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European Case Law Identifier: | ECLI:EP:BA:2004:T102003.20041029 | ||||||||
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Date de la décision : | 29 Octobre 2004 | ||||||||
Numéro de l’affaire : | T 1020/03 | ||||||||
Numéro de la demande : | 96915698.3 | ||||||||
Classe de la CIB : | A61K 38/30 A61K 38/55 |
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Langue de la procédure : | EN | ||||||||
Distribution : | A | ||||||||
Téléchargement et informations complémentaires : |
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Titre de la demande : | – | ||||||||
Nom du demandeur : | GENENTECH, INC. | ||||||||
Nom de l’opposant : | – | ||||||||
Chambre : | 3.3.04 | ||||||||
Sommaire : | Lorsqu’une composition a déjà été proposée pour une application thérapeutique donnée, toute application relevant de l’article 52(4), première phrase CBE peut donner lieu à la formulation d’une revendication relative à une seconde indication médicale qui porte sur l’obtention de la composition pour cette seconde indication médicale, quel que soit le degré de précision apporté à la description de l’application, dès lors que cette application est nouvelle et inventive. Aux fins de la nouveauté, il importe également de déterminer, conformément à l’article 54(5) CBE, si l’application à des fins thérapeutiques est nouvelle, quelle que soit la précision apportée à l’exposé de la thérapie dans la revendication. | ||||||||
Dispositions juridiques pertinentes : |
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Mot-clé : | Respect de l’article 52(4) CBE (oui) – décisions T 317/95, T 56/97, T 584/97, T 4/98 et T 485/99 non suivies car en conflit avec la décision G 6/8 Application de l’article 54(5) CBE (oui) – décision T 4/98 non suivie |
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Exergue : |
– |
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Décisions citées : |
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Décisions dans lesquelles la présente décision est citée : |
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Exposé des faits et conclusions
I. Le présent recours est dirigé contre la décision de la division d’examen en date du 13 mai 2003, par laquelle la demande de brevet européen Nº 96 915 698.3, publiée sous le numéro WO 96/37216, a été rejetée en vertu de l’article 97(1) CBE. Le rejet est fondé sur les revendications 1 à 24 selon la requête principale déposée le 3 novembre 1997, et sur les revendications des requêtes subsidiaires 1 à 5 qui ont été déposées successivement.
II. Les revendications de la requête principale qui ont été rejetées par la division d’examen sont identiques à celles de la requête principale devant la Chambre. Les revendications 1 et 13 s’énoncent comme suit :
“1. Utilisation du facteur de croissance analogue à l’insuline de type I (IGF-I) dans la préparation d’un médicament destiné à être administré à un mammifère afin de soutenir sa réponse biologique dans le traitement d’un trouble chronique chez le mammifère, dans laquelle le schéma d’administration du médicament comprend l’administration d’une quantité thérapeutiquement efficace d’IGF-I au mammifère pour procurer une exposition à l’IGF-I qui est continue ou d’au moins une fois par jour consécutivement sur une période de jours qui procure la réponse biologique maximale chez le mammifère, puis en interrompant ladite administration au moyen d’une absence continue de traitement ou d’une absence de traitement pendant des jours consécutifs sur une période de jours égale ou inférieure au nombre de jours durant lesquels l’IGF-I avait été administré auparavant, puis en administrant une quantité thérapeutiquement efficace d’IGF-I au mammifère pour procurer une exposition à l’IGF-I qui est continue ou d’au moins une fois par jour consécutivement sur une période de jours qui procure la réponse biologique maximale chez le mammifère, puis en interrompant ladite administration au moyen d’une absence continue de traitement ou d’une absence de traitement pendant des jours consécutifs sur une période de jours égale ou inférieure au nombre de jours durant lesquels l’IGF-I a été administré juste auparavant, et en répétant ce schéma d’administration et d’interruption de l’administration pendant aussi longtemps que nécessaire pour réussir à obtenir ou pour maintenir une réponse biologique soutenue chez le mammifère.”
“13. Utilisation du facteur I de croissance analogue à l’insuline (IGF-I) dans la préparation d’un médicament destiné à traiter une insuffisance rénale chronique chez un mammifère, dans laquelle le schéma d’administration du médicament comprend l’administration d’une quantité thérapeutiquement efficace de facteur I de croissance analogue à l’insuline (IGF-I) au mammifère pour procurer une exposition à l’IGF-I pendant environ trois à douze jours, puis en interrompant ladite administration pendant environ deux à sept jours, puis en administrant une quantité thérapeutiquement efficace d’IGF-I au mammifère pour procurer une exposition à l’IGF-I pendant environ trois à douze jours, puis en interrompant ladite administration pendant environ deux à sept jours, et en répétant ce schéma d’administration et d’interruption de l’administration pendant aussi longtemps que nécessaire pour arriver à obtenir ou pour maintenir une fonction rénale soutenue chez le mammifère, lesdites périodes de temps d’interruption de l’administration se situant pendant une période de temps égale ou inférieure à la période de temps pendant laquelle l’IGF-I a été administré juste auparavant.”
Les revendications 2 à 12 et 14 à 24 portaient sur des modes de réalisation particuliers de l’utilisation selon la revendication 1 ou 13.
III. La division d’examen a rejeté la requête principale au motif suivant :
“I) Dans l’affaire T 317/95 (point 4.5), la chambre a estimé que la détermination du meilleur plan de traitement individuel, qui consiste notamment à prescrire et à modifier le régime d’administration d’un médicament donné, afin de répondre aux besoins spécifiques d’un patient, semble faire partie des activités et tâches typiques du médecin dans l’exercice de sa profession, qui vise à guérir, prévenir ou alléger les symptômes de la souffrance et de la maladie. Il s’agit là d’activités médicales typiques, qui ne sont ni commerciales ni industrielles, et qui sont censées être exclues par l’art. 52(4) CBE des restrictions résultant de la brevetabilité.
Une argumentation similaire a été développée dans les décisions T 584/97 (point 2.6) et T 56/97 (point 2.5).
La division d’examen relève que l’utilisation, dans la requête principale (revendication 1), d’expressions comme “… obtenir ou maintenir une réponse biologique soutenue chez un mammifère” indique que le régime d’administration du traitement, vraisemblablement par le personnel médical, est spécifiquement adapté à chaque patient.
Aussi la division d’examen estime-t-elle que la revendication 1 n’est pas admissible au titre de l’article 52(4) CBE, comme l’impliquent les décisions précitées des chambres de recours.
II) Bien que la chambre, dans les affaires citées, n’ait pas fondé sa décision sur l’article 52(4) CBE, la division d’examen ne voit aucune raison de ne pas tenir compte de ce qui a été constaté à trois reprises différentes.
Il est également clair que la chambre avait ce faisant parfaitement connaissance de la décision G 6/83 et de nombre des décisions mentionnées par le requérant.
III) S’agissant du “mode d’administration”, le médecin décide de la meilleure façon de traiter le patient, puis sélectionne et administre le médicament préparé. La revendication est censée couvrir la fabrication et la distribution du produit jusqu’à ce que celui-ci se trouve à la disposition du corps médical. L’administration proprement dite n’est pas couverte par les revendications.
En l’espèce, l’application thérapeutique dans le cadre de la seconde indication médicale revendiquée affecte la décision du médecin et le traitement. Même si la revendication fournit des indications qui n’étaient peut-être pas connues ou évidentes auparavant, le médecin doit, dans ce cas, déterminer malgré tout la “réponse biologique maximale”, puis décider de la meilleure façon de procéder. Les autres étapes du traitement et les décisions y afférentes varient également et dépendent du nombre de jours pendant lesquels le médicament a été préalablement administré, de sorte que le personnel médical est appelé à prendre des décisions et des mesures, lesquelles sont couvertes par les revendications.
Dans la présente espèce, il ne semble pas y avoir un nouveau “mode d’administration”, une nouvelle posologie ou une nouvelle maladie à traiter. C’est la méthode consistant à traiter les patients de façon cyclique, par intermittence, qui représente la caractéristique nouvelle et inventive de la présente demande.
Contrairement aux décisions mentionnées par le demandeur, le médecin devrait dans le cas présent se reporter aux termes des revendications une fois le traitement commencé. Ceci est jugé inacceptable au regard de l’article 52(4) CBE, et ce indépendamment de la question de savoir si un nouveau groupe de patients pourrait ou non être traité par la présente demande.”
Dans la décision contestée, la division d’examen a également rejeté les première, deuxième, troisième et cinquième requêtes subsidiaires modifiées, au motif qu’elles ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 123(2) CBE, et rejeté la quatrième requête subsidiaire modifiée, au motif que les revendications qu’elle contenait étaient contraires à l’article 52(4) CBE (même motif de rejet que la requête principale).
IV. La Chambre a envoyé une notification dans laquelle elle a émis son avis provisoire. Une procédure orale s’est tenue le 29 octobre 2004.
V. Dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, les arguments invoqués par le requérant peuvent se résumer comme suit :
– La présente demande se base sur la constatation que chez les patients souffrant de maladies chroniques, telles que l’insuffisance rénale chronique, des cycles de traitement (traitement “intermittent”) utilisant de l’IGF-I pouvaient apporter des bénéfices réels et prolongés, contrairement au traitement continu avec de l’IGF-1, qui devient inefficace au fil du temps.
– Les revendications sont rédigées sous la forme de revendications relatives à une deuxième application thérapeutique conformément à la décision G 6/83 (JO OEB 1985, 67), la caractéristique conférant un caractère de nouveauté aux revendications étant une activité médicale, à savoir une activité non brevetable qui n’est ni industrielle, ni commerciale. Lorsqu’une revendication porte sur une “première” ou une “deuxième” indication médicale, l’aspect nouveau et inventif de la revendication réside dans une caractéristique qui n’est en soi pas brevetable.
Conformément aux décisions G 6/83 (supra) et T 19/86 (JO OEB 1989, 25), il convient d’interpréter l’expression “application thérapeutique” au sens large, comme signifiant tout traitement ou toute thérapie qui tombe sous le coup de l’exclusion prévue à l’article 52(4) CBE.
– Il n’est pas logique d’admettre des revendications relatives à des applications thérapeutiques lorsqu’il s’agit d’une nouvelle voie d’administration (cf. décision T 51/93 du 8 juin 1994) ou qu’elles visent un nouveau groupe de sujets (cf. décision T 19/86 supra), mais de rejeter une revendication relative à une application thérapeutique qui réside dans un nouveau régime d’administration apportant des bénéfices considérables aux patients sous traitement.
Etant donné que les revendications versées au dossier sont rédigées sous la forme approuvée dans la décision G 6/83 (supra), il convient d’apprécier la brevetabilité de la présente invention en se demandant si le régime d’administration d’IGF-I revendiqué représente une application nouvelle et inventive du médicament. Il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question, étant donné qu’aucun des documents de l’état de la technique ne divulgue le traitement à base d’IGF-I par intermittence (administration pendant un certain nombre de jours, suivie d’une pause et de la reprise du traitement) et qu’en outre, ce régime de traitement permet une thérapie à long terme, avec peu d’effets secondaires, comme l’illustrent les exemples I à III de la demande. Ceux-ci montrent également, aux fins de comparaison, que les utilisations antérieures “en continu” de l’IGF-I avaient échoué.
– Cette découverte entraîne une augmentation potentielle du marché de l’IGF-I. La présente invention a pour conséquence notable d’accroître considérablement les possibilités d’application industrielle et de commercialisation de l’IGF-I, car différents groupes de patients pourront être traités avec l’IGF-I. Les modes d’administration classiques ne permettent pas quant à eux de traiter par l’IGF-I de nombreuses catégories de patients souffrant de maladies chroniques particulières, du fait que les effets bénéfiques obtenus à court terme s’atténuent sur le long terme et/ou que le traitement provoque maints effets secondaires.
L’objet revendiqué n’entrave pas la liberté du médecin, sur le plan clinique, lorsqu’il met en oeuvre ce qui constitue la caractéristique nouvelle des revendications. Toute activité médicale tombant sous le coup de l’exclusion visée à l’article 52(4) CBE est certes exclue de la brevetabilité parce qu’elle porterait atteinte à la liberté du médecin lorsqu’il traite un patient. Cependant, la revendication 1 a en soi pour objet le procédé de fabrication d’un médicament, bien que ce soit l’activité médicale qui confère un caractère de nouveauté à une revendication relative à une application thérapeutique supplémentaire. C’est ce que la Grande Chambre a appelé le “principe dégagé pour apprécier la nouveauté”. Le fait qu’une application relevant de l’article 52(4) CBE soit clairement expliquée dans la revendication ne saurait être invoqué à l’encontre d’une revendication portant sur une autre application thérapeutique. En conséquence, la revendication ne couvre pas les activités et tâches typiques d’un médecin dans l’exercice de sa profession et n’a donc pas pour objet une activité médicale exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 52(4) CBE. Ceci est valable que l’on utilise dans l’activité médicale un composé connu pour traiter une maladie différente, ou un composé connu pour traiter la même maladie, mais par une voie d’administration différente.
– La décision T 317/95 (supra) n’est pas pertinente, car le régime d’administration sur lequel porte cette décision a été considéré comme évident, ce qui n’est pas le cas du régime d’administration objet de la présente revendication 1.
VI. Le requérant demande que la décision contestée soit annulée et qu’un brevet soit délivré sur la base des revendications 1 à 24 de la requête principale déposée le 3 novembre 1997 ou de l’une des requêtes subsidiaires 1 à 6 déposées avec le mémoire exposant les motifs du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
Décisions G 1/83, G 5/83 et G 6/83 de la Grande Chambre de recours
2. La question de savoir ce qui est brevetable lorsqu’une substance ou composition est destinée à être utilisée pour le traitement du corps humain ou animal, dans le cas où l’application de cette composition est déjà connue pour une certaine forme de ce traitement, a été tranchée par la Grande Chambre de recours dans sept décisions parallèles en date du 5 décembre 1984, toutes libellées de la même manière. Trois de ces décisions, à savoir les décisions G 1/83 (Bayer), G 5/83 (Eisai) et G 6/83 (Pharmuka), ont été publiées respectivement au JO OEB 1985, 60, 64, 67 en allemand, en anglais et en français. Ces décisions seront citées dans le texte original anglais en se référant uniquement à la décision G 5/83 publiée en anglais, la langue de la présente procédure, mais la Chambre considère que ses observations sont valables quelle que soit la version à laquelle on se reporte (Note du traducteur : dans la présente traduction, ces décisions seront citées en se référant à la décision G 6/83, publiée en français). En outre, dans un souci de concision, le terme “composition” désignera ci-après aussi bien une “substance” qu’une “composition”, sauf dans les citations directes, car il importe peu, en l’espèce, qu’il y ait une différence quelconque entre une substance et une composition.
3. La Chambre estime que la question à trancher en l’espèce dépend de façon déterminante de ce qui a été décidé à l’époque par la Grande Chambre relativement aux articles 52(4) et 54(5) CBE. Aussi commencera-t-elle par examiner en détail les énonciations de la décision G 6/83, dont le dispositif s’énonce comme suit :
“1. Un brevet européen ne peut pas être délivré sur la base de revendications ayant pour objet l’application d’une substance ou d’une composition en vue du traitement thérapeutique du corps humain ou animal.
2. Un brevet européen peut être délivré sur la base de revendications ayant pour objet l’application d’une substance ou d’une composition pour obtenir un médicament destiné à une application thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif.”
4. Le raisonnement de la Grande Chambre qui a conduit à ces conclusions figure aux points 11 à 16 de sa décision, lesquels s’énoncent comme suit :
“11. D’une manière générale, la Convention sur le brevet européen admet aussi bien les revendications de procédé (ou de méthode) que les revendications d’application. La Grande Chambre estime dès lors qu’il relève en principe de l’appréciation du déposant de qualifier une activité soit de procédé d’exécution – comportant une série de démarches – soit d’utilisation ou d’application d’une substance dans un but déterminé pouvant également inclure une série de démarches. Pour la Grande Chambre, les deux types de revendications sont objectivement de même valeur. Ceci appliqué au problème posé, à savoir la mise en oeuvre d’une substance ou composition à des fins thérapeutiques, signifie du point de vue de la Grande Chambre qu’il ne serait pas justifié d’élaborer artificiellement une distinction entre revendications de procédé (ou de méthode) et revendications d’application, comme cela a été fait par un des requérants. Il ne peut par exemple être prétendu sur la base de la Convention sur le brevet européen qu’à la différence d’une revendication de procédé, une revendication d’application englobe la préparation d’un produit pharmaceutique inclusivement les instructions pour son emploi dans le traitement d’une maladie (en allemand : “die augenfällige Herrichtung”). Dans les deux cas, en effet, la substance ou la composition actives doivent être élaborées dans un état tel qu’elles puissent agir thérapeutiquement, ce qui implique nécessairement que la matière ait été introduite dans une formule et dosée.
12. Il n’existe pas d’objections de principe à l’encontre de la brevetabilité de revendications d’application en général. Les réticences à l’égard d’un brevet qui serait délivré sur la base de revendications pour l’application de substances ou compositions en vue d’un traitement thérapeutique du corps humain ou animal procèdent des dispositions de l’article 52(4) de la CBE qui, de l’avis de la Grande Chambre, s’opposent à de telles revendications. Selon l’article 52(4) en effet : “Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d’application industrielle au sens du paragraphe 1 les méthodes de traitement … thérapeutique du corps humain ou animal…”.
13. La Grande Chambre estime, comme déjà exposé plus haut, qu’une revendication ayant pour objet “l’application d’une substance ou d’une composition pour le traitement thérapeutique du corps humain ou animal” ne diffère en rien quant à son contenu proprement dit d’une revendication portant sur les “méthodes de traitement … thérapeutique du corps humain ou animal au moyen de la substance ou composition”. La différence réside en définitive uniquement dans la rédaction, la deuxième formulation contrevenant manifestement à la lettre de l’article 52(4) de la CBE mais ne différant pas dans son contenu de la première. Dans ces conditions, un brevet sur la base de telles revendications – quelle que soit la rédaction employée – ne saurait être délivré (article 97(1) de la CBE).
14. D’autre part, des revendications ayant pour objet des substances ou compositions pour la mise en oeuvre de méthodes thérapeutiques portent sans conteste sur des inventions susceptibles d’application industrielle au sens de l’article 52(1) de la CBE. Ceci est non seulement clairement formulé par l’article 52(4), dernière phrase, mais peut encore être déduit de la définition de l’application industrielle telle qu’elle résulte de l’article 57. D’après ce texte, “une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture”. La dernière phrase de l’article 52(4) CBE semble donc exprimer une évidence qui pourrait s’expliquer par le désir de ses rédacteurs d’une parfaite clarté.
15. En outre, il résulte de l’article 54(5) de la CBE que les dispositions générales relatives à la nouveauté – articles 54(1) à (4) de la CBE – ne s’opposent pas à la brevetabilité, pour une utilisation dans un des procédés (méthodes) visés à l’article 52(4), de substances ou de compositions faisant partie de l’état de la technique, si une telle utilisation n’est pas contenue elle-même dans l’état de la technique. Dès lors l’inventeur d’une première indication médicale peut obtenir une protection de la substance liée à son utilisation médicale pour des substances ou compositions connues sans être limité à des substances ou compositions préparées dans une forme appropriée en vue d’une application thérapeutique déterminée. Il bénéficie ainsi d’une protection très large, sans risquer d’entrer en conflit avec les dispositions de l’article 57 CBE relatives à l’application industrielle.
16. Des revendications ayant pour objet l’application d’une substance ou d’une composition pour obtenir un médicament concernent également de façon manifeste des inventions susceptibles d’application industrielle au sens de l’article 57 de la CBE.”
5. La différence entre le type de revendication que la Grande Chambre a considéré comme non admissible et celui qu’elle a jugé admissible réside dans l’objet explicite de la revendication. Une revendication relative à “l’application d’une composition en vue d’un traitement thérapeutique du corps humain ou animal” (ou à une “méthode de traitement thérapeutique du corps humain ou animal au moyen de la composition”) concerne un objet que l’article 52(4), première phrase CBE classe expressément dans la catégorie des inventions non susceptibles d’utilisation industrielle. Cependant, une revendication portant sur l’utilisation d’une composition en vue d’élaborer un produit pharmaceutique a également pour objet une invention susceptible d’application industrielle au sens de l’article 57 CBE, de sorte qu’elle ne tombe pas sous le coup de l’article 52(4), première phrase CBE.
6. La Grande Chambre a également considéré que dans le cas particulier où la préparation de la composition avait pour finalité d’appliquer cette composition en vue du traitement thérapeutique du corps humain ou animal, ladite préparation pouvait être considérée comme nouvelle au regard de l’article 54(5) CBE par le biais d’une fiction, même si le médicament issu de la préparation ne différait en rien d’un médicament connu (cf. points 20 et 21 de la décision G 6/83). Cette position s’oppose à celle adoptée normalement en droit des brevets, selon laquelle le fait qu’une composition soit obtenue en vue d’une application nouvelle ne permet pas de considérer la préparation de la composition comme nouvelle si la composition et sa préparation sont les mêmes que pour d’autres applications connues. Cependant, dans ces autres cas, la nouvelle application envisagée serait potentiellement brevetable en elle-même, ce qui n’est pas le cas des traitements thérapeutiques. Etant donné que l’article 56 CBE sur l’activité inventive se réfère à ce qui constitue l’état de la technique aux fins de l’article 54 CBE, la fiction de nouveauté découlant de l’application envisagée d’une composition dans un traitement thérapeutique en vertu de l’article 54(5) CBE autorise également à reconnaître une activité inventive à l’obtention de la composition du fait que la thérapie envisagée n’est pas évidente.
7. Dans la décision G 6/83, la Grande Chambre de recours était appelée à se prononcer sur la question de la deuxième application médicale (ou d’une application ultérieure) dans le cas où une première application thérapeutique était déjà connue. Par conséquent, lorsque la Grande Chambre a déclaré au point 2 de son dispositif qu’ “un brevet européen peut être délivré sur la base de revendications ayant pour objet l’application d’une substance ou d’une composition pour obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif”, la présente Chambre comprend le mot “déterminée” (“bestimmt” en allemand, “specified” en anglais) en ce sens qu’il vise simplement à établir une distinction avec une thérapie indéterminée autorisée dans une revendication relative à une première application médicale, et non à imposer des conditions particulières qu’une application médicale ultérieure devrait remplir. Au contraire, lorsqu’une composition a déjà été proposée pour une application thérapeutique donnée, toute application relevant de l’article 52(4), première phrase CBE (cf. point 1 du dispositif de la Grande Chambre) peut donner lieu à la formulation d’une revendication relative à une nouvelle indication médicale qui porte sur l’obtention de la composition pour cette nouvelle indication médicale, quel que soit le degré de précision apporté à la description de l’application, dès lors que cette application est nouvelle et inventive.
8. Pour qu’une application soit considérée comme nouvelle, elle doit se limiter à ce qui est nouveau et ne pas avoir simplement pour objet l’utilisation d’un mécanisme ou d’un effet physiologique/pharmacologique qui était à la base d’une application thérapeutique antérieure, mais n’avait pas été identifié en tant que tel. On peut citer à titre d’exemple la décision T 254/93-3.3.2 du 14 mai 1997 (dans laquelle il a été considéré que la revendication relative à l’utilisation d’un rétinoïde en vue d’obtenir un médicament topique destiné à être utilisé dans la prévention de l’atrophie cutanée provoquée par les corticostéroïdes représentait de simples informations complémentaires sur l’utilisation connue, c’est-à-dire l’explication du mécanisme d’action sous-tendant l’utilisation précédente, sans aboutir à un but nouveau reflétant cet effet), ainsi que les décisions T 189/95-3.3.2 du 29 février 2000 (cf. point 2.4) et T 486/01-3.3.4 (cf. point 12). La Chambre observe que les effets physiologiques/pharmacologiques auxquels il est fait référence dans ces trois décisions ne se sont pas traduits par une application utile et véritablement nouvelle, qui résulterait p. ex. de l’ouverture d’un nouveau champ d’application clinique, de la guérison d’une pathologie ou d’une situation clinique différente, de la création d’un groupe de sujets distinct (des utilisateurs finaux ou des patients) ou de nouveaux moyens ou mesures pour mettre en oeuvre cette nouvelle application. En d’autres termes, il n’a été constaté aucun accroissement de l'”activité industrielle” au-delà de l’utilisation connue.
Autres exigences de la CBE à examiner
9. Lorsque l’on a affaire à une revendication relative à une nouvelle application thérapeutique, il convient bien entendu d’examiner si elle satisfait aux autres exigences de la Convention sur le brevet européen concernant la brevetabilité, telles que l’article 82 CBE sur l’unité d’invention, sachant qu’une première application était connue, l’article 83 CBE selon lequel l’invention doit être exposée de façon suffisamment claire et complète pour être exécutée, et l’article 84 CBE selon lequel les revendications doivent être claires et concises. Si la Grande Chambre n’a pas mentionné ces articles, c’est uniquement dû au fait qu’elle était appelée à se prononcer sur ce qui est admissible ou non au regard des articles 52(4) et 54(5) CBE. On ne saurait interpréter le silence de la Grande Chambre comme signifiant que la forme de revendication admise dans un tel cas d’application thérapeutique supplémentaire ne doit pas remplir également ces conditions de la CBE.
10. L’article 84 CBE exige en outre que les revendications se fondent sur la description. L’examen des différents projets figurant dans les documents préparatoires aux réunions et conférences qui ont abouti à la Convention sur le brevet européen de 1973 suggère cependant que l’exigence selon laquelle les revendications doivent se fonder sur la description a plutôt été considérée comme une question de forme, afin de garantir que la description et les revendications aient la même portée. On a estimé que si les revendications étaient initialement plus larges, la description pouvait être modifiée afin d’éliminer cette divergence. Celle-ci n’a pas été considérée comme un motif permettant de remettre en cause des revendications sur le fond pour défaut d’utilité, en ce sens que les revendications sont trop larges pour remplir un quelconque but utile suggéré comme étant leur objet dans la description. Cette conception formelle de l’exigence de fondement sur la description explique également pourquoi elle n’a pas été considérée comme un motif d’opposition, ce qui a été confirmé par la Conférence diplomatique pour la révision de la CBE en l’an 2000. Par ces remarques, la Chambre souhaite seulement faire observer que si des revendications relatives à une première ou deuxième application thérapeutique sont considérées comme trop larges par rapport à une utilisation divulguée dans la description, il n’est pas possible de faire valoir l’article 84 CBE pour obliger un demandeur à réduire la portée des revendications.
11. Une revendication relative à une nouvelle application thérapeutique formulée sous la forme admise (ou sous la forme équivalente d’une revendication ayant pour objet un procédé d’obtention du médicament mettant en oeuvre la substance en question, cf. décision T 958/94-3.3.2, (JO OEB 1997, 241)) satisfait aux exigences de l’article 52(4) CBE quelle que soit la précision apportée à la description de la thérapie. Un avis contraire ne serait pas conforme aux motifs de la décision G 6/83, tels qu’ils ressortent en particulier des points 16 et 19. La décision de la Grande Chambre donne une interprétation large des applications qui relèvent de l’article 52(4) CBE (cf. le point 1 de son dispositif). Toute thérapie qui s’inscrit dans ces larges limites et qui n’est pas la première thérapie connue utilisant la composition peut faire l’objet d’une revendication sous la forme admise portant sur l’élaboration d’une préparation pour cette application nouvelle, auquel cas la revendication ne contreviendra pas à l’article 52(4) CBE. La décision de la Grande Chambre ne suggère rien de contraire et ne traite assurément pas des conditions, hormis celle de la nouveauté, qu’une nouvelle application thérapeutique devrait remplir pour que cette forme de revendication ne tombe pas sous le coup de l’article 52(4) CBE, mais qu’elle soit prise en compte au titre de l’article 54(5) CBE. De par leur nature, les revendications exposent une invention de façon à couvrir de nombreuses variantes possibles. Une application thérapeutique mentionnée dans une revendication peut être exposée de façon plus ou moins détaillée, mais elle ne sera jamais aussi précise que la thérapie prescrite par un médecin donné pour un patient particulier à un moment précis. La CBE est muette sur le degré de précision avec lequel une thérapie doit être exposée lorsque la revendication porte sur l’utilisation d’une composition destinée à une nouvelle indication médicale. Comme exposé ci-dessus au point 7, la décision G 6/83 de la Grande Chambre établit uniquement une distinction entre une première et une autre indication médicale. Elle ne fournit aucune information sur la précision avec laquelle la thérapie destinée à une nouvelle indication médicale doit être formulée et ne se fonde pas sur le degré de précision avec lequel une thérapie est exposée lorsqu’elle explique pourquoi une revendication relative à l’utilisation d’une composition pour la fabrication d’un médicament est admissible en dépit de l’article 52(4) CBE.
Revendications portant sur l’application d’une substance : une interprétation extensive de leur admissibilité entrave-t-elle la liberté du médecin ?
12. Les chambres de recours ne sont pas compétentes pour examiner les questions de contrefaçon. Toutefois, étant donné que la décision contestée affirme que la revendication rejetée entrave les activités du médecin d’une façon inacceptable au regard de l’article 52(4) CBE, la Chambre expose ici les motifs pour lesquels elle considère qu’une revendication rédigée sous la forme admise par la Grande Chambre de recours dans la décision G 6/83 ne saurait à première vue être considérée comme contraire aux dispositions de l’article 52(4) CBE, lequel vise, comme énoncé au point 22 de cette décision, à exclure des restrictions résultant de la brevetabilité les activités non commerciales et non industrielles dans le domaine de la médecine humaine et vétérinaire.
13. Vu que les Etats parties à la CBE sont, à l’exception de Monaco, tous parties à l’Accord sur les ADPIC, la question de savoir quels sont les droits conférés par une revendication peut être examinée en se référant aux dispositions de l’Accord sur les ADPIC, étant entendu que les dispositions nationales des Etats contractants sont censées être en conformité avec ces exigences, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la situation dans chacun des Etats contractants.
14. Les articles pertinents figurant à la section 5, intitulée “brevets”, s’énoncent comme suit :
“Article 27 – Objet brevetable
– 1. Sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3, un brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle (*). Sous réserve des dispositions du paragraphe 4 de l’article 65, du paragraphe 8 de l’article 70 et du paragraphe 3 du présent article, des brevets pourront être obtenus et il sera possible de jouir de droits de brevet sans discrimination quant au lieu d’origine de l’invention, au domaine technologique et au fait que les produits sont importés ou sont d’origine nationale.
– 2. Les Membres pourront exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l’environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l’exploitation est interdite par leur législation.
– 3. Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité :
– a) les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux ;
– …
(*) Aux fins de cet article, les expressions “activité inventive” et “susceptible d’application industrielle” pourront être considérées par un Membre comme synonymes, respectivement, des termes “non évidente” et “utile”.
Article 28 – Droits conférés
– 1. Un brevet conférera à son titulaire les droits exclusifs suivants :
– a) dans les cas où l’objet du brevet est un produit, empêcher des tiers agissant sans son consentement d’accomplir les actes ci-après : fabriquer, utiliser, offrir à la vente, vendre ou importer (*) à ces fins ce produit ;
– b) dans les cas où l’objet du brevet est un procédé, empêcher des tiers agissant sans son consentement d’accomplir l’acte consistant à utiliser le procédé et les actes ci-après : utiliser, offrir à la vente, vendre ou importer à ces fins, au moins le produit obtenu directement par ce procédé.
(*) Ce droit, comme tous les autres droits conférés en vertu du présent accord en ce qui concerne l’utilisation, la vente, l’importation ou d’autres formes de distribution de marchandises, est subordonné aux dispositions de l’article 6.
– Article 30 – Exceptions aux droits conférés
Les Membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes des tiers.”
15. Bien que l’accord sur les ADPIC n’admette pas explicitement d’exceptions à la contrefaçon, telles que les dispositions usuelles prévues dans la législation nationale qui excluent les actes accomplis à titre privé et dans des buts non commerciaux, ou les actes accomplis à titre expérimental portant sur l’objet de l’invention, on peut présumer que ces dispositions sont admises en vertu de l’article 30 de l’Accord sur les ADPIC.
16. A supposer que chaque Etat partie à la CBE souhaite exclure de la brevetabilité, pour des raisons de santé publique, les méthodes thérapeutiques pour le traitement des personnes ou des animaux, ceci est admis par l’article 27(3) de l’Accord sur les ADPIC et constitue l’objectif de l’article 52(4) CBE. Tous les Etats parties à la CBE auront donc nécessairement adopté une disposition, que ce soit sur la base de l’article 52(4) CBE, d’une législation nationale correspondante ou d’une doctrine équivalente sur ce qui est susceptible de constituer une contrefaçon de brevet, qui limite les droits normaux (cf. article 28 ADPIC cité ci-dessus) du titulaire du brevet de telle manière que celui-ci ne puisse pas empêcher des tiers agissant sans son consentement d’utiliser à des fins thérapeutiques une composition brevetée ou le produit d’un procédé breveté, ou d’inciter d’autres à le faire. Sous réserve que les Etats contractants aient prévu des dispositions de ce type, et on peut raisonnablement le supposer car il y a lieu de s’assurer que le médecin qui a simplement prescrit une composition dans le cadre d’une thérapie ou l’infirmière qui l’a administrée ne soient pas poursuivis en contrefaçon pour cette raison (un(e) patient(e) utilisant la composition pour cette thérapie serait probablement déjà protégé(e) par l’exclusion des actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales), le titulaire du brevet ne peut engager de poursuites contre le médecin ou l’infirmière ni dans le cas d’une utilisation pour une première indication médicale, ni dans celui d’indications médicales ultérieures, mais pourrait agir contre les personnes qui fournissent cette composition à titre professionnel (que ce soit en la fabriquant, en l’important ou en la commercialisant) pour la nouvelle application thérapeutique.
17. Le raisonnement développé dans la décision contestée, selon lequel la liberté du médecin de prescrire ce qu’il juge bon serait entravée, en violation de l’article 52(4) CBE, ne tient semble-t-il pas compte des raisons pour lesquelles la Grande Chambre de recours a estimé dans la décision G 6/83 qu’il n’y avait pas atteinte à l’article 52(4) CBE, à savoir que le titulaire du brevet disposerait d’un recours contre le fabricant ou le distributeur de la composition uniquement. S’il existe une autre indication thérapeutique solidement établie (qui n’est pas ou plus brevetée) pour la composition, le titulaire du brevet trouvera difficilement une cible à attaquer en contrefaçon, car les fabricants et vendeurs concurrents peuvent fabriquer ou vendre la composition en toute honnêteté uniquement pour l’application existante non contrefaisante, et le médecin qui la prescrit pour la deuxième indication médicale brevetée ne commettrait pas un acte de contrefaçon, sur la base des hypothèses formulées au sujet des législations nationales sur la contrefaçon, même s’il doit se référer au brevet. C’est le titulaire du brevet portant sur la deuxième indication médicale qui rencontrerait d’éventuels problèmes, et non le médecin, l’infirmière ou le patient.
Décision faisant l’objet du recours
18. Pour les raisons développées ci-dessus, la présente Chambre considère que conformément à la décision G 6/83, une revendication qui, à l’instar des revendications indépendantes 1 et 13 en cause, porte sur l’utilisation d’une composition pour obtenir un médicament en vue d’une application thérapeutique déterminée ne contrevient pas à l’article 52(4) CBE, quel que soit le degré de précision avec lequel l’application thérapeutique est exposée. Eu égard à l’article 16 du règlement de procédure des chambres de recours, qui dispose que : “Si une chambre juge nécessaire de s´écarter d´une interprétation ou d´une explication de la Convention figurant dans un avis antérieur ou dans une décision de la Grande Chambre de recours, elle en saisit cette dernière”, la présente Chambre ne serait pas libre de confirmer la décision contestée, qui s’écarte de la décision G 6/83, sans saisir tout d’abord la Grande Chambre de recours.
19. Dans la décision contestée, le rejet au titre de l’article 52(4) CBE des revendications en cause n’est pas fondé sur la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours, même si le demandeur (le requérant) l’a invoquée, mais sur trois décisions des chambres de recours, à savoir les décisions T 317/95-3.3.2 du 26 février 1999, T 56/97-3.3.2 du 30 août 2001 et T 584/97-3.3.2 du 5 décembre 2001. La décision contestée reconnaît néanmoins que ces trois affaires n’ont pas été tranchées sur le fondement du raisonnement développé en relation avec l’article 52(4) CBE. La présente Chambre relève en outre que deux autres décisions expriment un avis similaire sur l’application de l’article 52(4) CBE, à savoir les décisions T 4/98-3.3.2 du 9 août 2001 (JO OEB 2002, 139, point 8.1 en particulier) et T 485/99-3.3.2 du 29 avril 2004. Selon elle, les avis exprimés sur l’article 52(4) CBE dans ces cinq décisions sont dépourvus de base juridique dans la CBE et sont en contradiction avec la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours. Dès lors, la présente Chambre n’y souscrira pas. Même si, aux fins de l’article 15(1) du règlement de procédure des chambres de recours (“Si une chambre juge nécessaire de s´écarter de l´interprétation ou de l´explication de la Convention figurant dans une décision antérieure de l´une des chambres, elle doit en fournir les motifs à moins que ceux-ci ne concordent avec une décision ou un avis antérieur de la Grande Chambre de recours. Le Président de l’Office européen des brevets est informé de la décision de la chambre.”), il n’est pas absolument nécessaire de traiter ces cinq décisions eu égard à l’existence de la décision G 6/83 de la Grande Chambre, la présente Chambre juge néanmoins utile d’examiner en détail les points de ces cinq décisions avec lesquels elle est en désaccord car cela contribuera à assurer une application uniforme du droit.
Décision T 317/95
20. Dans l’affaire T 317/95, un recours avait été formé contre la décision de la division d’opposition. Dans cette décision, il était conclu que l’objet de la revendication indépendante 1 relative à un produit pharmaceutique et celui de la revendication indépendante 10 rédigée sous la forme d’une deuxième application médicale étaient nouveaux, et que la revendication 10 satisfait aux exigences de l’article 52(4) CBE, mais que les deux revendications présentaient un défaut d’activité inventive. Dans les motifs de cette décision, la chambre a déclaré que :
“4.5. Lorsque l’on examine s’il peut être considéré que l’instruction figurant à la revendication 10 sur les modalités d’administration des deux médicaments connus (c.-à-d. le régime d’administration prescrit) pour traiter des troubles gastro-intestinaux concerne une nouvelle indication médicale, il convient de ne pas perdre de vue les motifs pour lesquels la Grande Chambre de recours a admis des revendications pour une deuxième (ou autre) indication médicale, par analogie avec la fiction de nouveauté de la première indication médicale établie à l’article 54(5) CBE. La Grande Chambre a déclaré que les traitements médicaux sont exclus de la brevetabilité en vertu de l’article 52(4) CBE afin d’exclure des restrictions résultant de la brevetabilité les activités non commerciales et non industrielles dans le domaine de la médecine humaine et vétérinaire. Afin d’éviter que l’exclusion prévue à l’article 52(4) CBE ne déborde sa finalité, il s’impose selon elle de se référer à un concept de l’état de la technique non habituel lorsque l’on a affaire à une deuxième ou autre indication médicale. La Grande Chambre de recours avait apparemment l’intention d’autoriser des revendications concernant une autre indication médicale pour compenser en partie la restriction de la protection par brevet dans le domaine industriel et commercial qui découle de l’article 52(4), première phrase CBE (cf. la décision G 6/83, en particulier le point 22 des motifs).
Ceci laisse penser que, lorsqu’il s’agit d’apprécier les limites possibles de ce qui pourrait effectivement être reconnu comme une nouvelle indication médicale au sens de la décision G 6/83, il semble opportun de se demander si l’unique caractéristique distinctive qui a été introduite dans la revendication relative à une nouvelle indication médicale pour délimiter l’objet revendiqué par rapport à l’art antérieur se rapporte à des activités médicales non commerciales et non industrielles.
La chambre n’a aucune raison de contester l’argument du requérant selon lequel l’industrie pharmaceutique s’efforce elle aussi d’optimiser l’emploi des médicaments en recherchant le régime d’administration optimal afin d’obtenir le meilleur effet thérapeutique possible. Néanmoins, la détermination du meilleur plan de traitement individuel, qui consiste notamment à prescrire et à modifier le régime d’administration d’un médicament donné, afin de répondre aux besoins spécifiques d’un patient, semble faire partie en tout premier lieu des activités et tâches typiques du médecin dans l’exercice de sa profession, qui vise à guérir, prévenir ou alléger les symptômes de la souffrance et de la maladie. Il s’agit là, cependant, d’activités médicales typiques, qui ne sont ni commerciales ni industrielles et qui sont censées être exclues par l’art. 52(4) CBE des restrictions résultant de la brevetabilité.
En tout état de cause, le praticien savait, avant la date de priorité du brevet contesté, qu’il était possible de traiter des troubles gastro-intestinaux en combinant les médicaments conformément à la revendication 10. De même, il était en mesure de prescrire un régime d’administration efficace pour traiter chaque patient en fonction de ses besoins particuliers (cf. document cité (1/6), loc. cit.).
Au vu de ce qui précède, la chambre doute que la caractéristique figurant dans le dernier membre de phrase de la revendication 10, qui porte en réalité sur la prescription d’un régime d’administration donné d’un traitement médical connu et plus particulièrement sur l’administration concomitante de l’agent contenant du bismuth et de l’agent bloquant du récepteur H2 pour traiter des troubles gastro-intestinaux, puisse être considérée comme une indication médicale nouvelle sur la base des principes énoncés dans la décision G 6/83.
On peut également se demander si cette caractéristique reflète effectivement une activité médicale dans le domaine industriel et commercial qui ne serait pas exclue de la brevetabilité conformément à l’article 52(4) CBE, ainsi que le prétend le requérant.
4.6. Etant donné qu’il convient en tout état de cause de rejeter la requête principale et les requêtes subsidiaires au motif qui sera traité au point 5 ci-dessous, il n’y a pas lieu de statuer sur les objections élevées par l’intimé à l’encontre de la revendication 10 en ce qui concerne le défaut de nouveauté et la non-brevetabilité au titre de l’article 52(4) CBE …”
21. Dans la décision T 317/95, la formulation qui est employée à la dernière phrase du premier paragraphe du point 4.5 des motifs et qui commence par “La Grande Chambre de recours avait apparemment l’intention d’admettre des revendications concernant une autre application thérapeutique …” ne tient pas compte de la distinction claire que la Grande Chambre établit entre une revendication non admissible portant sur l’utilisation d’une substance pour traiter une quelconque indication médicale, et une revendication admissible ayant pour objet l’application d’une substance en vue d’élaborer un médicament destiné à une application thérapeutique déterminée, c’est-à-dire la distinction basée sur l’objet différent de ces deux types de revendications. Dans chaque cas, la caractéristique nouvelle et inventive est le nouveau traitement, mais seule l’élaboration de la composition, et non son application à des fins thérapeutiques, est couverte par la revendication admissible. La chambre a également méconnu le fait que la Grande Chambre est parvenue à ses conclusions sur la base du texte des articles 52(4), dernière phrase CBE et 54(5) CBE, qui prévoient expressément que toute substance ou composition exposée dans l’état de la technique et destinée à être mise en oeuvre dans une méthode visée à l’article 52(4) CBE est brevetable, à condition que son utilisation pour cette méthode ne soit pas contenue dans l’état de la technique. Ces deux articles n’établissent aucune distinction entre l’utilisation pour une première indication médicale et l’utilisation pour une autre indication médicale. La raison pour laquelle les revendications relatives à l’utilisation d’une substance en vue d’obtenir un médicament destiné à traiter une nouvelle indication médicale doivent être plus limitées qu’une revendication de ce type visant une première indication thérapeutique réside dans l’existence ex hypothesi de cette première indication médicale, et non dans une éventuelle limitation qui serait inscrite à l’article 52(4) ou 54(5) CBE.
22. Dans la décision T 317/95, lorsque la chambre évoque au second paragraphe du point 4.5 des motifs l’appréciation des limites possibles de ce qui pourrait être reconnu comme une indication médicale supplémentaire au sens de la décision G 6/83 et estime opportun d’examiner si la seule caractéristique distinctive se rapporte à des activités médicales non commerciales et non industrielles, elle procède à une analyse qui aurait pu être évitée si elle avait suivi la décision de la Grande Chambre. Celle-ci a constaté en effet que si l’application thérapeutique est nouvelle et inventive, le titulaire du brevet peut obtenir une protection pour l’utilisation d’une composition en vue d’obtenir un médicament destiné à être utilisé dans le cadre de cette thérapie, même si la seule caractéristique nouvelle est la thérapie, laquelle représente en soi une activité médicale non commerciale et non industrielle.
23. Lorsque, dans la décision T 317/95, la chambre souligne au troisième paragraphe du point 4.5 des motifs que les activités typiques d’un médecin consistent à déterminer le meilleur plan de traitement individuel, et en particulier à prescrire et à modifier le régime d’administration d’un médicament donné, elle méconnaît tout simplement que le choix de ce médicament appartient également au médecin. Les patients seraient certainement étonnés d’apprendre que cela ne fait pas partie des fonctions de leur médecin, car qui d’autre serait compétent pour opérer ce choix crucial ? Toutefois, la fabrication du médicament peut être brevetée, parce que sa composition ou son application thérapeutique dans un but quelconque est nouvelle, ou parce que son procédé de fabrication est nouveau. Mais même dans ces situations, la CBE (cf. point 1 du dispositif de la décision de la Grande Chambre de recours) n’admet pas de revendication ayant pour objet la méthode thérapeutique en tant que telle, de sorte que le médecin est protégé dans son propre domaine (tout comme le personnel soignant), alors que la protection par brevet pour la fabrication n’est pas considérée comme une ingérence dans ce domaine interdit. De nos jours, le médecin n’a pas pour tâche de fabriquer ses propres médicaments : il les achète auprès d’un fournisseur. La Grande Chambre de recours autorise simplement, dans sa décision, l’obtention d’un brevet couvrant la fabrication d’un médicament destiné à une indication médicale supplémentaire. Même si le titulaire d’un tel brevet peut le faire valoir à l’encontre d’un fabricant ou fournisseur concurrent, en prouvant que le médicament a été fabriqué dans le but d’être utilisé pour la nouvelle indication médicale, il ne pourra néanmoins pas s’ingérer dans le domaine réservé du traitement médical proprement dit, pas plus que dans le cas d’une première indication médicale.
24. Dans l’affaire T 317/95, la chambre énonce clairement au premier paragraphe du point 4.6 des motifs qu’elle n’a pas rendu sa décision sur la base du motif de la non-brevetabilité au titre de l’article 52(4) CBE qui a été évoqué ci-dessus. La décision est au contraire fondée sur le défaut d’activité inventive, qui est un motif juridique conforme à la décision G 6/83 et contre lequel la présente Chambre n’a rien à redire. Toutefois, étant donné que les non-motifs de la décision T 317/95 relatifs à l’article 52(4) CBE ont été invoqués dans la décision contestée et sont cités dans “La Jurisprudence des Chambres de recours de l’Office européen des brevets” à la page 105 (4e édition de 2001), cet aspect de la décision se devait d’être traité dans l’intérêt d’une jurisprudence uniforme.
Décision T 56/97
25. La décision T 56/97 concerne une affaire dans laquelle la division d’opposition avait maintenu le brevet sous une forme modifiée sur la base de la revendication 1 qui portait sur une deuxième application thérapeutique. Les passages de cette décision qui, de l’avis de la présente Chambre, sont en contradiction avec l’article 52(4) CBE et l’opinion exprimée par la Grande Chambre de recours dans la décision G 6/83 figurent aux points 2.4 à 2.6 de la décision T 56/97 reproduits ci-dessous :
“2.4. Eu égard aux considérations ci-dessus, il se pose nécessairement la question de savoir si la revendication 1 est compatible ou non avec l’article 52(4) CBE. Cet article n’exclut pas de la brevetabilité les médicaments et leur élaboration, mais vise à garantir que la mise en oeuvre concrète, par les médecins, de méthodes de traitement médical ne soit pas entravée ou limitée par les monopoles conférés par les brevets. Dans la décision G 6/83 (loc. cit., cf. en particulier le point 22 des motifs), la Grande Chambre a déclaré que l’article 52(4) CBE est censé exclure des restrictions résultant de la brevetabilité les activités non commerciales et non industrielles dans le domaine de la médecine humaine et vétérinaire. Par conséquent, en l’espèce, la question décisive qui se pose est de savoir si la revendication 1 se rapporte à une méthode de traitement ou au contraire à ce qui est disponible pour le traitement.
2.5. Pour répondre à cette question, la chambre doit examiner les caractéristiques qui représentent effectivement l’essence de la prétendue invention, telle que revendiquée. Ces caractéristiques concernent l’administration de médicaments connus, à savoir des diurétiques thiazidiques, selon un régime posologique donné ou selon un dosage unitaire particulier dans le traitement connu de l’hypertension, sans augmenter par ailleurs la diurèse. En fait, elles reflètent la découverte qu’un régime de traitement sélectionné spécifiquement, qui requiert la détermination préalable, par le médecin, de la posologie efficace sur le plan diurétique pour chaque diurétique thiazidique employé (cf. exemple 1), donne le résultat souhaité. La quantité de diurétique thiazidique à administrer est ensuite sélectionnée normalement par le médecin, au même titre que le moment auquel il est administré et le régime d’administration (cf. exemple 1 : la dose unitaire est administrée en 4 à 8 doses horaires consécutives, une à deux fois par jour).
Toutefois, c’est en premier lieu au médecin qu’il appartient, dans l’exercice de sa profession qui vise à guérir, prévenir ou alléger les symptômes de la souffrance et de la maladie, de déterminer le meilleur plan de traitement individuel, lequel consiste notamment à prescrire et à modifier le régime d’administration d’un médicament donné, afin de répondre aux besoins spécifiques d’un patient et à obtenir le résultat souhaité dans le traitement d’un patient déterminé. Il s’agit là d’activités médicales typiques, qui ne sont ni commerciales ni industrielles, et qui sont censées être exclues par l’art. 52(4) CBE des restrictions résultant de la brevetabilité. Dans ce contexte, la chambre ne saurait considérer la revendication 1 autrement que comme une tentative infructueuse d’obtenir une protection pour une méthode de traitement thérapeutique du corps humain ou animal en la rédigeant sous la forme d’une revendication de type suisse (cf. également décision T 317/95 du 26 février 1999, non publiée au JO OEB).
2.6. Etant donné que la requête principale du requérant/titulaire du brevet doit en tout état de cause être rejetée pour les motifs exposés ci-après, il n’est pas nécessaire en l’espèce de statuer définitivement sur les questions susmentionnées.”
26. En premier lieu, la présente Chambre n’est pas d’accord avec la façon dont le point 2.4 de la décision T 56/97 présente la décision G 6/83. L’article 52(4), première phrase CBE, selon lequel les méthodes de traitement thérapeutique ne sont pas considérées comme des inventions, est limité par l’article 52(4), deuxième phrase CBE, qui prévoit que cette disposition ne s’applique pas aux substances ou compositions pour la mise en oeuvre de ces méthodes. C’est cette deuxième phrase de l’article 52(4) CBE qui a conduit la Grande Chambre à la conclusion qu’une revendication ayant pour objet l’utilisation d’une substance ou d’une composition pour obtenir un médicament destiné à une application thérapeutique était admissible en vertu des dispositions de l’article 52(4) CBE dans son ensemble. Toutefois, cet aspect ne transparaît pas au point 2.4 des motifs de la décision T 56/97. La dernière phrase du point 2.4 (“Par conséquent, dans la présente espèce, la question décisive qui se pose est de savoir si la revendication 1 se rapporte à une méthode de traitement, ou au contraire à ce qui est disponible pour le traitement”) montre que dans cette affaire, la chambre n’a pas suivi l’approche adoptée dans la décision G 6/83. Or, la revendication en cause était rédigée sous la forme admise dans la décision G 6/83, de sorte qu’elle aurait dû être considérée comme potentiellement admissible puisqu’elle relève de la deuxième phrase de l’article 52(4) CBE et non des exclusions visées à la première phrase de l’article 52(4) CBE. Conformément à la décision G 6/83, il y avait donc lieu de se demander si la méthode de traitement pour laquelle le médicament était fabriqué était nouvelle et inventive, et non de se livrer à d’autres considérations au titre de l’article 52(4) CBE.
27. Le point 2.5 de la décision T 56/97 illustre également ce que la présente Chambre considère comme une approche incorrecte au titre de l’article 52(4) CBE. Dans cette affaire en effet, la chambre cherche à se concentrer sur la notion approximative des “caractéristiques qui représentent effectivement l’essence de la prétendue invention”, au lieu d’examiner si l’objet de la revendication, telle qu’elle est formulée, est admissible au regard de l’article 52(4) CBE. Les considérations développées dans la décision T 56/97 au sujet de l’article 52(4) CBE étaient superflues, ainsi qu’il ressort du point 2.6 qui précise qu’aucune décision finale n’a été rendue sur la question, puisque l’affaire a été tranchée sur la base du défaut de nouveauté ou du non-respect des critères de l’article 123(2) CBE par les différentes requêtes. Il convient toutefois de critiquer ces énonciations, même si elles sont inutiles à la décision dans laquelle elles ont été faites, car elles ont suscité des difficultés dans des affaires postérieures, comme par exemple dans la décision qui fait l’objet du présent recours.
Décision T 584/97
28. Dans la décision contestée, la division d’examen s’est appuyée sur le point 2.6 de la décision T 584/97, qui portait sur une revendication libellée comme suit :
“1. Utilisation de la nicotine pour la fabrication d’un kit contenant des unités séparées de nicotine de concentration variable telle qu’au moins une unité contienne une dose sous-thérapeutique de nicotine et qu’au moins une unité contienne une dose thérapeutique de nicotine pour le traitement d’un état sensible à une thérapie nicotinique impliquant l’administration séparée ou séquentielle de doses croissantes de nicotine.”
29. Outre le point 2.6 de la décision T 584/97, les points 2.3 et 2.4 sont également suffisamment en rapport avec l’article 52(4) CBE pour être cités ici, mais le point 2.5, qui traite des revendications de type “kit of parts” est trop éloigné. Les points 2.3, 2.4 et 2.6 de la décision précitée s’énoncent comme suit :
“2.3 Il convient donc de décider si la revendication 1 du brevet en litige contient des caractéristiques susceptibles d’être considérées comme nouvelles par rapport à l’exposé du document (1).
Comme l’a souligné le requérant, la chambre note à cet égard qu’il s’agit d’une revendication de type suisse, qui est rédigée sous la forme admise par la Grande Chambre de recours dans la décision G 6/83 (JO OEB 1985, 67) pour satisfaire aux exigences de l’article 52(4) CBE.
Par conséquent, pour comparer la revendication 1 à l’exposé du document (1), il est nécessaire d’interpréter la revendication 1 à la lumière de cette décision.
L’interprétation correcte de cette revendication d’utilisation est la suivante :
“Utilisation d’une substance (nicotine) pour la fabrication d’un médicament (un kit contenant des unités sous-thérapeutiques et thérapeutiques) pour une application thérapeutique (traitement d’états sensibles à une thérapie nicotinique comprenant l’administration séparée ou séquentielle de doses croissantes de nicotine)”.
En fait, cette revendication revient simplement à utiliser de la nicotine pour traiter des états sensibles à la thérapie nicotinique, et ce indépendamment de sa formulation qui est dictée par la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours.
Autrement dit, la revendication porte en réalité sur l’utilisation de la nicotine pour fabriquer un médicament, sans fournir la moindre précision sur une autre indication médicale. Si la nicotine n’avait jamais été divulguée auparavant en relation avec une thérapie, un tel objet aurait pu être revendiqué en tant que médicament conformément à l’article 54(5) CBE (première indication médicale). Cependant, ceci n’était pas possible ici au regard de l’exposé du document (1) et cette forme de revendication n’a d’ailleurs pas été choisie par le requérant.
Le requérant a en effet formulé sa revendication sous la forme suggérée par la Grande Chambre de recours lorsque celle-ci a plus particulièrement examiné ce qu’il est convenu d’appeler “la deuxième indication médicale” (cf. G 6/83, point 9, JO OEB 1985, 67), c.-à-d. les cas où le médicament issu de l’application revendiquée ne diffère en rien d’un médicament connu.
Dans sa décision, la Grande Chambre a admis que “la nouveauté présentée par le médicament objet de la revendication (relative à une deuxième application thérapeutique) dérive de la nouvelle application pharmaceutique” (G 6/83, points 21 à 23 des motifs), à condition que le médicament soit destiné à une utilisation thérapeutique nouvelle et inventive.
Dans la présente espèce, on ne décèle aucune application pharmaceutique nouvelle par rapport au document (1).
Même si l’on tient compte de la description ou des revendications dépendantes du brevet en cause, qui mentionnent certaines maladies (p. ex. la maladie d’Alzheimer à la revendication 6 ou la rectocolite hémorragique à la revendication 7), on constate que ces indications sont déjà divulguées dans le document (1). De plus, bien qu’il ait argumenté dans ce sens lors de la procédure orale, le requérant n’a tenté à aucun moment de modifier la revendication 1 en conséquence.
2.4. Par ailleurs, le concept de la deuxième indication médicale a été étendu dans la jurisprudence ultérieure des chambres de recours pour couvrir des situations particulières. Ainsi, le traitement de la même maladie à l’aide du même composé peut également représenter une nouvelle application thérapeutique pour autant qu’il soit réalisé sur un nouveau groupe de sujets distinct du groupe antérieur (cf. p. ex. T 19/86, JO OEB 1989, 24).
Au cours de la procédure, le requérant a insisté sur l’absence d’effets secondaires de la thérapie selon la revendication 1 du brevet contesté. La chambre relève à ce sujet que cet effet est principalement obtenu lorsque les patients à traiter sont des non-fumeurs, chez lesquels se pose le problème de la toxicité liée à l’administration de nicotine. La revendication 1 n’est cependant pas limitée à un tel groupe de sujets. Dès lors, cet aspect ne saurait être pris en considération pour apprécier la nouveauté de l’objet de la revendication 1.
2.6. Il est également vrai que le document (1) ne divulgue pas le régime d’administration spécifique du brevet en cause, qui prévoit l’administration de doses croissantes de nicotine en partant d’un niveau sous-thérapeutique pour aboutir à un niveau thérapeutique.
Ainsi qu’il a déjà été mentionné ci-dessus, le régime d’administration vise entre autres à obtenir une bonne tolérance, afin d’atténuer la toxicité liée à l’administration de nicotine à des patients non fumeurs. Contrairement aux arguments que le requérant a invoqués lors de la procédure orale sans les étayer, la chambre ne peut faire sienne l’affirmation selon laquelle cet effet est obtenu pour l’ensemble des patients, et en particulier pour les grands fumeurs
On peut également se demander si cette caractéristique reflète effectivement une activité médicale dans le domaine industriel et commercial qui n’est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l’article 52(4) CBE.
Toutefois, cette caractéristique de la revendication, qui porte simplement sur la prescription d’un régime d’administration donné pour des traitements médicaux connus, ne saurait être considérée comme une indication médicale supplémentaire dont la nouveauté pourrait être établie sur la base des principes posés dans la décision G 6/83 (cf. point 2.2).
Au vu de ce qui précède, la chambre conclut que l’objet de la revendication 1 ne satisfait pas aux exigences de nouveauté énoncées à l’article 54 CBE.
Il n’y a donc pas lieu d’examiner l’objet des autres revendications, ni les autres motifs d’opposition.”
30. Alors que la décision T 584/97 conclut explicitement que l’objet de la revendication 1 ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté, on ne distingue pas clairement si c’est parce que le traitement par des doses croissantes de nicotine est considéré comme dépourvu de nouveauté ou parce qu’il ne doit pas être pris en considération en tant que caractéristique de la revendication en vertu de l’article 52(4) CBE ou éventuellement de l’article 54(5) CBE, pour des motifs qui n’ont pas été exposés. Si ce dernier cas de figure s’applique, la présente Chambre considère que la décision T 584/97 est en conflit avec la décision G 6/83, selon laquelle il y a lieu d’examiner la nouveauté de la thérapie proprement dite. En outre, lorsque la chambre réinterprète la revendication (cf. la phrase figurant au point 2.3 qui s’énonce comme suit : “En fait, cette revendication revient simplement à utiliser de la nicotine pour traiter des états sensibles à la thérapie nicotinique …”), méconnaissant par là-même la formulation réelle et l’objet de la revendication, elle adopte une démarche qui, de l’avis de la présente Chambre, est dépourvue de toute base juridique dans la CBE, étant donné que les articles 84 et 113(2) CBE en particulier exigent que la revendication et son objet soient examinés dans le texte présenté par le demandeur ou le titulaire du brevet.
Décision T 4/98
31. Dans l’affaire qui a abouti à la décision T 4/98 (JO OEB 2002, 139), la division d’opposition avait maintenu le brevet sur la base d’une revendication 1 modifiée, qui s’énonce comme suit :
“Utilisation d’une composition de liposomes permettant d’étendre à 24 heures au moins la période d’activité effective d’un composé thérapeutique qui peut être administré par voie intraveineuse en quantité thérapeutiquement efficace et qui est libéré sous forme libre dans le sang avec une demi-vie inférieure à 4 heures environ, comprenant des liposomes (i) composés de lipides formant des vésicules et entre 1 et 20 % molaire d’un lipide formant des vésicules dérivé par un polyéthylèneglycol, et (ii) ayant un diamètre de particule moyen choisi, dont la taille est comprise entre environ 0,1 et 0,4 µm (microns), et le composé sous forme d’inclusion dans les liposomes, pour la préparation d’une composition à une dose convenant pour une administration intraveineuse de la composition contenant une quantité du composé inclus dans les liposomes qui représente au moins trois fois ladite quantité thérapeutiquement efficace.”
32. Dans la décision T 4/98, la chambre a estimé que la revendication 1 ne pouvait pas être considérée comme nouvelle, en tant que revendication relative à une seconde indication médicale (cf. point 8.1 cité ci-dessous), mais qu’elle pouvait néanmoins être considérée comme une revendication de procédé nouvelle pour l’élaboration d’une composition de liposomes (points 8.2 à 10.3 des motifs de la décision T 4/98). Seuls les points 8.1 et 8.2 de cette décision sont pertinents en l’espèce. Ils s’énoncent comme suit :
“8.1. Dans l’acception qui leur est généralement reconnue, les termes “thérapie” et “application thérapeutique” incluent notamment le traitement d’une maladie ou d’une affection particulière au moyen d’une substance ou d’une composition chimique déterminée administrée à un sujet humain ou animal déterminé qui a besoin d’un tel traitement. Par comparaison, la caractéristique “trois doses” (ou “dix doses”) ne donne aucune indication permettant d’identifier au moins i) la maladie ou l’affection à traiter ou le trouble à soigner, ii) la nature du composé thérapeutique utilisé pour le traitement ou la guérison de l’affection et (iii) le sujet à traiter. Ne permettant d’identifier aucun de ces paramètres i) à iii), la caractéristique “trois doses (ou dix doses)” est relative en fait à l’administration par voie intraveineuse (ou sous-cutanée) d’un composé thérapeutique non déterminé sous forme d’inclusion dans des liposomes, à une dose représentant au moins trois (ou dix) fois la quantité thérapeutiquement efficace dudit composé non déterminé, pour le traitement d’une maladie ou d’une affection non spécifiée dont est atteint un patient non identifié ou un autre sujet humain ou animal. Dans ces conditions, la chambre ne voit pas comment l’on pourrait considérer que cette caractéristique désigne une méthode de traitement particulière ou une application thérapeutique au sens de l’article 52(4) CBE. Conformément aux principes posés dans la décision G 6/83 (cf. notamment la fin du point 21 de l’exposé des motifs) ainsi que dans les nombreuses décisions rendues à ce sujet par les chambres de recours (cf. par ex. : “Jurisprudence des chambres de recours de l’Office européen des brevets”, 3e édition, 1998, I. C. 6.2, p. 109-115), il ne peut être question de “seconde indication médicale” (ou de “toute indication médicale ultérieure”) que dans le cas de revendications portant sur l’utilisation de substances ou de compositions (en l’occurrence, les compositions de liposomes définies dans les revendications) pour la préparation d’un médicament destiné à être utilisé dans une des méthodes visées par l’article 52(4) CBE. Or, pour les raisons précitées, ce n’est manifestement pas de cela dont il s’agit ici.
8.2. Etant donné les observations qui précèdent, il convient de considérer par conséquent que les revendications indépendantes susmentionnées ont pour objet une activité technique non thérapeutique (procédé) et de ne voir dès lors dans la caractéristique “trois doses” (ou “dix doses”) que l’une des caractéristiques de procédé caractérisant le procédé revendiqué.”
33. A la première phrase du point 8.1, la décision T 4/98 précise que le terme “thérapie” inclut quelque chose qui remplit trois critères, lesquels sont définis de façon plus détaillée à la deuxième phrase. A la quatrième phrase du point 8.1 de cette décision, la chambre semble ensuite dire qu’il est exclu qu’un objet qui ne répond pas à ces trois critères soit considéré comme une application thérapeutique au sens de l’article 52(4) CBE. Les trois critères mentionnés ne trouvent aucun fondement dans le texte de la CBE et semblent tout à fait arbitraires pour formuler une définition du terme “thérapie” fondée sur des critères d’exclusion. De l’avis de la présente Chambre, on ne sait pas clairement si ces trois critères doivent être remplis simultanément, ou s’il suffit au contraire que l’un des ces critères soit rempli (comme le suggère le sommaire qui est libellé différemment).
34. Selon la présente Chambre, il est vain de tenter de définir le terme “thérapie” en se référant à des critères détaillés, étant donné qu’un tel exercice n’est pas requis par la CBE et qu’il n’est pas possible d’aboutir à un commun accord sur cette définition en l’absence d’une quelconque indication en ce sens dans la CBE. Aussi la présente Chambre ne tentera-t-elle pas de formuler une définition. Il est possible de suivre la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours sans qu’il soit nécessaire de définir précisément le terme “thérapie”. Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 7 de la présente décision, l’expression “utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif” figurant au point 2 du dispositif de la décision G 6/83 a été employée dans le seul but d’établir une distinction avec la thérapie non déterminée qui est admise dans le cas d’une première indication thérapeutique. La nouvelle indication médicale doit être décrite dans la revendication avec un certain degré de précision pour pouvoir être différenciée de cette première indication médicale. Cependant, toute limitation de la portée admissible d’une revendication devrait pour l’essentiel être examinée à la lumière des dispositions de l’article 82 CBE sur l’unité d’invention, étant donné qu’il doit exister pour une nouvelle indication médicale un concept inventif général autre que la thérapie en tant que telle, laquelle a déjà été divulguée par l’utilisation proposée dans le cadre de la première indication médicale. Si, comme tel est le cas pour une revendication de type suisse, l’objet de la revendication ne représente pas une méthode de traitement thérapeutique, qui est exclue en vertu de l’article 52(4), première phrase CBE, il est inutile d’examiner plus avant si cette disposition est respectée et on ne saurait encore moins s’en prévaloir pour exiger une limitation de la portée de la revendication.
35. Si le législateur avait souhaité que la fabrication d’une composition destinée à la mise en oeuvre d’une nouvelle méthode thérapeutique puisse être brevetée, mais que les revendications du brevet soient limitées afin de remplir certains critères de précision, il aurait fallu modifier l’article 82 CBE sur l’unité d’invention. Selon la Chambre, seules des définitions précises données par le législateur pourraient faire l’unanimité requise pour que la question de savoir quel est le degré de précision qu’une revendication doit présenter pour être brevetable soit susceptible d’être tranchée par une instance de l’Office européen des brevets.
36. De l’avis de la présente Chambre, la situation est parfaitement claire : soit une méthode d’application d’une composition ne constitue pas un traitement thérapeutique et ne tombe donc pas sous le coup de l’article 52(4), première phrase CBE, auquel cas elle est brevetable dès lors qu’elle satisfait aux autres exigences de la CBE, soit la méthode représente un traitement thérapeutique et tombe par conséquent sous le coup de l’article 52(4), première phrase CBE, auquel cas elle n’est pas brevetable en elle-même. Toutefois, l’utilisation d’une composition pour élaborer un médicament destiné à être employé dans le cadre d’un tel traitement thérapeutique est brevetable pour une thérapie non déterminée, dans le cadre d’une première indication médicale, ou pour une thérapie déterminée, dans le cadre d’une indication médicale supplémentaire, à condition là encore de satisfaire aux autres exigences de la CBE, telles qu’en particulier la nouveauté et l’activité inventive.
37. Si l’on suit l’avis exposé au point 8.1 de la décision T 4/98, il se pose même la question de savoir si une méthode de traitement quasi-thérapeutique qui ne serait pas exposée de façon suffisamment détaillée, de sorte qu’elle ne pourrait pas être considérée comme une méthode thérapeutique, serait néanmoins susceptible d’être revendiquée en tant que telle, c’est-à-dire en tant que méthode qui ne relève pas de l’article 52(4), première phrase CBE. On pourrait établir ici une analogie avec la décision G 1/98 de la Grande Chambre de recours (JO OEB 2000, 111) concernant des revendications qui englobent mais n’identifient pas des variétés végétales. La Chambre estime qu’une telle conclusion est incorrecte, car elle ne voit pas d’analogie entre l’exclusion au titre de l’article 53b) CBE, qui vise à empêcher tout chevauchement avec un régime de protection différent pour les variétés végétales, et la disposition de l’article 52(4) CBE, qui exclut de la brevetabilité les méthodes thérapeutiques. Il s’agit là d’une raison supplémentaire de ne pas adhérer aux vues exprimées au point 8.1 de la décision T 4/98 sur le sens du terme “thérapie”.
Décision T 485/99
38. Cette décision porte sur l’utilisation d’une composition déterminée en vue de préparer un régime préopératoire immunostimulant visant à la stimulation post-opératoire du système immunitaire de patients ayant subi une opération chirurgicale. La division d’examen avait rejeté la revendication pour défaut d’activité inventive par rapport à un document donné, mais la chambre compétente a renvoyé l’affaire à la première instance afin que celle-ci examine la nouveauté d’une revendication légèrement modifiée par rapport à un autre document qui avait déjà été pris en compte lors de la procédure d’examen. Le passage sur lequel la présente Chambre souhaite prendre position s’énonce comme suit :
“3.6 S’agissant du libellé de la revendication 1, force est de constater que la seule caractéristique qui subsiste, par rapport au document (1), est le suivi préopératoire du régime.
Par conséquent, il convient d’analyser si la thérapie préopératoire telle que définie dans la revendication, qui traite également de l’immunostimulation postopératoire, peut être distinguée de la thérapie divulguée dans le document (1) par un effet médical (physiologique) différent attribuable à cette administration préopératoire et, par conséquent, si elle porte ou non sur une caractéristique fonctionnelle donnant lieu à une indication thérapeutique au sens de la décision G 6/83.
Si ce n’est pas le cas, l’utilisation ainsi définie pourrait restreindre la liberté du médecin dans l’exercice de son art (cf. T 56/97, non publiée au Journal officiel, points 2 à 2.5 des motifs). L’administration pré- ou postopératoire du régime constituerait dès lors une méthode de traitement du corps humain, si bien qu’elle ne pourrait pas être considérée comme une invention brevetable en vertu de l’article 52(4) CBE.”
La présente Chambre est en désaccord avec l’avis développé au point 3.6 suscité, dans la mesure où il entérine et reflète la vision du droit qui est exposée dans la décision T 56/97 (points 2.4 et 2.5 des motifs) et à laquelle la présente Chambre n’adhère pas pour les motifs exposés aux points 26 et 27 ci-dessus de la présente décision. Il semble que cela ait conduit, dans l’affaire T 485/99, à un renvoi en première instance sur la question de la nouveauté, alors que la présente Chambre estime que la question qu’il aurait fallu traiter était celle de l’activité inventive, étant donné qu’il était admis que l’immunostimulation préopératoire n’était pas divulguée.
40. La présente Chambre ne voit dans les cinq décisions examinées aucune raison de modifier la vision du droit qui est résumée aux points 7 et 11 supra et qui se fonde sur la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours.
Autres considérations
41. Même si la présente Chambre n’estimait pas déjà que l’admissibilité des revendications rédigées sous la forme d’une deuxième application thérapeutique doit s’entendre en un sens aussi large eu égard au libellé des articles 52(4) et 54(5) CBE et à la décision G 6/83, mais considérait qu’il était possible de choisir entre une interprétation extensive de ces dispositions de la CBE et une interprétation plus restrictive, elle jugerait approprié d’adopter une interprétation large qui ne limite pas le domaine dans lequel la nouveauté peut être recherchée.
42. De nouveaux et précieux champs d’application clinique peuvent concerner un groupe de sujets distinct nouvellement identifié (soit des utilisateurs finaux, soit des patients) ou bien de nouveaux moyens ou de nouvelles mesures de mise en oeuvre de la nouvelle application, comme tel était par exemple le cas dans la décision T 51/93 du 8 juin 1994 (nouveaux moyens/nouvelles mesures physiques d’utilisation sous-cutanée et nouvel utilisateur final (autoadministration)). Ils peuvent également porter sur de nouveaux groupes de patients comme dans les décisions T 19/86 (JO OEB 1989, 24), T 893/90 du 22 juillet 1993, T 290/86 (JO OEB 1992, 414) et T 836/01 du 7 octobre 2003. Un nouveau mécanisme d’action pour une composition connue peut permettre à un nouveau groupe de sujets d’être traité au moyen de cette composition connue. Dans un tel cas de figure, la revendication doit bien entendu être formulée avec soin de façon à être limitée aux sujets pour lesquels la thérapie est nouvelle.
43. La Chambre ne voit pas pourquoi la personne qui met au point une thérapie nouvelle en recherchant la façon la plus efficace d’administrer une composition connue manquerait a priori de mérite au point de se voir refuser la forme limitée de protection par brevet que représente la deuxième application thérapeutique, et ce sans que l’on examine si la thérapie est effectivement nouvelle et inventive.
44. Comme l’a écrit Bertschinger dans l’ouvrage intitulé Handbücher für die Anwaltspraxis, Band VI, Schweizerisches und europäisches Patentrecht (Bertschinger/Münch/Geiser) et publié en 2002 par Helbing & Lichtenhahn, Bâle (cf. page 119, point 4.73), “L’utilité, sur le plan pratique, que présente la possibilité de protéger une “deuxième indication” ne se limite pas aux cas où une nouvelle application thérapeutique est trouvée pour un principe actif déjà établi et qui a fait ses preuves. Cette possibilité est au moins aussi utile dans les cas fréquents où des propriétés thérapeutiques d’une substance ont été décrites dans la littérature – parfois seulement en passant – sans que cette substance n’ait de ce fait été disponible en tant que médicament. Si l’on constate ensuite que cette substance présente des propriétés thérapeutiques supplémentaires non encore décrites dans la littérature et par conséquent nouvelles, sur la base desquelles un médicament précieux peut être mis au point, la “première indication réellement utile” ainsi trouvée (la “véritable indication”) représente cependant, en droit des brevets, une “deuxième indication”. Une invention de ce type ne pourrait pas être brevetée si la possibilité de protection qui est discutée ici n’existait pas.”
45. Cet argument s’applique également au cas où une application a dans un premier temps été décrite, voire testée expérimentalement, et où il s’est avéré que la substance a de tels effets secondaires indésirables ou que la réponse biologique diminue si rapidement au fur et à mesure de l’utilisation (tachyphylaxie) que le traitement connu n’est pas adapté dans la pratique. Si une personne propose alors un régime d’administration qui permet d’éviter ces inconvénients, elle sera en fait la première à fournir une thérapie véritablement utile, de sorte qu’elle devrait pouvoir jouir de la protection offerte à une composition destinée à être utilisée pour fabriquer un médicament dans le cadre de ce nouveau traitement.
46. On ne saurait répondre aux besoins des demandeurs ou apporter un quelconque bénéfice aux patients en établissant dans la jurisprudence une base qui permettrait aux examinateurs de rejeter une demande comportant une revendication de type suisse, au vague motif qu’elle constitue malgré tout une entrave à la liberté des médecins en violation de l’article 52(4) CBE, sans devoir examiner si la thérapie est effectivement nouvelle et inventive. Au quotidien, ce n’est pas la peur de commettre une contrefaçon qui dissuade le praticien de mettre en oeuvre de nouvelles méthodes thérapeutiques, mais au contraire celle d’être poursuivi en justice par ses patients pour faute médicale si jamais les choses devaient mal se passer, voire même la peur de perdre son autorisation d’exercer. Il incombe au médecin de traiter ses patients en appliquant la meilleure méthode connue, et plus la méthode est établie, plus le médecin peut être sûr de son succès. Toutefois, il faut bien que les connaissances concernant les meilleurs traitements soient obtenues d’une manière ou d’une autre, par exemple en réalisant des essais in vitro, des essais in vivo sur des cellules et des animaux ainsi que des essais cliniques dans des conditions faisant l’objet d’une surveillance particulière. Tout cela doit être financé. Or, délivrer des brevets pour une deuxième application thérapeutique accroît la probabilité qu’une personne entreprenne les recherches nécessaires. Si la possibilité de réaliser un gain financier est exclue, il y aura sans doute moins de recherche.
Saisine de la Grande Chambre de recours
47. L’article 112 CBE dispose que :
(1) Afin d’assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d’importance fondamentale se pose :
a) la chambre de recours, soit d’office, soit à la requête de l’une des parties, saisit en cours d’instance la Grande Chambre de recours lorsqu’une décision est nécessaire à ces fins. Lorsque la chambre de recours rejette la requête, elle doit motiver son refus dans sa décision finale ;
b) le Président de l’Office européen des brevets peut soumettre une question de droit à la Grande Chambre de recours lorsque deux chambres de recours ont rendu des décisions divergentes sur cette question.
48. La question de savoir quelles thérapies peuvent faire l’objet d’une revendication admissible sous la forme d’une deuxième application thérapeutique représente une question de droit d’importance fondamentale, ne serait-ce que par le nombre de cas dans lesquels elle se pose. La Chambre estime néanmoins qu’il est possible de répondre à cette question en se fondant sur la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours (et sur les six autres affaires tranchées simultanément), à savoir que toute thérapie nouvelle et inventive permet potentiellement de revendiquer une composition connue en vue d’obtenir un médicament destiné à être utilisé dans cette thérapie, que ce soit dans le cadre d’une thérapie en général (non déterminée) si la composition n’a encore jamais été suggérée en relation avec une thérapie, ou dans le cadre d’une autre thérapie déterminée, le terme “déterminée” indiquant simplement que la thérapie est limitée de façon à la rendre nouvelle et inventive par rapport à la thérapie connue qui utilise cette composition.
49. Lors de la Conférence diplomatique de novembre 2000 pour la révision de la Convention sur le brevet européen, la décision G 6/83 a été explicitement approuvée et la Convention a été modifiée dans l’intention expresse de conférer une base juridique plus large aux conclusions énoncées dans cette décision. Ainsi, l’exclusion des méthodes de traitement et des méthodes de diagnostic qui figure actuellement dans l’article 52(4) CBE a été ajoutée à l’article 53 CBE, dans un nouveau paragraphe c), à la suite des deux exceptions à la brevetabilité prévues dans l’actuel article 53a) et b) CBE, afin de montrer clairement que ces méthodes sont exclues de la brevetabilité pour des raisons de santé publique et non sur la base de la fiction du défaut d’application industrielle (cf. document de la conférence CA/100/00, page 41). De plus, l’article 54 CBE a été modifié comme suit :
“54(4) Les paragraphes 2 et 3 n’excluent pas la brevetabilité d’une substance ou composition comprise dans l’état de la technique pour la mise en oeuvre d’une méthode visée à l’article 53c), à condition que son utilisation pour l’une quelconque de ces méthodes ne soit pas comprise dans l’état de la technique.
54(5) Les paragraphes 2 et 3 n’excluent pas non plus la brevetabilité d’une substance ou composition visée au paragraphe 4 pour toute utilisation spécifique dans une méthode visée à l’article 53c), à condition que cette utilisation ne soit pas comprise dans l’état de la technique.”
50. Les raisons pour lesquelles le nouvel article 54(5) a été introduit dans la CBE sont exposées dans les remarques explicatives relatives à la proposition de la délégation suisse concernant cette disposition (MR/18/00) et s’énoncent comme suit :
“Le nouvel article 54(5) CBE met un terme à l’insécurité juridique qui plane sur la brevetabilité des applications thérapeutiques ultérieures. Il permet sans équivoque d’obtenir pour toute nouvelle application thérapeutique ultérieure d’une substance ou composition déjà connue comme médicament la protection conférée aux produits destinés à un usage déterminé. Pour ce qui est des applications ultérieures, cette protection équivaut à celle conférée par la “revendication de type suisse”. A la différence de l’ancien article 54(5) CBE (article 54(4) dans le texte révisé), qui conférait une vaste protection (générale) à l’inventeur de la première utilisation d’une substance ou composition dans une méthode médicale, le nouvel article 54(5) limite cette protection à une utilisation spécifique. Le but de cette restriction est d’offrir une étendue de protection qui soit le plus possible égale à celle conférée par une “revendication de type suisse”.
51. De l’avis de la Chambre, le mot “spécifique” employé dans le projet d’article 54(5) CBE (respectivement “spezifisch” et “specific” dans les textes allemand et anglais) vise uniquement à souligner la différence avec l’application non déterminée qui est admissible dans une revendication relative à une première application thérapeutique, et non à exiger que des critères définis soient remplis pour qu’une application thérapeutique puisse être considérée comme spécifique. Ainsi, une telle application doit uniquement être limitée afin de pouvoir être distinguée d’une application thérapeutique en général. Tout autre point de vue soulèverait la question, à laquelle il est impossible de répondre, de savoir quel serait le degré de précision qu’il faudrait apporter à la description d’une application dans le cadre d’une méthode thérapeutique pour qu’elle soit considérée comme “spécifique” au sens de l’article 54(5) CBE proposé. Les arguments développés aux points 7 et 31 à 34 ci-dessus sur l’utilisation du terme “déterminé” dans le dispositif de la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours s’appliquent de la même façon au terme “spécifique” employé à l’article 54(5) CBE proposé, qui ne doit pas être interprété dans un sens plus strict. De l’avis de la Chambre, il importe donc peu que l’article 54(5) CBE proposé emploie des termes légèrement différents, à savoir “spécifique” “spezifisch” et “specific”, et non les termes “specified”, “bestimmt” et “déterminée” qui sont utilisés par la Grande Chambre de recours dans le dispositif de la décision G 6/83 pour décrire une application thérapeutique ultérieure admissible.
52. La Chambre estime que la situation juridique reste inchangée, que ce soit aux termes des modifications proposées de la Convention sur le brevet européen ou de la version existante. Etant donné que le texte modifié entrera probablement en vigueur dans deux ou trois ans, il n’y a pas lieu de saisir la Grande Chambre de recours au sujet du libellé actuel de la CBE. En outre, une telle saisine pourrait en elle-même susciter des doutes et entraîner la suspension des travaux en cours dans les procédures en instance en attendant la réponse de la Grande Chambre de recours sur un texte juridique qui sera prochainement modifié.
Saisine de la Grande Chambre afin d’assurer une application uniforme du droit
53. La Grande Chambre de recours pourrait également être saisie en vue d’assurer une application uniforme du droit eu égard aux avis exprimés dans les décisions T 317/95, T 56/97-3.3.2, T 584/97, T 4/98 et T 485/99 sur ce qui est exclu par l’article 52(4) CBE et sur la façon dont la nouveauté des applications médicales ultérieures doit être traitée au regard de l’article 54(5) CBE tel qu’il est actuellement formulé. Si l’on suit l’analyse que fait la décision G 6/83 de l’actuel article 52(4) CBE, la Chambre estime que les opinions exposées dans les décisions susmentionnées ne sont pas défendables et qu’elles le sont encore moins lorsque cette disposition sera remplacée, comme proposé, par le nouvel article 53c) CBE.
54. L’affirmation énoncée au point 8.1 de la décision T 4/98, selon laquelle la thérapie doit être décrite en détail, peut avoir une incidence sur le type de thérapie susceptible d’être considérée comme nouvelle aux fins de l’actuel article 54(5) CBE. Elle peut également prêter à conséquence eu égard au nouvel article 54(5) CBE proposé, qui se réfère à une utilisation spécifique. Pour les motifs exposés ci-dessus aux points 7, 31 à 34 et 48, la Chambre estime qu’il convient de ne pas adopter l’opinion restrictive exprimée dans la décision T 4/98. Ni la Chambre, ni l’unique partie au présent recours n’approuvent une telle opinion restrictive ou n’en distinguent le mérite. Or, la Grande Chambre de recours ne pourrait être saisie d’une question à ce sujet que si une partie, une chambre ou le Président, en application de l’article 112(1)b) CBE, accordait une certaine valeur à cette opinion et invoquait à son appui des arguments convaincants.
55. La présente Chambre a également tenu compte des Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen des brevets (décembre 2003) et en particulier de ce qui est énoncé dans la partie C, chapitre IV, au sujet des revendications relatives à une deuxième application thérapeutique, mais n’y voit aucun point de désaccord. Les directives ne se réfèrent à aucune des cinq affaires qui exposent un avis sur les articles 52(4) et 54(5) CBE avec lequel la présente Chambre n’est pas d’accord. Au cas où les auteurs des directives souhaiteraient assurer une application uniforme du droit, ils pourraient par conséquent développer les directives s’ils sont d’accord avec la présente décision, ou saisir la Grande Chambre en application de l’article 112(1)b) CBE s’ils adhèrent plutôt à l’avis exprimé dans l’une de ces décisions et avec lequel la présente Chambre est en désaccord.
Décisions de juridictions nationales
56. La Chambre a connaissance des affaires “Taxol” aux Pays-Bas et au Royaume-Uni qui concernent la contrefaçon du brevet européen 584 001 dont la revendication 1 s’énonce comme suit :
“Utilisation de taxol et de médications suffisantes pour prévenir des réactions anaphylactiques graves, pour la fabrication d’une médication pour une application simultanée, séparée ou séquentielle pour l’administration de 135 mg/m2 jusqu’à 175 mg/m2 de taxol sur une période d’environ 3 heures ou moins en tant que moyen pour traiter le cancer et réduire simultanément la neutropénie.”
57. Si l’on veut comparer les différentes approches qui ont été adoptées sur la validité, il convient tout d’abord de noter que l’OEB a également statué sur ce brevet, une procédure orale devant la division d’opposition s’étant tenue après le prononcé des décisions nationales, auxquelles il a été fait référence. Dans sa décision, dont les motifs écrits ont été publiés le 16 mai 2002, la division d’opposition a révoqué le brevet pour défaut de nouveauté au regard de la publication antérieure des résultats préliminaires des essais cliniques financés par le titulaire du brevet lui-même. Les procédures nationales s’étaient appuyées sur la preuve de ces essais, mais pas la division d’examen ayant délivré le brevet qui n’en avait pas eu connaissance. Afin d’assurer l’efficacité de l’ensemble de la procédure, la division d’opposition a également jugé utile de prendre position sur l’activité inventive, en constatant dans un obiter dictum que la solution revendiquée était évidente, même si la caractéristique de la réduction de la neutropénie était reconnue comme une caractéristique technique nouvelle. Elle a cependant considéré que la revendication satisfaisait aux exigences de l’article 52(4) CBE. Le titulaire du brevet n’a pas formé de recours. Au vu des faits tels que relatés, la présente Chambre estime qu’elle serait parvenue aux mêmes conclusions et aurait adopté le même avis juridique que la division d’opposition.
58. Au Royaume-Uni, la High Court a estimé, dans l’affaire Bristol-Myers Squibb Company c. Baker Norton Pharmaceuticals ([1999] R.P.C. 253), que la revendication était dépourvue de nouveauté et d’activité inventive. Le juge Jacob J. n’a pas admis l’argument selon lequel la revendication se réduisait simplement à une méthode de traitement, mais a considéré qu’elle avait pour objet la fabrication de médicaments destinés à être utilisés dans ce traitement et qu’elle ne tombait donc pas sous le coup de l’article 52(4) CBE ou de son équivalent britannique (cf. points 50 et 51 de sa décision). La division d’opposition de l’OEB était parvenue à la même conclusion.
59. En appel, la Cour d’appel britannique ([2001] R.P.C. 1), tout en reconnaissant avec le juge Jacob que la revendication présentait un défaut de nouveauté et d’activité inventive, n’a pas partagé son avis sur l’article 52(4) CBE. Les trois juges d’appel ont en effet considéré que la revendication avait pour objet une méthode de traitement du corps humain (cf. points 54-63, 90-94 et 107-112) et qu’elle contrevenait dès lors à l’article 4 de la Loi sur les brevets de 1977, à savoir l’équivalent britannique de l’article 52(4) CBE. S’agissant de la nouveauté, ils sont parvenus à la conclusion que “… La nouveauté ne peut pas résider dans la méthode d’utilisation, mais dans le nouveau but thérapeutique dans lequel la substance est appliquée …”. Sur cette base, la Cour d’appel a estimé que le brevet ne revendiquait pas une invention nouvelle aux termes de l’article 54 CBE, eu égard à la décision G 6/83 (Pharmuka), (cf. points 87 et 88, 2001 R.P.C page 27). Elle a également souligné que la nouvelle application ne devait pas être liée à l’utilisation/aux utilisations déjà connues, et a cité à titre d’exemple de nouvelle application la lutte contre une autre maladie ou la prévention au lieu de la guérison (cf. points 85 et 86). S’agissant de la nouveauté, elle est certes parvenue à la même conclusion que la High Court et la division d’opposition de l’OEB, mais elle a émis un avis différent sur ce qui, en droit, est susceptible de créer la nouveauté.
60. Aux Pays-Bas, la Cour d’appel de La Haye (voir Bristol-Myers Squibb c. Yew Tree Pharmaceuticals [Netherlands] (2000) ENPR 26) a, dans l’affaire “Taxol”, rejeté le recours au motif qu’il était effectivement possible que le brevet fût révoqué et annulé, du moins en partie, pour insuffisance de l’exposé et défaut de nouveauté. Le Tribunal de première instance de La Haye (cf. point 5 de l’arrêt de la Cour d’appel de La Haye) avait quant à lui rejeté la requête pour un motif différent, à savoir qu’il existait un risque sérieux et non négligeable que le brevet fût révoqué parce qu’il portait sur un procédé pour le traitement médical du corps humain et que, de ce fait, la délivrance d’un tel brevet était difficilement conciliable avec l’article 52(4) CBE ensemble l’article 52(1) CBE. La Cour d’appel de La Haye n’a pas fondé sa décision sur l’existence d’un risque sérieux de violation de l’article 52(4) CBE.
61. La présente Chambre n’a pas connaissance d’affaires ultérieures, aux Pays-Bas, ayant traité de l’article 54(2) CBE. On ne peut dire avec certitude s’il existe, dans ce pays, une opinion dominante selon laquelle une revendication de type suisse peut contrevenir aux dispositions de l’article 52(4) CBE.
62. En ce qui concerne l’Allemagne, il convient de rappeler que dans la décision G 6/83 (Pharmuka), la Grande Chambre a non seulement approuvé les revendications de type suisse, mais a également jugé non admissibles les revendications formulées sous la forme d’une “application d’une substance ou composition en vue du traitement thérapeutique du corps humain ou animal” (cf. point 1 du dispositif ainsi que le point 17 de cette décision en ce qui concerne la pratique allemande et, en particulier, la décision Hydropyridine de la Cour Fédérale de Justice (BGH GRUR 83, 729 et JO OEB 1984, 26). Ce faisant, elle ne s’est pas conformée à la pratique allemande qui admettait (et admet encore) une revendication rédigée sous cette forme. Pour simplifier, on peut dire que la pratique allemande admet une revendication de ce type, tout en laissant aux juridictions saisies d’une contrefaçon le soin de ne pas opposer la revendication à des actes intervenant exclusivement dans un domaine non commercial, mais de la faire respecter lorsque la fabrication et la fourniture sont destinées à l’utilisation revendiquée.
Analyse de décisions nationales
63. L’avis de la Cour d’appel britannique sur l’article 52(4) CBE et sur la nouveauté, laquelle ne saurait selon elle résider dans la méthode d’utilisation, ainsi que son analyse de l’avis exprimé dans la décision G 6/83 diffèrent de l’opinion de la Chambre dans la présente décision. Aussi est-il nécessaire d’examiner si cette différence de vues appelle une saisine de la Grande Chambre de recours, compte tenu également de la position adoptée dans d’autres Etats contractants.
64. Depuis la décision G 6/83, les chambres de recours ont généralement estimé que les revendications de type suisse étant destinées à protéger la fabrication, elles évitent tout conflit avec les dispositions de l’article 52(4) CBE. Immédiatement après le prononcé de la décision G 6/83, les sept recours qui avaient donné lieu à une saisine ont été tranchés sur la base du principe selon lequel les revendications de type suisse évitent tout conflit avec l’article 52(4) CBE du fait même de leur objet. Cette opinion a également été suivie par la suite, à l’exception peut-être des affaires examinées dans la présente décision.
65. Lorsqu’elle s’est penchée sur l’arrêt susmentionné de la Cour d’appel britannique, la Chambre a également pris en compte la disposition britannique correspondant à l’article 52(4) CBE, à savoir l’article 4 de la Loi sur les brevets de 1977 du Royaume-Uni, dont les passages pertinents s’énoncent comme suit :
“4(2) N’est pas considérée comme susceptible d’application industrielle l’invention d’une méthode de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal ou d’une méthode de diagnostic appliquée au corps humain ou animal.
4(3) L’alinéa 2) n’empêche pas qu’un produit consistant en une substance ou composition soit considéré comme susceptible d’application industrielle pour le seul motif qu’il a été inventé pour être utilisé dans l’une des méthodes précitées.”
66. Même si l’article 130 de la Loi britannique sur les brevets de 1977, qui porte sur l’interprétation, énonce à l’alinéa 7 qu’entre autres les dispositions de l’article 4 de la Loi “sont conçues de manière à produire dans toute la mesure du possible les mêmes effets au Royaume-Uni que ceux que les dispositions correspondantes de la Convention sur le brevet européen … produisent …”, il convient de noter que le libellé de l’article 52(4) CBE diffère considérablement de son équivalent britannique. La Chambre relève à cet égard qu’il lui aurait semblé beaucoup plus problématique d’interpréter la décision G 6/83 et l’article 52(4) CBE si celui-ci avait été formulé, dans toutes les langues officielles, de manière identique à l’article 4(2) et (3) de la Loi britannique sur les brevets de 1977. Les chambres de recours ne peuvent toutefois pas tenir compte de la rédaction de cette législation britannique pour interpréter la Convention sur le brevet européen.
67. Au Royaume-Uni, la Chambre des Lords doit se prononcer sur les articles 52(4) et 54(5) CBE. Ce n’est qu’à contrecoeur que le juge Jacob. J. s’est aligné, dans l’affaire Merck & Co Inc’s Patents [2003] F.S.R. 298, sur la décision de la Cour d’appel britannique, ses réticences s’exprimant au point 80 en ces termes :
“Je conclus à regret que la revendication porte, en substance, sur une méthode de traitement thérapeutique du corps humain. En effet, les brevets servent à favoriser la recherche. Si des méthodes améliorées, nouvelles et non évidentes d’administration de médicaments connus pour des maladies connues ne peuvent pas être brevetées, même sous la forme d’une revendication de type suisse, les recherches portant sur de telles méthodes seront moins encouragées. Si l’on conférait une portée très restreinte à cette exception, de sorte que toute préparation utilisée dans une telle méthode ne puisse être protégée que par l’artifice de la revendication de type suisse, la recherche serait soutenue. Mais je dois m’aligner sur la façon actuelle d’interpréter l’exception dans l’affaire Bristol-Meyers.”
68. En l’absence de pratique uniforme parmi les juridictions des Etats contractants en ce qui concerne l’interprétation de l’article 52(4) CBE, l’abandon de l’avis selon lequel les revendications de type suisse satisfont aux exigences de cette disposition, comme l’énonce la décision G 6/83, n’assurerait pas, de l’avis de la Chambre, une plus grande uniformité juridique en Europe, mais s’écarterait en revanche de la jurisprudence constante des chambres de recours. La Chambre ne voit donc pas en quoi il pourrait être utile de soumettre à la Grande Chambre de recours, en application de l’article 112 CBE, une question de droit au sujet de l’article 52(4) CBE.
69. Pour comprendre l’opinion de la Chambre sur la nouveauté et l’article 52(4) CBE qui est émise dans la présente décision, il peut également être utile d’exposer les motivations profondes de la Chambre, à savoir que toute invention dans le domaine pharmaceutique est par essence une nouvelle méthode d’application d’une composition dans un traitement thérapeutique, et que l’aspect chimique, si ingénieux soit-il, n’est que secondaire. L’utilisation d’une composition à faible dose aura probablement des effets négligeables, que ce soit en bien ou en mal, alors qu’une utilisation à une dose trop élevée peut avoir des effets négatifs graves, voire mortels. Une invention consiste à trouver une utilisation (y compris la posologie et la forme galénique) qui permette à au moins certaines catégories de patients de bénéficier de l’application de la composition. Il n’existe aucune garantie qu’une telle utilisation bénéfique existe.
70. Une équipe de recherche pharmaceutique comprend en premier lieu un médecin qui va être chargé de déterminer le moment où des connaissances suffisantes ont été rassemblées pour obtenir l’autorisation de démarrer les premiers essais cliniques, de les surveiller et de collationner les informations obtenues afin d’établir les limites dans lesquelles l’utilisation d’une composition peut généralement être considérée comme efficace et sans danger. Lors de ces essais, les cliniciens ont la tâche particulièrement délicate d’obtenir des informations, tout en agissant au mieux des intérêts de leurs patients, même s’il faut pour cela interrompre l’essai. Une fois qu’un produit a reçu l’autorisation de mise sur le marché pour des applications particulières, le médecin va normalement le prescrire (à supposer que ce soit le cas) selon la posologie et la forme galénique qu’il juge adaptées à son patient, et ce dans les limites fixées par le fabricant.
71. La mise sur le marché de produits pharmaceutiques étant étroitement surveillée par les organismes de contrôle compétents dans les Etats contractants et par l’Agence européenne des médicaments en ce qui concerne l’Union Européenne, on peut établir pour quel(s) traitement(s) thérapeutique(s) la plupart des médicaments sont vendus. Ceci ouvre la possibilité de délivrer des brevets comportant des revendications de type suisse que l’on peut opposer à des fournisseurs (identifiables) d’une ancienne substance pour une nouvelle application thérapeutique donnée, mais pas aux personnes qui sont responsables en dernier lieu de cette application, c’est-à-dire les médecins. Même lorsqu’elles se réfèrent à des mesures que doit prendre un médecin, les revendications de type suisse ne constituent pas, selon la Chambre, une entrave à la liberté du praticien de procéder au mieux pour le patient, mais se bornent à limiter le but dans lequel les fournisseurs peuvent agir librement. Si la liberté dont jouit le médecin pour traiter au mieux son patient exigeait qu’il soit libre de se procurer une composition de n’importe quelle source, la délivrance de brevets serait difficile à concilier avec une interprétation aussi étendue de la liberté du médecin, même pour des compositions nouvelles.
72. Eu égard à ces considérations, la Chambre interprète la décision G 6/83 en ce sens qu’elle admet des revendications de type suisse ayant pour objet l’utilisation d’une composition en vue d’obtenir un médicament destiné à une application thérapeutique déterminée, nouvelle et inventive, dans le cas où la nouveauté de l’application réside uniquement dans la posologie ou le mode d’application. Il y a onze ans déjà, dans la décision T 51/93 du 8 juin 1994, la présente Chambre a admis une revendication de ce type, dans laquelle seul le mode d’application était nouveau. Il est vrai que dans la décision G 6/83, les indications médicales ultérieures se rapportent au traitement d’une nouvelle maladie. Toutefois, de l’avis de la Chambre, cela montre simplement que la plupart des revendications portant sur une indication médicale ultérieure font référence à une nouvelle maladie car il est davantage probable que l’objet de telles revendications présentera un caractère de nouveauté et une activité inventive que dans le cas d’une modification mineure du traitement connu pour une pathologie existante. La logique de la décision G 6/83, qui admet des revendications ayant pour objet de nouvelles applications thérapeutiques de compositions connues, semble pouvoir s’appliquer également à toute application d’une telle composition connue dans un traitement nouveau et inventif qui ne peut pas être revendiqué en tant que tel en raison de l’article 52(4), première phrase CBE.
73. Dans la décision G 6/83, le malaise né du fait que la nouveauté au titre de l’article 54(5) CBE était justement fondée sur une caractéristique qui, selon l’article 52(4), première phrase CBE, ne doit pas être considérée comme une invention susceptible d’application industrielle, a été atténué en précisant qu’il s’agit d’une pure fiction visant à protéger la liberté des médecins (mais pas celle des fournisseurs). Il est à espérer que ce malaise sera totalement dissipé pour tous les Etats contractants lorsque la révision de la CBE entrera en vigueur.
74. Bien qu’elle n’adhère pas à cette vision étroite de la nouveauté, la Chambre a néanmoins réfléchi à ce qui adviendrait, sur le plan pratique, si la nouveauté ne pouvait pas résider dans la méthode d’application, mais uniquement dans la finalité thérapeutique pour laquelle la substance est utilisée. Jusqu’à ce que les demandeurs adoptent des contre-mesures, telles que l’introduction dans la revendication d’une vague caractéristique qui serait susceptible, du moins théoriquement, de rendre la composition nouvelle, l’examen et le rejet de demandes dans ce domaine seraient probablement simplifiés, étant donné que l’examinateur se bornerait à constater le défaut de nouveauté en examinant la composition et la/les maladie(s) à traiter, sans tenir compte des autres caractéristiques de la méthode exposées dans la revendication. Il n’est cependant pas toujours facile de déterminer si une revendication a pour objet le traitement d’une nouvelle maladie par comparaison avec l’état de la technique et, dans de tels cas, il ne serait plus possible d’établir la nouveauté par rapport à de simples publications “sur papier” en indiquant les doses possibles ou une nouvelle forme d’administration. Etant donné qu’un document relativement court peut suggérer des milliards de compositions pour traiter des centaines de pathologies, il serait beaucoup plus problématique qu’actuellement d’établir une distinction par rapport à l’état de la technique si l’on adoptait une approche aussi étroite en matière de nouveauté.
75. Opter pour cette conception étroite de la nouveauté ne servirait pas les intérêts de la recherche dans le domaine pharmaceutique. Ainsi, cela mettrait probablement un frein à l’acquisition de nouvelles connaissances sur la façon la plus efficace d’utiliser les médicaments. Par ailleurs, il pourrait en résulter une baisse des prix, mais cela non plus n’est pas certain si les dépenses de recherche et de publicité sont simplement réaffectées aux produits susceptibles d’être protégés par des brevets.
76. En outre, une telle conception de la nouveauté entraînerait une interprétation artificielle des revendications. Si le législateur souhaite adopter une approche aussi étroite, il serait préférable, de l’avis de la Chambre, de modifier explicitement en ce sens la Convention sur le brevet européen. La doctrine du précédent ne s’applique pas à l’Office européen des brevets. Ainsi, la présente décision ne s’impose qu’à la division d’examen devant laquelle l’espèce est renvoyée. Pour qu’une chambre effectue un retour en arrière et adopte la vision étroite de la nouveauté, elle devrait être convaincue de sa nécessité et disposer d’arguments très solides pour être suivie par d’autres. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
77. Etant donné que les modifications de la CBE et, partant, le nouveau libellé de l’article 54 CBE sur la nouveauté entreront en vigueur dans quelques années, la présente Chambre juge préférable de ne pas saisir la Grande Chambre de recours de la question de savoir si cette vision restreinte doit s’appliquer au texte actuel de la CBE, mais d’attendre de voir si un consensus européen se dégage sur cette question et si le législateur souhaite intervenir.
CONCLUSIONS
78. En conséquence, la Chambre considère qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de saisir la Grande Chambre de recours. Elle expose toutefois son raisonnement de façon détaillée afin de contribuer à clarifier la situation.
79. Au vu de ce qui précède, la Chambre conclut que les revendications 1 et 13 selon la requête principale portent sur un objet potentiellement brevetable qui ne tombe pas sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 52(4), première phrase CBE. Dès lors, elle renvoie l’affaire devant la première instance, à charge pour elle d’examiner d’une part si l’invention est nouvelle et inventive, en déterminant si la méthode de traitement thérapeutique est elle-même nouvelle et inventive compte tenu de toutes les caractéristiques relatives à l’utilisation qui sont exposées dans la revendication, et d’établir d’autre part si les autres exigences de la CBE mentionnées au point 9 ci-dessus sont remplies.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L’affaire est renvoyée en première instance pour suite à donner sur la base de la requête principale déposée le 3 novembre 1997.