects à mettre en balance seraient pour l’essentiel identiques dans les deux tests. Prendre en considération des éléments autres que la possibilité de souffrances ou d’utilité lors de l’application du test de la décision T 19/90 ne ferait aucune différence, puisque les parties ont convenu que les animaux souffriraient. La prise en compte d’autres aspects, tels que le degré des souffrances endurées par les animaux et la disponibilité de méthodes alternatives ne faisant pas appel à des animaux (à supposer que cela soit établi par des preuves), ne ferait que pencher davantage la balance contre l’admissibilité de la requête.

13. Première requête subsidiaire

La première requête subsidiaire de l’intimé contient des revendications indépendantes qui correspondent à celles de la requête principale, mais dans lesquelles les “rongeurs” ont été remplacés par des souris. Les revendications indépendantes de cette requête se lisent donc comme suit :

“1. Méthode pour produire une souris transgénique ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion chromosomique d’une séquence oncogène activée dans le génome d’une souris.

19. Souris transgénique dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat de l’incorporation chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10.”

[Au point 13.1, la Chambre a estimé que l’objet de la première requête subsidiaire était une invention au sens de l’article 52 CBE.]

13.2 Article 53a) CBE

Test de la règle 23quinquies d) CBE

13.2.1 Conformément à l’article 53a) CBE, il convient d’examiner la première requête subsidiaire en commençant par le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE. En ce qui concerne la probabilité de souffrances chez l’animal, le brevet lui-même contient des éléments de preuve montrant que les souris oncogènes spécifiques obtenues avec la méthode revendiquée dans le brevet opposé développent des néoplasmes particuliers et qu’elles ont été utilisées pour tester des composés soupçonnés d’être cancérigènes ou au contraire susceptibles d’offrir une protection contre le développement de ces néoplasmes (cf. page 10, lignes 15 à 31). Il n’est donc pas seulement probable mais certain que les animaux endureront des souffrances. De plus, comme la Chambre l’a déjà relevé à propos de la requête principale, les parties ont convenu que tout animal obtenu par la méthode faisant l’objet du brevet souffrirait et cela inclut nécessairement les souris.

13.2.2 La probabilité d’une utilité médicale substantielle peut quant à elle être au moins déduite du brevet lui-même : le but de la méthode revendiquée et des souris oncogènes obtenues avec cette méthode qui sont utilisées à des fins expérimentales est de faire avancer la recherche sur le cancer. De plus, le dossier contient des preuves sous forme de déclarations et de documents publiés après le brevet, qui montrent que l’utilisation de souris telles que celles obtenues par la méthode revendiquée permet d’obtenir de réels bénéfices médicaux. Par exemple, il est déclaré dans le document (81) que “la souris oncogène est peut-être ce que nous pouvons obtenir de plus proche de la situation de l’être humain” et que “des processus génétiques clés régissant le développement de la glande mammaire (et, par extension, du cancer) sont conservés chez la souris et chez l’homme, de sorte que la souris permet la meilleure approximation”. Le document (82), à savoir une déclaration indiquant comment les mammifères oncogènes autres que l’être humain sont utiles et avantageux pour la recherche scientifique et médicale, cite un certain nombre de documents scientifiques (joints en annexe), qui font état de tels avantages obtenus avec les souris oncogènes. En 1995, la souris oncogène a été décrite comme un modèle utile pour les techniques d’imagerie in vivo et le dépistage préclinique des agents d’imagerie applicables aux tumeurs du sein (document (A3)). En 1996, des souris oncogènes ont été utilisées pour démontrer que l’éthanol et la cocaïne ont un effet cancérigène et font intervenir un produit oncogène particulier dans le dérèglement du système immunitaire (document (A4)). Une thérapie à court terme combinant des vecteurs adénoviraux IL2 et de type 5 exprimant l’angiostatine murine a été évaluée en 2001 dans un modèle de souris oncogène, démontrant pour la première fois un ralentissement et une régression de la croissance de la tumeur (document (A2)). La vaccination réussie de souris oncogènes contre le développement de tumeurs du sein au moyen d’un vaccin d’ADN a également été décrite (document (A1)).

13.2.3 S’agissant de la correspondance nécessaire entre les souffrances et l’utilité (cf. point 9.1 ci-dessus), tous les animaux appartenant au genre “Mus” sont étroitement apparentés pour ce qui est de la plupart des aspects biologiques pertinents, de sorte qu’il est crédible que tout membre du genre puisse être utilisé comme modèle d’étude du cancer d’une façon similaire à celle qui est enseignée dans le brevet en utilisant des exemples particuliers de souris. On ne saurait douter que l’utilisation de la méthode revendiquée, à savoir l’insertion d’un oncogène activé dans le chromosome de l’animal, ou l’usage fait de telles souris entraîne des souffrances chez ces animaux, tout en offrant en même temps la perspective d’une contribution à la recherche médicale.

13.2.4 Par conséquent, la Chambre estime que l’objet des revendications 1 et 19 selon la première requête subsidiaire “passe avec succès” le test prévu à la règle 23quinquies d) CBE et ne relève donc pas de la catégorie des inventions pour lesquelles il n’est pas délivré de brevet en vertu de cette règle. Dès lors, il y a lieu d’examiner cette requête au regard de l’article 53a) CBE sans faire référence à cette règle : en d’autres termes, il s’agit d’une “véritable” objection au titre de l’article 53a) CBE (cf. point 10.1 ci-dessus).

Test de la décision T 19/90

13.2.5 La limitation de la requête subsidiaire à des “souris” entraîne aussi un résultat différent dans l’application du test préconisé dans la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476, point 5 des motifs). Lorsque l’on procède à ce test, on constate à nouveau que, d’un côté de la balance, les parties s’accordent à reconnaître que la méthode brevetée cause de réelles souffrances aux souris utilisées. De l’autre côté de la balance, il a été démontré que cette méthode présente une réelle utilité médicale (cf. point 13.2.2 ci-dessus), et ce dans l’intérêt de l’humanité. Contrairement à la requête principale, aucune souffrance n’est provoquée chez les animaux sans qu’elle soit contrebalancée par une perspective correspondante d’utilité. Jusque là, le test de la décision T 19/90 conduit donc au même résultat que celui prévu à la règle 23quinquies d) CBE. Toutefois, le test de la décision T 19/90 permet de prendre en compte d’autres considérations, ainsi que la Chambre l’a mentionné plus haut (cf. points 10.6 à 10.8). En l’occurrence, les requérants et l’opposant 3 ont fait valoir deux considérations de ce type, à savoir le degré de souffrances des animaux et la possibilité de recourir à des méthodes alternatives ne faisant pas appel à des animaux pour atteindre les mêmes buts que le brevet en cause.

13.2.6 Contrairement à l’existence de souffrances chez les animaux, il n’a été produit aucune preuve du degré des souffrances endurées par ces animaux – un argument avancé par le requérant 1 et l’opposant 3 – ce qui ne surprend absolument pas la Chambre. Suggérer que le degré de souffrance pourrait être pertinent revient à affirmer qu’il est possible d’établir une distinction entre des “souffrances acceptables” et des “souffrances inacceptables”. Selon la Chambre, les parties ne souhaitaient pas réellement évoquer une telle distinction, laquelle ne faciliterait assurément pas le rendu d’une décision en l’espèce ou dans des affaires similaires. Ces observations suffisent à montrer qu’il serait non seulement déplaisant mais effectivement impossible pour la Chambre (ou toute autre instance appelée à rendre une décision) de tirer des conclusions sur des degrés de souffrance. Aussi bien la règle 23quinquies d) CBE que la décision T 19/90 font référence aux “souffrances” et non pas à un “degré de souffrance”. De l’avis de la Chambre, ceci reflète la seule approche qu’il est possible d’adopter, à savoir que toute souffrance de l’animal concerné suffit à faire jouer l’article 53a) CBE et requiert en contrepartie une utilité. Par conséquent, l’argument fondé sur le degré de souffrance des animaux n’est d’aucune aide aux fins du test préconisé dans la décision T 19/90 et la distinction malencontreuse qu’il suggère affaiblit à tout le moins la position de ceux qui l’invoquent.

13.2.7 En ce qui concerne les méthodes alternatives ne faisant pas appel à des animaux, les requérants 1 et 3 à 6 ainsi que l’opposant 3 ont tous soutenu qu’elles devaient être prises en considération. La méthode plus pertinente qui a été mentionnée est la culture de cellules, mais il n’a été produit aucune preuve montrant un quelconque avantage par rapport à la méthode revendiquée dans le brevet, voire une utilité équivalente. L’intimé a réfuté ces arguments en faisant observer que seul un animal offre la possibilité d’utiliser un organisme complet, incluant par exemple le système immunitaire. Il a également produit une déclaration qui explique pourquoi les souris oncogènes présentent des avantages par rapport aux cultures de cellules (document (81), alinéas 3 et 4). Dès lors, la prise en considération de cette méthode alternative en tant qu’élément pertinent dans le cadre du test de la décision T 19/90 aura pour conséquence, sur la base des preuves disponibles, de faire pencher la balance en faveur de l’intimé et non des requérants.

13.2.8 On parvient au même résultat lorsque l’on met en balance, dans le cadre dudit test, les risques pour l’environnement et l’utilité pour l’humanité. Dans ce cas, les mêmes facteurs sont pris en compte, à cette différence que les souffrances des animaux, sur lesquelles s’accordent les parties, sont remplacées par les éventuelles menaces sur l’environnement au cas où les souris oncogènes s’échapperaient dans la nature (ou seraient relâchées de façon délibérée ou accidentelle). Comme il faut s’y attendre avec un danger qui ne s’est pas encore concrétisé, aucune preuve n’a été produite à l’appui des arguments concernent l’environnement, lesquels ont joué un rôle tout à fait mineur dans la procédure de recours. Par conséquent, ces arguments sont, en l’espèce, encore plus faibles que dans l’affaire T 356/93 (JO OEB 1995, 545, points 18 et 19 des motifs), où la chambre 3.3.4 avait estimé, à propos d’arguments similaires portant sur les risques allégués de dissémination des plantes génétiquement modifiées, qu’une menace pesant sur l’environnement pouvait servir de fondement à une objection au titre de l’article 53a) CBE, mais que, sur la base des preuves dont elle disposait, l’existence d’une telle menace n’avait pas été établie. Au point 18.6 des motifs, la chambre a déclaré que :

“Dans la présente affaire, le requérant n’a présenté aucune preuve concluante montrant que l’exploitation de l’objet revendiqué risque de nuire gravement à l’environnement. En fait, la plupart de ses arguments sont fondés sur l’éventuelle survenue de phénomènes indésirables, ayant des effets destructeurs (par ex. la transformation de cultures en mauvaises herbes, la dissémination du gène de résistance aux herbicides dans d’autres plantes, la détérioration de l’écosystème). Bien entendu, de tels phénomènes peuvent se produire dans une certaine mesure, ce que même l’intimé a admis. Toutefois, de l’avis de la Chambre, les preuves documentaires présentées à ce sujet ne sont pas suffisantes pour démontrer que la menace pesant sur l’environnement est telle que l’invention doit être exclue de la brevetabilité conformément à l’article 53a) CBE.”

En comparaison, les moyens invoqués en matière d’environnement par ceux qui s’opposent au brevet en litige sont bien plus faibles.

13.2.9 La Chambre considère que les questions liées à l’environnement ont tout au plus un effet neutre sur la présente affaire. S’il existe bien un risque de mise en liberté ou de fuite, à l’instar des animaux de cirque ou vivant dans un zoo, ce risque est à peine plus grand qu’un risque hypothétique lorsque l’on tient compte des conditions de sécurité dans lesquelles sont gardées les souris de laboratoire et du degré de réglementation de l’utilisation et de la garde d’animaux à des fins expérimentales dans la plupart des pays. Il est en outre douteux que les souris oncogènes, en cas de mise en liberté ou de fuite, causeraient un préjudice quelconque, et à plus forte raison un préjudice durable à l’environnement. La seule menace perceptible est que l’oncogène soit disséminé en cas d’accouplement avec des souris se trouvant déjà dans la nature. A l’inverse, il se peut fort bien que les souris oncogènes, du fait qu’elles ont été manipulées, ne survivraient pas dans la nature aussi longtemps que des souris non manipulées.

Article 53a) CBE – Autres considérations

13.2.10 Pour les raisons exposées dans les cinq points précédents, la requête subsidiaire “passe avec succès” le test de la décision T 19/90. Il reste à examiner au regard de l’article 53a) CBE si les autres arguments avancés par les requérants ou l’opposant 3 sont suffisants pour prouver que la publication ou la mise en oeuvre de l’invention telle que revendiquée dans cette requête serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Ces derniers arguments peuvent se résumer comme suit :

a) les souris oncogènes font peser une menace sur l’évolution ;

b) le brevet favorisera une augmentation du nombre des souris transgéniques utilisées dans la recherche sur le cancer et encouragera, plus généralement, le commerce de ces animaux ;

c) l’utilisation d’animaux manipulés génétiquement (en l’espèce, des souris) dans la recherche médicale est moralement inacceptable pour le public.

Ces arguments seront examinés ci-après. La Chambre relève que ces objections semblent toutes se rapporter aux bonnes moeurs et qu’aucun argument ne semble impliquer quoi que ce soit de contraire à l’ordre public.

13.2.11 Pour ce qui est de l’allégation d’une menace pesant sur l’évolution, il n’a été là non plus produit aucune preuve, ce qui n’est pas surprenant. Il s’agit donc d’une simple question à discuter. Il est des développements dans le cours de l’évolution, tels que l’extinction de certains animaux, que l’humanité juge généralement regrettables et d’autres, tels que l’éradication de l’agent responsable de la variole, qui sont indiscutablement considérés comme bénéfiques à l’humanité. Servir la recherche médicale dans le but de guérir, de réduire ou d’éradiquer des maladies peut uniquement être considéré, d’une manière générale, comme moralement correct. Ainsi que l’intimé l’a fait observer à juste titre lors de la procédure orale, vouloir guérir le cancer est tout à fait moral. La seule vraie question qui se pose dans le cadre de cet argument concernant l’évolution est de savoir s’il est conforme aux bonnes moeurs d’utiliser des souris à cette fin. Cette question est traitée aux points 13.2.13 à 13.2.21 ci-après.

13.2.12 Comme mentionné plus haut, les autres arguments vont de la crainte d’une utilisation accrue des souris transgéniques dans la recherche sur le cancer à l’augmentation du commerce de ces animaux en général. De tels arguments relèvent presque, voire complètement, des questions non pertinentes (cf. partie 4 ci-dessus). Il convient de rappeler que ce qui est en cause est la conformité aux bonnes moeurs de la mise en oeuvre de l’invention relative à la souris oncogène et non celle des brevets portant sur des animaux. Il apparaît donc que ces arguments reviennent simplement à suggérer que la délivrance d’un brevet aura pour effet d’intensifier le recours à des souris modifiées. La Chambre ne saurait souscrire à cette constatation (ce à quoi revient cet argument, en l’absence de preuves). Le brevet accordant un monopole temporaire à son titulaire, seul ce dernier et les titulaires d’une licence sur ce brevet peuvent mettre en oeuvre le brevet tant qu’il est en vigueur, c’est-à-dire pendant vingt ans dans le cas d’un brevet européen et de la plupart des autres brevets. Etant donné que l’on considère généralement que la libre concurrence suscite une activité économique accrue, un tel monopole peut en fait signifier que les souris modifiées seront, dans un premier temps, moins utilisées qu’elles ne le seraient autrement. Pour ce qu’elle vaut, la déclaration faite par l’intimé lors de la procédure orale (et qui équivaut presque à un aveu contre son propre intérêt), selon laquelle la présente invention avait été “remarquablement peu profitable” (cf. point XXXI(21) ci-dessus), réduit en grande partie à néant les arguments des requérants, qui ne sont d’ailleurs étayés par aucune preuve : si le brevet avait réellement contribué à augmenter le commerce des animaux transgéniques, on se serait attendu à ce que le détenteur d’un monopole sur certains de ces animaux obtienne de meilleurs résultats que ce qu’affirme l’intimé.

13.2.13 Pour finir, la Chambre va maintenant examiner les autres éléments concernant l’opinion du public à la date de priorité. A proprement parler, elle devrait uniquement examiner les moyens de preuve concernant la présente invention mais, comme l’intimé l’a fait remarquer à juste titre (cf. point XXXI(11) ci-dessus), de telles preuves n’ont pas été produites. Dans ces conditions, la Chambre peut donc seulement examiner les arguments invoqués quant à la façon dont le public perçoit les manipulations génétiques des animaux en général. A cet égard, les éléments produits à titre de preuve ou portés à l’attention de la Chambre dans le cadre des différents arguments des parties incluaient, dans le cas des requérants, le malaise du public, l’issue de la procédure canadienne correspondante, les références aux animaux dans les traités européens, la législation européenne et nationale sur l’utilisation des animaux à des fins expérimentales, les déclarations et résolutions de divers organismes, y compris des églises, des parlements nationaux et du Parlement européen, ainsi que des sondages d’opinions, et, dans le cas de l’intimé, l’acceptation du recours aux animaux dans la recherche médicale.

13.2.14 Toutefois, avant d’examiner ces éléments, la Chambre souhaite souligner une nouvelle fois (cf. point 10.8) que les arguments invoqués au titre de l’article 53a) CBE quant à l’avis du public doivent, à l’instar de tous les arguments, être étayés par des preuves. Bien que la Chambre ne considère pas un instant qu’une partie ait eu l’intention, en omettant de produire des preuves, d’induire quiconque en erreur, la simple allégation d’un fait par écrit ou oralement ne suffit néanmoins pas pour le prouver. Pour ne prendre qu’un exemple, il est facile de prouver que la protection des animaux est prévue dans le projet de constitution européenne en produisant une copie de ce projet. Il est également d’usage dans la plupart des pays européens (cf. article 125 CBE) et au-delà que les dispositions d’autres systèmes juridiques que celui dans lequel se déroule une procédure doivent être prouvées, par exemple en produisant des copies (et si nécessaire la traduction) de ces dispositions et/ou, le cas échéant, l’avis de juristes dans le système juridique correspondant à titre d’expertise. Alors que la Chambre aurait pu ignorer toutes les allégations non étayées (du fait notamment qu’elle avait expressément invité les parties à présenter des moyens de preuve, cf. point XI(2) ci-dessus), elle leur a accordé, quand c’était possible, toute l’importance qu’elle a pu – en partie parce que les faits allégués sont bien connus et/ou faciles à vérifier même en l’absence de preuves, et en partie parce que l’intimé, bien qu’ayant fait observer que les requérants n’avaient d’une manière générale pas fourni de preuves directes, a répondu à tous leurs arguments, y compris ceux qui étaient fondés sur des allégations non étayées.

13.2.15 Le requérant 1 a fait valoir que les brevets portant sur des animaux provoquaient un “malaise dans le public”, comme le constate la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476, point II de l’exposé des faits) au sujet des Etats-Unis et ainsi que le reflète la décision canadienne correspondante. Le passage pertinent de la décision T 19/90, auquel le requérant fait référence, se lit comme suit :

“…c) La division d’examen a également jugé nécessaire de prendre en considération les dispositions de l’article 53a) CBE, qui prévoit qu’il n’est pas délivré de brevets pour les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs ; aux Etats-Unis, par exemple, le fait de breveter des organismes supérieurs a suscité de vives critiques fondées sur des arguments d’ordre éthique.” (C’est la Chambre qui souligne.)

En fait, il s’agit uniquement d’une observation que la division d’examen avait formulée dans la décision contestée à l’époque et qui a été reprise par la chambre alors saisie de l’affaire. En tant que déclaration, ce n’est rien de plus, de l’avis de la Chambre, qu’une vérité extrêmement générale à laquelle souscrirait même l’intimé (cf. sa réponse du 2 avril 2004, alinéa 13) et qui n’aurait pas davantage d’incidence sur la présente affaire même s’il pouvait être démontré qu’elle s’appliquait à l’opinion publique européenne, et non américaine, à la date du 22 juin 1984, et non fin 1990.

13.2.16 La Chambre s’est procuré et a examiné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire correspondante. Comme l’a indiqué le requérant 1 et comme l’a fait observer l’intimé, la décision porte sur la signification de termes employés dans la législation canadienne sur les brevets et non dans la CBE. Après trois recours antérieurs consécutifs à la décision de l’examinateur, la Cour suprême a décidé en dernier ressort que les expressions “manufacture” (fabrication) et “composition of matter” (composition de matières) excluaient les formes de vie supérieure. En résumé, on constate non seulement que cette décision a été rendue dans un pays non européen, qu’elle concerne des expressions juridiques qui n’existent pas dans le droit des brevets de la CBE et qu’elle reflète l’avis de la Cour suprême exprimé en 2002, mais également que cette décision ne prouve manifestement pas que les brevets sur des animaux suscitent un malaise dans le public.

13.2.17 Il a été fourni très peu d’éléments de preuve à l’appui des arguments fondés sur des traités, des lois ou des croyances politiques et religieuses afin de montrer qu’il y a lieu de protéger les animaux et d’interdire la délivrance de brevets portant sur des animaux. Toutefois, même si aucun moyen de preuve n’a été produit, à quelques exceptions près (cf. notamment les documents (28) et (29), à savoir les projets de résolution du Parlement européen des 8 et 10 février 1993), la Chambre accepte volontiers que le souci du bien-être des animaux est un principe admis dans la culture européenne et l’était déjà à la date de priorité du brevet en cause.

13.2.18 A l’inverse, il convient de noter que le requérant 1 a également fait référence aux directives 86/609/CE et 98/44/CE ainsi qu’à la procédure d’autorisation de l’utilisation des animaux pour la recherche au Royaume-Uni. Ce faisant, il a apparemment essayé de montrer que l’utilisation des animaux en recherche médicale expérimentale est strictement contrôlée, en accord avec le souci du bien-être des animaux mentionné au point précédent. Cependant, l’existence de ces directives et de la législation nationale vient aussi corroborer la remarque de l’intimé selon laquelle l’utilisation des animaux dans la recherche médicale et scientifique, tout en étant strictement contrôlée par les mesures mentionnées par le requérant 1, est également établie dans la culture européenne. La Chambre partage cet avis et estime donc que non seulement le bien-être des animaux mais aussi leur utilisation aux fins de la recherche et de l’expérimentation sont ancrés dans la culture européenne et l’étaient déjà à la date de priorité du brevet.

13.2.19 La dernière catégorie de preuves présentées par les requérants (principalement les requérants 1 et 2) est celle des sondages d’opinions. Au point 10.4 ci-dessus, la Chambre a déjà exposé qu’à l’instar de la chambre 3.3.4 dans l’affaire T 356/93 (JO OEB 1995, 545), elle ne considère pas que les sondages d’opinions constituent des instruments fiables pour apprécier l’avis du public. L’objection de l’intimé selon laquelle les personnes interrogées doivent disposer d’un certain niveau de formation dans différents domaines (cf. point XXXI(17) ci-dessus) pour pouvoir répondre aux questions du sondage de façon significative va dans le même sens. Le requérant 1 a mentionné un sondage réalisé à sa propre demande au Royaume-Uni en 1998, ainsi qu’un sondage sur la biotechnologie réalisé auprès de 16 000 personnes en 1996 à l’échelle de l’Europe. Le requérant 2 s’est référé quant à lui à un sondage de 500 personnes réalisé en 1993 en Allemagne. Aucune information n’a été fournie sur la méthodologie utilisée, par exemple si les sondages ont été réalisés par des professionnels qualifiés ou par du personnel temporaire recruté spécialement pour le sondage en question, si les personnes interrogées ont été arrêtées au coin d’une rue et ont répondu à la hâte ou si elles ont été conviées dans des locaux confortables et ont eu le temps de réfléchir, si leur participation était volontaire ou payée, quelles étaient les autres questions qui leur ont été posées en plus de celles qui jouent un rôle dans la présente procédure (si une question antérieure a heurté la sensibilité des personnes interrogées, cela peut ainsi se répercuter sur une question citée en l’espèce), si les questions posées étaient ouvertes – par exemple : “Quelle est votre opinion sur la manipulation génétique des animaux ?”, ce qui permet toute une variété de réponses, ou fermées – par exemple : “La manipulation génétique des animaux est-elle à votre avis acceptable ?”, ce qui permet seulement deux types de réponses. Enfin, aucune information n’a été fournie sur la manière dont les résultats ont été analysés, par exemple sur la façon dont les réponses du type “Je ne sais pas” ont été traitées.

13.2.20 Moyennant ces réserves, la Chambre a examiné ce qui peut être tiré des informations qui lui ont été fournies sur les trois sondages invoqués.

a) Il ressort du sondage du requérant 1 réalisé au Royaume-Uni en 1998 (taille et composition de l’échantillon inconnues, nombre de questions posées non précisé) que 82% des personnes interrogées se sont prononcées contre la délivrance de brevets relatifs à des animaux et il en est conclu que ces personnes” ne peuvent, par définition, qu’être opposées à la délivrance d’un brevet pour la souris oncogène” (cf. mémoire exposant les motifs du recours du requérant 1, alinéa 36 f)). Toutefois, c’est de la mise en oeuvre de l’invention relative à la souris oncogène dont il est question en l’espèce, et non de la brevetabilité des animaux en général (cf. points 4.3 et 4.4 ci-dessus). Par conséquent, la conclusion du requérant 1 ne peut être correcte dans la mesure où les personnes interrogées ne pouvaient avoir connaissance de l’usage qu’il était envisagé de faire de la souris oncogène. Dans le meilleur des cas, ce sondage montre que la mise en oeuvre de la présente invention a pu susciter à cette date une certaine hésitation du public dans un des grands pays européens.

b) Le requérant 1 a également invoqué un sondage réalisé en 1996 à l’échelle de l’Europe par l’Union européenne auprès de 16 000 personnes. Celui-ci était manifestement limité à des questions de biotechnologie. A la question “Pensez-vous qu’il soit moralement acceptable pour la société de produire aux fins de la recherche en laboratoire des animaux génétiquement modifiés, tels qu’une souris ayant des gènes qui provoquent le développement d’un cancer ?”, le requérant 1 affirme que 47,8 % des personnes interrogées (soit 7 648 personnes) ont répondu que c’était inacceptable et 41,2 % (soit 6 592 personnes) que c’était acceptable. Cette question portant manifestement sur la présente invention, la réponse doit être appréciée avec soin. Il convient d’observer en premier lieu que le nombre des personnes dont l’opinion est inconnue (11%, soit 1 760 personnes) est plus grand que la différence entre celles qui se sont prononcées pour ou contre (6,6 %, soit 1 056 personnes). Deuxièmement, il y a lieu de relever que, mis à part les autres questions posées dans le sondage et que le requérant 1 n’a pas mentionnées, la valeur de la question est compromise de par sa nature même, car il s’agit d’une “double question” mêlant le général et le particulier. S’il avait d’abord été demandé dans le sondage : “Pensez-vous qu’il soit moralement acceptable pour la société de produire des animaux génétiquement modifiés aux fins de la recherche en laboratoire ?”, puis : “Pensez-vous qu’il soit moralement acceptable pour la société de produire une souris ayant des gènes qui provoquent le développement d’un cancer ?”, la seconde question aurait une valeur extrêmement limitée. Toutefois, ces deux questions étant combinées en une seule, la réponse des personnes sondées à la question spécifique portant sur une souris génétiquement modifiée est si chargée d’affectivité qu’elle en est pratiquement dénuée de sens.

c) Le requérant 2 s’est quant à lui référé à un sondage de 500 personnes réalisé en Allemagne en 1993, dans lequel 70% des personnes interrogées ont déclaré que la délivrance de brevets portant sur des animaux manipulés génétiquement aux fins de la recherche sur le cancer était selon elles moralement condamnable. Par conséquent, tout ce que ce sondage établit est que 350 personnes dans le plus grand pays européen ont désapprouvé en 1993 la manipulation génétique d’animaux pour la recherche sur le cancer – ce qui suffit pour montrer qu’il n’a aucune valeur de preuve dans la présente affaire.

13.2.21 Après avoir pris en considération tous les arguments concernant l’opinion du public, qu’ils soient ou non étayés par des preuves, la Chambre peut uniquement conclure que dans la culture européenne, et donc (en l’absence de preuve du contraire) dans cette culture à la date de priorité du brevet en cause, les animaux sont d’une part respectés en tant qu’êtres doués de sensations que l’on ne doit pas maltraiter ou dont il ne faut pas abuser sans motif (cf. point 13.2.17 ci-dessus) et d’autre part reconnus pour le rôle important qu’ils jouent dans les essais de médicaments et de méthodes curatives avant leur application à des êtres humains (cf. point 13.2.18 ci-dessus). Cette dichotomie se traduit notamment par le “malaise”, ainsi que l’a décrit le requérant 1, que peuvent susciter les brevets impliquant des animaux, ce dont ont convenu tant le requérant 1 que l’intimé (cf. points XXIV(2) et XXXI(16) ci-dessus). Toutefois, la Chambre ne dispose d’aucun élément suggérant qu’un tel malaise pourrait être assimilé à une désapprobation morale, dans la culture européenne, de l’utilisation des animaux pour la recherche médicale, et encore moins à une désapprobation morale de l’emploi des souris dans la recherche sur le cancer – c’est-à-dire à une désapprobation morale de la mise en oeuvre de la présente invention. Il s’ensuit que l’article 53a) CBE ne fait pas un obstacle à la brevetabilité de l’objet de la première requête subsidiaire.

13.3 Article 53b) CBE

13.3.1 Il résulte des observations de la Chambre (cf. partie 11 ci-dessus) qu’une objection au titre de l’article 53b) CBE ne peut exclure la présente requête subsidiaire de la brevetabilité que si une ou plusieurs revendications portent sur une catégorie taxonomique au moins aussi restreinte que celle de l'”espèce animale”, à savoir la plus large des trois catégories taxonomiques exclues dans les trois versions linguistiques de l’article 53b) CBE. Les requérants 3 à 6 et l’opposant 3 ont tous fait valoir que les souris transgéniques selon le brevet étaient une nouvelle espèce. L’opposant 3 a motivé cet argument par le fait que les souris héritaient d’un caractère particulier, à savoir une propension accrue au développement de tumeurs. Selon la Chambre, cela ne saurait suffire à créer une nouvelle espèce lorsque le “matériel de départ” susceptible d’être utilisé d’après les revendications peut provenir d’un genre entier d’animaux, à savoir de l’ensemble des souris. Si l’opinion de l’opposant 3 était correcte, il serait possible de mettre en oeuvre la méthode revendiquée avec par exemple trois espèces différentes de souris, lesquelles feraient ensuite toutes partie d’une nouvelle espèce. Cependant, l’opposant 3 n’a produit aucune preuve montrant que la prétendue nouvelle espèce serait considérée ou acceptée en tant que telle par quiconque, et encore moins par un expert dans un domaine où les animaux sont classifiés, tel que la biologie ou la zoologie.

13.3.2 Les requérants 3 à 6 n’ont pas davantage fourni de preuves à l’appui de leur interprétation du terme “espèce”. Ils ont fait valoir que les espèces étaient de simples notions abstraites et que l’intention du législateur était d’exclure tous les animaux appartenant à une espèce quelconque. La Chambre rejette cet argument. Quelle que soit la manière dont on définit l’article 53b) CBE, il est clair qu’il exclut seulement une catégorie limitée d’animaux et non tous les animaux (ainsi qu’il a déjà été observé au point 4.4). L’opinion de la Chambre est confortée par la décision que la Grande Chambre de recours a rendue dans l’affaire G 1/98 (JO OEB 2000, 111) à propos des végétaux, sur lesquels porte également l’article 53b) CBE. Les mêmes requérants ont en outre soutenu que si le législateur avait voulu autoriser la délivrance de brevets portant sur de nouvelles espèces de végétaux ou d’animaux, il l’aurait énoncé expressément. Là encore, la Chambre ne saurait souscrire à cet avis. Le législateur est libre de formuler les exclusions de la brevetabilité dans les termes ou sous la forme qu’il souhaite (ainsi qu’il a également été déjà observé, cf. points 5.8 et 7.4). S’il est vrai que l’emploi de termes différents dans les trois textes officiels de l’article 53b) CBE est malencontreux, comme il a déjà été relevé au point 11, il est du moins hors de doute que cet article ne représente pas une interdiction générale de délivrer des brevets pour les animaux.

13.3.3 De l’avis de la Chambre, la jurisprudence citée par les requérants 3 à 6 à l’appui de leurs arguments ne saurait les aider. Ils ont tout d’abord fait valoir que d’après le point 97 des motifs de la décision T 1054/96 (JO OEB 1998, 511), autoriser des revendications de procédé suffit à satisfaire aux dispositions de l’article 4(2) de la directive européenne 98/44/CE. L’article 4(2) de la directive européenne 98/44/CE est de fait identique à la règle 23quater b) CBE. Dans la décision T 1054/96, la chambre 3.3.4 a soumis un certain nombre de questions concernant l’article 53b) CBE à la Grande Chambre de recours, laquelle y a répondu dans la décision G 1/98. Les motifs de la décision de saisine présentent par conséquent plusieurs avis possibles et n’expriment donc pas, par définition, une opinion définitive. Le point 97 des motifs invoqué par les requérants commence comme suit :

“L’on pourrait également estimer qu’il est satisfait aux dispositions de l’article 4(2) de la directive en autorisant des revendications de procédé.”

Le mot “également” montre qu’il s’agit là seulement d’une opinion possible entre plusieurs, et en effet, le point 96 précédent expose non seulement une opinion différente mais précise dans la première phrase, après que la chambre eut cité au point 95 plusieurs passages de la directive, que :

“A la lecture de ces citations, la conclusion qui vient le plus naturellement à l’esprit est que les auteurs de la directive souhaitaient – et cela a été approuvé par le Parlement européen – que dans tous les cas où il se présente une situation technique telle que le concept de génie génétique est l’invention susceptible d’être appliquée à plus d’une variété, les produits en résultant sont brevetables, même s’ils sont des variétés végétales.”

A l’évidence, les points 96 et 97 des motifs de la décision T 1054/96 traitent respectivement de la possibilité de breveter d’une part des végétaux en tant que produits et d’autre part des procédés portant sur des végétaux, et la chambre 3.3.4 a estimé que la délivrance de brevets portant sur des végétaux était l’interprétation “la plus naturelle”. Cela ne saurait donc soutenir la position de parties qui veulent exclure de la brevetabilité les revendications de produit portant sur des animaux en vertu de l’article 53b) CBE.

13.3.4 Les requérants 3 à 6 se sont également prévalus du point 3.3.3 des motifs de la décision G 1/98. Ils ont soutenu que la Grande Chambre avait dit qu’une photocopieuse destinée uniquement à la production de faux billets de banque n’était pas brevetable, alors que le même appareil, s’il était destiné à d’autres utilisations, pourrait être brevetable. Les requérants ont fait valoir que les revendications de la première requête subsidiaire portant exclusivement sur des espèces de souris ne pouvaient, par analogie, être admises. Le passage pertinent de la décision G 1/98 (point 3.3.3 des motifs) se lit comme suit :

“Il peut s’avérer utile d’examiner la disposition d’exclusion voisine prévue à l’article 53a) CBE et de se demander ce qui se passerait si une revendication couvrait un élément contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs. Imaginons qu’une invention qui a été revendiquée définisse une photocopieuse dont les caractéristiques permettent une reproduction plus précise et supposons en outre qu’un mode de réalisation de cet appareil puisse faire intervenir des caractéristiques additionnelles (non revendiquées, mais clairement discernables par l’homme du métier) destinées uniquement à permettre en outre de reproduire à s’y méprendre les fils de sécurité des billets de banque. En ce cas, l’appareil revendiqué couvrirait un mode de réalisation destiné à la production de faux billets, et pourrait de ce fait être considéré comme une invention tombant sous le coup de l’article 53a) CBE. Il n’y a toutefois aucune raison d’exclure de la brevetabilité la photocopieuse telle que revendiquée, qui pourrait grâce à ses qualités améliorées être utilisée à de nombreuses autres fins, qui elles seraient acceptables.”

Il ressort à l’évidence de ce passage que non seulement il se rapporte à l’article 53a) CBE et non à l’article 53b) CBE, mais également qu’il ne dit pas ce qu’affirment les requérants. Ainsi, il énonce qu’un mode de réalisation possible qui serait illicite n’a pas pour effet de rendre une invention non brevetable. Cela ne saurait étayer l’analogie invoquée par les requérants. De plus, même si cette prétendue analogie était défendable, le fait de remplacer les “revendications portant sur la production de faux billets” par des “revendications portant sur des espèces de souris” suppose qu’il soit déjà admis que les revendications en question ont pour objet des espèces de souris, ce qui n’est manifestement pas le cas. Ainsi qu’il a été déjà relevé, ces requérants ont simplement qualifié d’espèce les souris selon la première requête subsidiaire, sans se fonder sur la moindre preuve à l’appui de cette affirmation.

13.3.5 Le dernier argument invoqué par les requérants 3 à 6 au sujet de l’article 53b) CBE était que la méthode revendiquée de production de souris transgéniques représente un “procédé essentiellement biologique d’obtention d’animaux” et qu’elle est donc exclue de la brevetabilité par cet article. Or, il est énoncé à la règle 23ter (5) CBE :

“Un procédé d’obtention de végétaux ou d’animaux est essentiellement biologique s’il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection.”

Il va de soi qu’un procédé qui inclut une manipulation génétique ne consiste pas intégralement en des phénomènes naturels.

13.3.6 Par conséquent, l’article 53b) CBE n’exclut pas de la brevetabilité la première requête subsidiaire.

[Aux points 13.4 à 13.8, la Chambre a estimé que la première requête subsidiaire satisfait aux dispositions des articles 123(2) et (3), 84, 54, 56, 83 et 57 CBE.]

13.9 Admissibilité de la première requête subsidiaire

Pour les raisons énoncées aux points 13.1 à 13.8 ci-dessus, la Chambre estime que la première requête subsidiaire, dont les revendications sont limitées aux “souris”, remplit les conditions de la CBE. La requête est donc admissible.

[La Chambre a conclu, au point 14 des motifs, qu’aucune des questions formulées par certaines parties ne nécessitait d’être soumise à la Grande Chambre de recours et, au point 15 des motifs, que les requêtes de certaines parties visant à obtenir le remboursement de leurs frais par l’OEB étaient irrecevables.]

DISPOSITIF

Par ces motifs, il est statué comme suit :

1. La décision contestée est annulée.

2. L’affaire est renvoyée devant la première instance à charge pour elle de maintenir le brevet sur la base :

de la première requête subsidiaire déposée pendant la procédure orale,

des pages 3, 6 et 10 de la description telles que modifiées pendant la procédure orale,

des pages 4, 5, 7 à 9 du brevet tel que délivré, et des figures 1 à 8 du brevet tel que délivré.

3. Les requêtes en saisine de la Grande Chambre de recours sont rejetées.

4. Les requêtes en remboursement des frais par l’Office européen des brevets sont rejetées comme irrecevables.